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Le Canard Enchainé et l’antiracisme politique

Omar Benderra
Le Canard Enchainé et l’antiracisme politique

   Il n’est pas besoin d’analyses fouillées pour constater que la politique de l’Etat français en direction des citoyens français d’origine maghrébine ou sub-saharienne reste largement influencée par le poids de l’histoire. La posture néocoloniale n’est pas seulement portée par des partis de droite. Une partie substantielle de la gauche française, également comptable d’un racisme structurel, participe activement à la minorisation politique des français d’origine africaine et à la disqualification de leurs représentants.

 

   La campagne de calomnie et de diffamation menée depuis plusieurs mois contre le Parti des Indigènes de la République (PIR) et qui vise personnellement Houria Bouteldja, sa charismatique porte-parole, illustre bien le statut secondaire et mutique auquel une partie très agissante des élites de pouvoir voudrait confiner ces français dont les faciès, les couleurs de peau ou les noms trahissent les racines maghrébines ou sub-sahariennes. S’ils refusent de raser les murs et de s’intégrer en s’invisibilisant, s’ils dérogent de la doxa laiquo-républicaine tout en revendiquant leur pleine citoyenneté, ils sont renvoyés à un communautarisme fantasmé. Et si leurs idées progressent et entrent à l’Assemblée Nationale comme à travers la désormais célèbre députée de la France Insoumise, Danièle Obono, alors ils sont excommuniés.

   Dans sa livraison du 15 novembre 2017, le Canard enchainé publie un article (1) particulièrement révélateur de la violence et des moyens indignes de la campagne islamophobe en cours en France. Signé d’une certaine Marie-Sophie Mercier, le brûlot est illustré par une disgracieuse caricature de Houria Bouteldja porteuse d’un turban sur lequel est inscrit « N… la France », une formule provocatrice que l’intéressée n’a jamais utilisé. Cette représentation est en soi le premier mensonge d’un article construit sur la calomnie et des citations tronquées ou extraites de leurs contextes.

   En effet, l’article virulent mais d’une rigueur approximative, attribue à Houria Bouteldja la responsabilité d’une formule qui est en fait le titre d’un ouvrage (voir photo ci-dessus) sur la couverture duquel figure une personne que la journaliste feint de confondre avec la porte-parole du PIR comme l’a fait avant elle la presse d’extrême droite. Pour ces milieux, toutes les enturbannées se ressemblent…

   L’article proprement ( ?) dit commence également par une allusion à une photographie (il s’agit bien, même s’ils sont très retouchés, d’un journalisme de clichés) où l’on voit une souriante Houria Bouteldja assise à côté d’un siège de gare sur le dossier duquel est inscrit  Les sionistes au goulag ». Le ton du pamphlet est donné. De fait selon la journaliste-sémanticienne, il y aurait comme tromperie sur la marchandise : il faudrait lire « juif » plutôt que sioniste. Car l’accusation majeure est bien là : derrière un antisionisme de pure apparence la porte-parole du PIR serait, n’est-ce pas, antisémite.

   A ces parangons d’une sémantique « fluide », il est inutile de rappeler que l’antisionisme n’est pas synonyme d’antisémitisme. On a beau tordre le mot dans tous les sens, l’antisionisme n’est pas une forme de racisme. Il s’agit bien d’une opposition politique – ni raciale ni religieuse - au projet colonial israélien qui nie le peuple palestinien, le spolie et l’expulse de sa terre au nom d’une idéologie d’exclusion élaborée au XIXe siècle. Tous les juifs ne sont pas sionistes et tous les sionistes ne sont pas juifs. L’évidence est irréfutable et la confusion impossible. Mais pourquoi s’embarrasser de rigueur quand on évolue dans le giron d’une grande rédaction parisienne ?

   Sémantique bancale et réalité imaginaire

   Qu’importe pour la propagandiste que l’Union des Juifs pour la Paix (UJFP) soutienne résolument Houria Bouteldja et que ses éditeurs français, Eric Hazan, et américains, Sylvère Lotringer, soient issus de familles de tradition juive et soutiennent la cause palestinienne… Peu importe que la provocation langagière soit le propre de toutes les manifestations de rue en France comme ailleurs et que les expressions comme « fascistes au goulag » ou « Valls au poteau » soient monnaie courante et n’offensent pas grand monde. Cette photo dont que l’on voudrait transformer en pièce à conviction dit exactement ce qu’elle signifie. Peu importe qu’elle ait été prise au moment des bombardements (au phosphore blanc, notamment) israéliens sur Gaza en 2014. Ces atrocités, compte tenu de ses références idéologiques(2), n’ont probablement pas du beaucoup émouvoir la journaliste. Qu’importe donc les mots et les faits si l’essentiel est de nourrir par tous les moyens une campagne vide d’argument.

   Pour enfoncer le clou, au risque de recevoir le marteau sur les doigts, la plume supplétive du commissariat à l’idéologie d’Etat n’hésite pas à fabriquer une proximité entre Houria Boutledja, le comique Dieudonné et l’agitateur d’extrême droite Alain Soral. Une rapide recherche sur internet permet de retrouver un texte explicite daté du 20 mai 2009 (3) par lequel l’indigène rebelle condamne très clairement les dérives de l’humoriste. Tout comme les allégations d’homophobie complétement imaginaires, ces accusations farfelues relèvent d’un procès en sorcellerie. Incapable de fonder sérieusement ses jugements, l’inquisitrice manipule la réalité pour la conformer aux représentations de la pensée hégémonique.

