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Le développement de la production locale aux Antilles n'est pas qu'une affaire de statut !

Jean-Marie Nol
Le développement de la production locale aux Antilles n'est pas qu'une affaire de statut !

 Afin de faire pièce à toutes les spéculations, il convient de s'interroger en tout cas sur la corrélation entre production locale, secteur bancaire et coût du travail en Martinique et Guadeloupe. 

 L'insuffisance du développement de la production locale n'est pas du tout liée à un problème de statut, contrairement à ce que ne cessent de marteler certains, et ce même si l'argument d'une fiscalité locale de nature à se protéger de la concurrence déloyale mérite d'être entendu. Ainsi tous les territoires ultramarins jouissant de l'autonomie et du statut de PTOM rencontrent les mêmes difficultés que la Martinique et la Guadeloupe en matière de développement de la production locale. En réalité, la faiblesse de la production locale est due selon nous à une défaillance du système bancaire et surtout à un coût du travail prohibitif. La problématique de départ pour comprendre l'état atone de la production locale est simple : il y a un excès d’épargne en Martinique et en Guadeloupe, et pourtant les entreprises, particulièrement les PME qui évoluent dans le secteur de la production, ont souvent du mal à se financer. En comparaison, la France hexagonale dispose d’un écosystème qui facilite l’accès des entreprises aux capitaux avec plusieurs fonds de capital-risque. En Guadeloupe et à la Martinique, il existe très peu de sociétés de capital-risque (2 exactement). L'écrasante majorité du financement des entreprises vient des banques et le restant provient de la défiscalisation. Quand elles veulent emprunter, les entreprises se tournent principalement vers leur banquier local. Or, le paysage bancaire aux Antilles est fragile et morcelé. Beaucoup d’établissements bancaires de la place sont fragilisés par la faiblesse des taux d’intérêt qui réduisent leurs marges bénéficiaires, ce qui diminue leur capacité de prêts. D'où la question : comment mieux financer l’économie de production aux Antilles françaises ?

 

Le secteur bancaire tant en Martinique qu'en Guadeloupe est totalement dominé par les banques de la France hexagonale qui sont par ailleurs en pleine mutation du fait de la révolution technologique et de la crise du ccoronavirus. De fait, les entreprises et les ménages en Martinique et Guadeloupe se sont toujours heurtés à des difficultés considérables pour bénéficier de financements abordables, sous forme de bas taux d'intérêts, de frais d'intervention faibles et de commissions moins élevées.  De nombreuses entreprises et la plupart des ménages ne peuvent toujours pas avoir accès aux services financiers pour financer des activités dans le secteur de la production, notamment aux financements à long terme. Les besoins de financement des entreprises restent en grande partie insatisfaits, notamment en raison d'une insuffisance de fonds propres. Les organismes de financement commerciaux refusent souvent de prendre en charge les financements industriels et agricoles, qu’ils jugent trop coûteux et trop risqués, sans parler des problèmes susmentionnés des fonds propres et des aléas du marché. Nonobstant le déni de réalité de certains esprits chagrins nostalgiques d’un passé révolu, nous sommes déjà confrontés, à une crise systémique, structurelle et durable de l’agriculture en Martinique et Guadeloupe. La canne à sucre et la banane, les deux productions des îles, sont en sursis. Quant aux cultures fruitières et maraîchères, elles ne parviennent pas à couvrir les besoins des 380 000 Guadeloupéens. Chaque année, l’île doit importer environ 16 000 tonnes de fruits et de légumes. Il faut noter un déclin progressif de l’activité agricole devant la très rude concurrence des pays de la Caraïbe, d’Amérique latine et d’Afrique, et ce à cause du faible coût de leur main d’œuvre. Les cultures vivrières sont quasiment inexistantes et peinent à alimenter le marché local à des prix compétitifs. Cette dernière spéculation agricole n’est d’ailleurs plus l’apanage des guadeloupéens, quand on sait que 90 % de la production agricole et de la commercialisation des fruits et légumes en Guadeloupe est actuellement concentrée entre les mains des ressortissants haïtiens. En effet, très rare sont les Martiniquais et Guadeloupéens qui veulent travailler la terre. Et on parle de développement endogène mais posons-nous la question au profit de qui ? ….. La réalité des choses est que le secteur agricole survit tant bien que mal, aujourd’hui en Martinique et en Guadeloupe, grâce aux subventions venant de l’Europe (Posei)  . C’est pour ces motifs que nous devons de nouveau méditer cet adage suivant :

 

 » Le pessimiste se plaint du vent ; l’optimiste espère qu’il va changer ; le réaliste ajuste ses voiles ».

