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« Le créole de la Guadeloupe / Nègres-marrons » Gérard LAURIETTE (1975)

Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
« Le créole de la Guadeloupe / Nègres-marrons » Gérard LAURIETTE (1975)

Le Guadeloupéen Gérard LAURIETTE  fut un des pionniers de la mise en valeur de la langue et de la culture créoles. Radié de l’Education Nationale, il fonda  en 1966,  L’Association Guadeloupéenne d’Education Populaire (AGEP). Ses recherches et expériences pédagogiques s’articulèrent autour de l’idée que l’élève guadeloupéen devait partir de ce qu’il connaissait et de la langue qu’il parlait pour pouvoir s’ouvrir sans dommage et plus aisément à une autre culture et à une autre langue. 

 

Gérard Lauriette s’attacha également à réfléchir à une graphie du créole. A l’heure où le GEREC  prenait naissance et s’apprêtait à vulgariser une graphie qui devait faire long feu,  Lauriette, dans son coin, cogitait. En 1975, réfugié au fin fond des bois de Vieux-Habitants, il écrivit « Nègres-marrons. Le créole de la Guadeloupe » une brochure ronéotypée, dans laquelle il livrait l’état de ses recherches. Le fascicule, composé de trois parties, ne correspond à aucun genre défini ; on y trouve pêle-mêle des leçons de grammaire, de vocabulaire, de graphies (il en propose trois) panachées d’anecdotes et de petits croquis. Sa démarche est atypique, sa réflexion on ne peut plus personnelle.

                              

1°) La première partie de « Nègres-marrons » est dédiée à Monsieur Henri Lépante de Vieux-Habitants. Elle est rédigée en orthographe créole pour semi-illettrés, nous avertit l’auteur, avant d’en préciser les éléments clefs, auxquels il a réfléchi dans un dessein didactique. Ainsi la fin des phrases est marquée par un point suivi de deux traits obliques ; la liaison entre deux sons est signalée par un accent circonflexe. Exemple :  Enri ban moin tibouin lu^il adan on boutè^ll.. // 

Dans cette première partie Gérard Lauriette raconte son arrivée sur la propriété Coulisse dans les hauteurs de Vieux-Habitants. Il s’est installé dans une petite case rustique meublée de façon rudimentaire avec à l’extérieur un foyer composé de trois roches volcaniques. En attendant le propriétaire, il scie des calebasses pour en faire des récipients à piments échaudés et à poivre. Arrive Henri Lépante. Les deux hommes s’entendent bien d’emblée et partagent leur repas. Les jours suivants pendant qu’Henri travaille dans les bois, Gérard s’applique à réaliser des calebasses pour conserver de la farine de manioc, des œufs et de la salaison. Puis il initie dans le voisinage un  bokantaj : une calebasse en échange de riz ou de sel. Les kwi sont gravés de dessins, de maximes et de conseils du genre : Mou^n ka manjé fari^n manioc pa ka constipé.

Au bout d’une semaine Gérard Lauriette estimera avoir appris deux choses : d’abord on peut constituer toute sa vaisselle avec des calebasses ensuite il est possible de les décorer, les sculpter et faire reconnaître son talent voire ses dons magiques et tout cela avec une égoïne, un couteau et une cuiller en fer.

 

2°) La deuxième partie est dédiée à M. Marceau Etna, Directeur d’école, Maire et Conseiller Général de Vieux-Habitants. Elle est rédigée en orthographe créole étymologique pour être lue par des lettrés francophones. Quelques outils sont donnés pour faciliter le déchiffrage : les consonnes finales ne se prononcent que si elles sont suivies d’une apostrophe, le h aspiré comme dans « hasier » est souligné d’un trait.

Lauriette évoque une expédition dans les bois avec Henri accompagné de son chien Eddy (comme Eddy Constantine) un chasseur de racoon émérite et de son âne (auquel il accorde un an de repos chaque année). Les deux compères arrivent à proximité de la Ravine Ofran sur les vastes terres plates de Monsieur Valeau le sénateur. La conversation roule sur les problèmes liés à la difficulté de se déplacer dans cette région de mornes et de rivières. Gérard écoute tous les renseignements donnés par Henri, un spécialiste en matière d’agriculture, il est question de plantation de malanga, de madè, de tomates et de choux. Plus tard, Gérard refera, seul, le même parcours pour rejoindre son ami. Henri lui montre là où vivaient autrefois les nègres-marrons ainsi que l’emplacement d’un cimetière. Il est question d’histoire mais aussi d’us et coutumes : la chasse aux gros-becs avec un lance-pierres, aux ramiers, le passage à gué des rivières en crue, les paniers faits avec les feuilles d’abaka, la pêche aux écrevisses…