   Si le reste de l’article du Canard est du même tonneau, sa conclusion est honteuse. En effet, on peut être en désaccord complet avec des thèses politiques (y compris celles qu’on ne connait pas) cela n’autorise pas à des attaques ad hominem qui culminent dans une dénonciation lamentable. Selon la propagandiste Mercier, le comble de la duplicité serait que la militante du PIR soit salariée par une Institution française en contradiction avec ses convictions supposément anti-nationales. On voit à quelle sinistre époque ce genre de perfidies renvoie. Si Madame Mercier était une journaliste et avait croisé ses sources et lu « Les Blancs les juifs et nous », elle aurait évité le ridicule d’une accusation creuse. Mais à quoi servent les scrupules si, une fois de plus, garantie est donnée d’agir en toute impunité ? Ce qui a commencé par un pur délire interprétatif s’achève dans la franche mesquinerie.

   « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. » Francis Bacon

   On peut être surpris de la présence d’un tel article dans un hebdomadaire comme le Canard Enchainé (les mânes de Roland Bacri doivent convulser !) mais le fait est qu’une campagne de presse d’une rare violence est en cours depuis plusieurs mois contre le PIR et Houria Bouteldja. Un politologue sans grande envergure a acquis une notoriété à peu de frais en énonçant doctement les chefs d’inculpation de Houria Bouteldja : antisémitisme, homophobie et racisme-« anti-blanc » (4). C’est ce triptyque diffamatoire qui est le mantra de cette campagne d’agit-prop servie par une camarilla de journalistes néoconservateurs. Ces Torquemada de causes perdues sont d’autant plus enclins à diffamer qu’ils tiennent leur impunité pour acquise.

   Dans un détestable climat d’islamophobie, nul obstacle moral ne ferait douter ces propagandistes. Mais pour être influents dans leur pré carré, ces milieux nostalgiques d’un ordre révolu ne sont pas seuls dans un monde où les luttes politiques et sociales se globalisent. La version en langue anglaise (5) de l’essai de Houria Bouteldja est préfacée par le philosophe Cornel West, référence éthique majeure en termes de luttes politiques. La présence attentive et chaleureuse d’Angela Davis a été remarquée lors du dixième anniversaire du PIR. Si Houria Bouteldja n’a pas accès aux tribunes françaises, elle donne des conférences dans de grandes universités à travers le monde, de Berkeley à Coimbra, d’Adelaïde et de Melbourne en Australie, à celle de Humboldt à Berlin. Dans ces perspectives élargies, le champ des calomnies hexagonales parait négligeable et les surenchères de Sos-Racisme, organisation discréditée dans l’orbite d’un PS moribond, traduisent surtout une irrémédiable obsolescence politique.

   Naturellement, la fin de non-recevoir opposée à cette entreprise de désinformation ne signifie en aucun cas que le débat serait inutile. Il est évident que les analyses du PIR peuvent et doivent être critiquées. Mais cette suspecte cascade d’articles calomnieux centrés sur une personne est révélatrice. Le fait que la porte-parole du PIR fasse l’objet d’une telle surenchère acrimonieuse sur tout le spectre des médias français (à de rares exceptions) tend à confirmer que ses thèses dérangent en remettant en cause une orientation idéologique martelée par un oligopole médiatique univoque.

   La crispation sur de vieux réflexes coloniaux et les compulsions identitaires sont des tropismes que la France des élites éditoriales a du mal à dépasser. La mondialisation impose toutefois des révisions déchirantes et la France, comme bien d’autres pays, ne fera pas l’économie d’une modernisation politique inévitable. En attendant, il est littéralement insupportable pour des milieux constitués autour d’une indicible, mais très patente, hiérarchie ethnique que des arabes ou des noirs aient la volonté de s’organiser politiquement en dehors de toute tutelle, qu’ils remettent en cause leur statut de facto et, pire, qu’ils étendent leur influence jusque dans les rangs de partis « institutionnels » comme la France Insoumise.

   En jouant sur les peurs ces milieux comptent maintenir leur emprise sur la société. S’ils peuvent momentanément induire en erreur une partie de l’opinion, ils ne peuvent durablement bâillonner une expression politique légitime et légale, non-violente et respectueuse de l’Etat de Droit. Ses méthodes confirment que la campagne contre le PIR et sa porte-parole est une bataille d’arrière-garde. Même s’il n’est pas le premier, le Monde Diplomatique avait déjà donné le ton en aout 2016 (6), il est regrettable que le Canard Enchainé, qu’on avait connu autrefois s’opposant avec talent et humour aux puissances politiques et d’argent, joue un rôle mercenaire dans ce combat douteux.

 

 

(1) Houria Boutledja – La politique du PIR par Anne Sophie Mercier – Le Canard Enchainé – 15 novembre 2017.
(2) Cf. http://www.acrimed.org/Lu-vu-entendu-Les-sommets-de-l-imp-r-udence :Quote ” Mais revenons à Anne-Sophie Mercier. Et écoutons, la troisième « bonne nouvelle », accompagnée d’une effarante maladresse que personne n’a été relevée ou corrigée le plateau : « Depuis Mussolini, on n’avait pas un chef d’Etat... enfin, un Président du Conseil, qui avait cinq ans devant lui pour travailler. Rêvons un peu, peut-être que l’Italie peut se remettre sur de bons rails. ». Anne-Sophie Mercier rêve-t-elle d’un nouveau Mussolini ?” Unquote
(3)http://indigenes-republique.fr/houria-bouteldja-denonce-le-rapprochement...
(4) http://contre-attaques.org/magazine/article/houria
(5) https://mitpress.mit.edu/sites/default/files/9781635900033.jpg
(6) https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/HALIMI/56087

 

 

 

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