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LA SATIRE D'UNE SOCIETE CONFINEE PAR L'HISTOIRE

Sedley Assonne (écrivain mauricien)
LA SATIRE D'UNE SOCIETE CONFINEE PAR L'HISTOIRE

Raphaël Confiant,le Saint-Esprit.

Avec le confinement,j’en étais arrivé à ne plus savoir quel jour on était.N’étant plus habitué au calendrier-papier,il me reste heureusement l’écran du portable pour savoir qu’on est aujourd’hui dimanche.Et qu’on est aussi en carême chrétien ! Et quel meilleur livre résume bien un confinement en temps de carême que « Le meurtre du Samedi-Gloria » de Raphaël Confiant,sorti aux Editions Mercure de France,en 1997 ?

En lisant ce livre,j’ai eu un gros frisson.Parce qu’en 1996,je participais au concours littéraire organisé par Ledikasion Pu Travayer,et j’enlevais le premier prix avec « Robis »,un polar se déroulant aux Salines.Et dans cette histoire,je parlais de Bonne femme Caca,un personnage-clé du roman.Et ne voilà-t-il pas qu’en lisant Confiant,je retrouve Romule Beausoleil,plus connu sous le nom de Romule Odeur de caca ! Et j’ai toujours pensé que les « correspondances » existent en littérature.D’autant plus que de la Martinique à la Guadéloupe,en passant par La Louisiane,la Dominique,Haïti et les îles de l’océan indien,la langue créole faisait le pont pour illuminer l’imagination de ceux qui écrivent.
Maintenant,un brin d’histoire :Edouard Glissant était le Père,Patrick Chamoiseau le Fils,Raphaël Confiant le Saint-Esprit,et Aimé Césaire était Dieu.Et il avait laissé le soin à son Pape,André Breton,le soin de proclamer son existence au monde.Seuls les athées ignoraient les évangiles de Césaire,mais les initiés faisaient confiance à ce Raphaël qui avait écrit,aux Editions Stock, »Aimé Césaire,une traversée paradoxale du siècle ».Et avec le Père et le Fils,tous trois avaient convenu que Césaire était bien Dieu.
Si vous avez lui « Le meurtre du Samedi-Gloria »,Confiant est au sommet de son art.Qui consiste à parler de son pays,et de ceux qui sont venus le peupler.Et ce peuplement était fait des maîtres,des esclaves,des coolies,indiens et chinois.Soit la même société de plantation qui sera répliquée un peu partout dans le monde.Et l’humour lui donne l’occasion de rester « objectif »,tout en condamnant cependant ceux qui ont débalancé ces mondes en pillant l’Afrique.
Ce roman est donc un « Tout-Monde » en lui-même.L’occasion pour l’auteur de parler des Blancs,des Noirs,des Indiens et des Chinois.Et c’est au travers du regard « étranger » de l’inspecteur Dorval,un fils du sol ayant longtemps bossé en France.Et qui se retrouve,pour ainsi dire,forcé de faire son cahier d’un retour au pays natal,par la voie de cette enquête policière.Romule Beausoleil,ramasseur de la merde de gens,devenu fier combattant du damier, »une danse-combat d’origine africaine que les autorités avaient décrétée hors-la-loi », se préparait à combattre Waterloo.Mais il est retrouvé mort,un gros trou sous le menton,blessure vraisemblablement causée par un pic à glace.
Dès lors,l’enquête de Dorval sera l’occasion,pour Confiant,d’embarquer son lecteur dans un saisissant portrait de cette Martinique des inégalités,où le Blanc s’était donné le beau rôle,et l’Indien et le Chinois récoltant les dernières miettes,tandis que le Noir vivotait entre ces deux extrêmes de l’existence.Ce tableau dépeint par l’auteur nous est très familier,même si à Maurice,les rôles ne sont pas les mêmes pour certains.
Dans cette satire d’une société confinée sur une île,Confiant rend l’intrigue policière encore plus difficile,en multipliant les suspects.Et ce n’est vraiment qu’à la dernière page du livre qu’on saura qui en a voulu à la victime.Je ne vous dévoile pas la fin de l’histoire bien sûr,pour justement vous pousser à aller ouvrir ce magnifique livre,dont la trame se déroule en 1964.
Toute l’œuvre de Raphaël Confiant consiste à dérouler ce film d’un pays aimé,la Martinique.Tous ses romans,nouvelles,essais et récits sont l’occasion pour cet écrivain d’interroger cette société « où tout le monde hait tout le monde.Le Blanc hait le nègre,le nègre hait le mulâtre,le mulâtre hait l’indien et vice versa. »Et tout l’art de son écriture consiste à « ramasser » ce « Tout-Monde » en le liliputiant,miniaturisant ses personnages,qui ne sont en fait que le reflet de ceux qui ont jeté ces êtres sur une île,où ils seront forcés de cohabiter.L’esclavage a été cette « tempête » qui a confiné ces Caliban,Miranda et Prospero sur un lieu de perdition,où ils devront apprendre à (re)devenir humains.
Mais si les livres aident à ouvrir l’esprit,le savoir n’est pas tout.Confiant met en garde contre l’arrogance de l’esprit,à travers le personnage de Dorval,qui a longtemps « baigné » dans la culture occidentale.On lui prête d’ailleurs une ressemblance avec Sydney Poitier,premier acteur Noir Oscarisé,mais d’un autre point de vue,celui de Spike Lee par exemple,il peut aussi être présenté comme le premier acteur noir à avoir « collaboré » avec l’ennemi Blanc !
Bref,il faut bien cerner les subtilités mises en place par l’écrivain.Un virtuose qui a débuté par sa langue maternelle,le créole.Dont un recueil de nouvelles « Jik déyé do bondyé »,un recueil de poèmes « Jou baré », »,et « Bitako-A », »Kod Yanm », »Marisosé »,pour ensuite passer au français avec « Le nègre et l’amiral », »Ravines du devant-jour, »L’allée des soupirs »,La vierge du grand retour »,et des essais,toujours dans cette langue.
Parler de Confiant me ramène à Marcel Cabon,à qui un éditeur français refusa l’édition de « Namasté » en France,sous prétexte qu’il lui fallait d’abord ôter toute expression en créole du livre.Ce que Cabon refusa bien sûr.Ce qui l’honore,car tandis que les éditeurs français refusaient à des Iliens de faire entendre leurs voix en Europe,ces mêmes éditeurs prêtaient une oreille « attentive » aux manuscrits de Gabriel Matzneff,pour un citer qu’un exemple !,et décernaient même des prix aux monstres qu’ils aidaient à créer !
Merci donc Raphaël Confiant d’être resté honnête envers vous-même,en restant fidèle à votre culture,et à cette langue et cette identité forgées au prix d’un terrible combat contre l’oubli !

Le Vicomte des gueux

 

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