 

Le séjour dans les hauteurs de la Grande Rivière correspond à une véritable initiation pour Gérard qui apprend, grâce à Henri Lépante, à vivre en autarcie comme, jadis, les nèg réfugiés dans les forêts. On mange des bananes rôties, on fait cuire des malanga enveloppées dans des feuilles de siguine, sous un feu de charbon de bois. On allume ce feu avec un morceau de pierre à tonnerre (silex) et le dos d’un coutelas ou des morceaux de bois-chandelle. Gérard jubile de vivre aussi simplement: « Moin mangé en coui-là, moin bouè d-l’eau en coui-là, moin lavé mains en moin et figui an moin en coui-là ; moin lavé pieds an moin avè coui-là ». M. Coézi lui apprend ensuite ce qu’est un ajoupa marron, comme ceux que faisaient les nèg-kongo avec des poteaux ronds, des golèt, des cordes et des feuilles de  zèl-a-mouch.

En annexe de cette partie nous est proposé un texte attribué à un métis négro-caraïbe nommé Ko-yèt. Il s’agit d’une apostrophe lancée à un blanc, Tessier de la Valade. Le texte est en français. Il y est question de violence à l’égard des nègres, d’assassinat, de viol, de justice immanente… La tragédie se serait déroulée sur la propriété de l’Ermitage à Trois-Rivières et se termine par le départ pour la Dominique de Ko-yèt avec l’argent, les vêtements et le canot que lui aurait donnés le blanc effrayé et soucieux de se débarrasser au plus vite d’un esprit rebelle. *

 

3°) La troisième partie écrite en orthographe créole phonétique est dédiée à Mademoiselle Anne Pajot, Citoyenne du Monde, Membre de la Ligue Antimilitariste et de la Ligue Antiraciste de Livry-Gargan. Dans deux lettres adressées à Anny, l’auteur va expliciter son projet d’écriture  du livret intitulé « Nègres marrons ». Il raconte donc à sa correspondante les péripéties de sa vie à Vieux-Habitants mais son récit est franchement embrouillé et décousu. On retient cependant que Gérard est troublé par un constat : il lui est possible de vivre en 1975, comme un marron entre 1802 et 1848 parce qu’il se trouve dans des conditions similaires. On comprend qu’il se cache pour échapper à la geôle. Son manque de ressources est souligné ainsi que les petites sommes d’argent qu’il faut sans cesse escompter des gens charitables rencontrés en chemin. Soucieux de devenir un  mofwazé , il change de nom pour devenir Edmond (son 2è prénom) Pineau (le nom de sa mère) et décide que dorénavant ses écrits seront bilingues.

Puis il raconte un épisode marquant de son séjour. Un jour, sur la berge de la Grande Rivière, il a senti le souffle des marrons au point d’en être indisposé. Même Henri Lépante, cet homme téméraire et résistant, choqué par cette présence fantomatique, a dû s’étaler sur une grosse roche « comme un agonisant.»

 

Pour G. Lauriette les seuls hommes valeureux que la Guadeloupe ait jamais portés, sont les nèg-mawon car explique-t-il « Pour changer les lois ou les faire se modifier il faut d’abord que certains désobéissent aux lois et prouvent qu’ils peuvent vivre hors de la société qui applique de telles lois. »

L’épilogue s’achève ainsi : «  Depuis que des juges professionnels m’ont condamné à trois mois de prison et que je me suis fait nègre-marron, des blancs de France et des blancs créoles, des nègres et des mulâtres, des indiens, des vieux et des enfants m’ont aidé avec amour ».

 

Pour finir, il faut noter que les trois parties du livret sont écrites sur une page en créole (chacune dans la version graphique illustrée) avec en face le même texte en français. L’ensemble est empreint de simplicité, d’amour des autres et de la Guadeloupe.

 

      Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

 

 

* Texier Lavalade a effectivement existé. De sinistre réputation, c’était un esclavagiste tortionnaire. Propriétaire d’une habitation caféière à Trois-Rivières, il était capable notamment de battre un homme à mort comme en témoigne la chronique judiciaire de l’époque.

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