Pourquoi cette citation est importante dans le contexte actuel de développement de la Martinique et de la Guadeloupe ? Tout simplement parce que le poids du secteur agricole dans les économies – du Nord comme du Sud – n’a cessé de diminuer depuis deux siècles. Aujourd’hui, l’agriculture ne représente plus que 20 % du PIB dans les pays à bas revenus, 10 % dans les pays intermédiaires et 2 % dans les pays à hauts revenus. La part des agriculteurs dans la population active ne dépasse 28 % que dans les pays à bas revenus. En Guadeloupe, cette part est de 3%. Le mouvement d’ensemble est général : en transférant leurs ressources (en main-d’œuvre et en capital) vers l’industrie, puis le tertiaire, un cycle vertueux de croissance a pu être engendré. En augmentant la richesse, mais également en veillant à sa répartition entre individus, les pays se sont dès lors développés non à partir de l’agriculture mais de l’industrie et maintenant avec les services et les nouvelles technologies. Ainsi, l’agriculture n’est plus considérée par les économistes comme un élément majeur dans la modification et l’amélioration des richesses d’un pays. De plus, les règles du commerce international ont changé ; l’ère de la libéralisation prône un commerce fondé sur les avantages comparatifs. Le mouvement d’ensemble général est alors remis en cause et l’idéologie selon laquelle l’agriculture est le moteur du développement est contestée maintenant par la quasi-totalité des économistes du développement. D’ailleurs, dans notre environnement proche de la Caraïbe, quasiment plus aucun pays ne mise sur l’agriculture comme moteur de développement et création de richesse. C’est le tourisme qui a pris le relais des vieilles cultures coloniales d’antan. Pour autant, il n’est pas question de n’avoir plus de développement agricole dans les pays émergents, mais au contraire de veiller à une production essentiellement basée sur les besoins alimentaires de la population autochtone des îles de la Caraïbe. Pour ce qui concerne spécifiquement la Martinique et la Guadeloupe, il faudrait plutôt envisager un retour aux jardins créoles. Pourtant, on ne peut nier que partout dans la Caraïbe, cette production agricole endogène s’avère marginale, car la plupart de ces pays importent encore entre 70 % à plus de 90% de leurs besoins alimentaires locaux. 

 

Pour comprendre ce qui nous arrive et nous attend, des idées du passé comme celui du développement endogène axé prioritairement sur le secteur primaire agricole. Alors, faut-il faire table-rase de ce passé de pays fortement dépendant de l’agriculture dans les années de la colonisation ? A priori Non pour certains et pourquoi pas pour d’autres ? … Mais alors c’est oublier qu’à l’époque le secteur agricole représentait 90 % du PIB, c’est à dire de la production de richesse en Guadeloupe, mais que la contrepartie résidait dans l’existence d’un taux de pauvreté de 87% sur le territoire guadeloupéen. Encore faudrait-il savoir de quelles idées du passé se défaire. Nous en voyons une qui à notre sens constitue la vieille lune véhiculée par certains intellectuels, politiques et syndicalistes à savoir : la chimère de l’autosuffisance alimentaire et le mythe d’une production locale facteur de développement économique et de création de richesse. Cela s’avère-t-il encore possible ? Pour mieux comprendre cette problématique, il est intéressant d’analyser comment s’est réalisée à la Guadeloupe, la croissance économique. Au moment de la départementalisation, tous les acteurs économiques et politiques croient que l’injection de l’argent public suffirait pour susciter une demande et une production, puis par effet boule de neige, aboutirait à une croissance auto-entretenue. On est là en présence du schéma type du multiplicateur Keynésien très à la mode dans les années 50-60. Dépenses de fonctionnement, rémunérations des fonctionnaires augmentées de 40%, investissements publics, prestations et aides sociales, toute la panoplie des transferts publics y passeront. En réalité le mécanisme de croissance alimenté par la demande a très bien fonctionné (élévation notable du niveau de vie et progrès social incontestable), mais l’appareil productif plombé par l’économie de plantation et de comptoir n’étant pas prêt, le processus cumulatif attendu ne s’est pas opéré. Ce qui constitue le moteur de l’économie de la Guadeloupe, c’est l’importance de la consommation finale des ménages. Cette consommation est très supérieure à la production marchande locale, et à noter que cela peut être observé de plus en plus dans une économie moderne dite développée.

En réalité c’est la structure même de cette économie qui dès le départ allait fausser les postulats du théorème keynésien. La Guadeloupe comme la Martinique présentent en effet les caractéristiques des économies sous-développés. L’essentiel des terres arables dans ces départements est occupé par la canne à sucre et la banane destinées à l’exportation. Le secteur agricole ne peut faire face à une demande accrue de produits agricoles et alimentaires car la diversification est encore balbutiante. Les structures foncières (vieillissement et taille des exploitations), la multiplication des intermédiaires, le subventionnement important par l’Europe de produits agricoles ou de certaines filières (canne, banane, melon, ananas, élevage) vont constituer- sauf rares exceptions- des embûches sur le chemin de l’auto-suffisance alimentaire. Toutefois, la politique de parité sociale engagée lors de la départementalisation -à juste titre- entre la France hexagonale et les Antilles françaises   ne permet pas à ces dernières d’être compétitives avec des pays de latitude comparable dans le monde voire dans la Caraïbe. Le principal défaut des productions locales, c’est qu’elles sont très chères comparées aux importations et ce en raison d’un coût du travail trop élevé. Et ce facteur est rédhibitoire et donc interdit toute création de richesse à partir de la production agricole sur le territoire de la Martinique et de la Guadeloupe. 

 

Après tout, il n'y a là qu'une question de bon sens. La demande de travail émane des entreprises (il s'agit de l'offre d'emploi). Elle est une fonction décroissante du salaire réel et dépend de la productivité marginale du travail : l'entreprise n'embauche un travailleur supplémentaire que s'il produit plus qu'il ne coûte. Sur un marché particulier, comme celui de la Martinique et de la Guadeloupe, les coûts salariaux tirés vers le haut par les 40% de sur-rémunération des fonctionnaires diminuent l'activité de production et augmentent les prix. Dans le cas de la Guadeloupe, des facteurs spécifiques ont pu s'ajouter aux causes communes à tous les pays. La forte hausse du Smic à partir des années 80/90, qui rattrapait le retard accumulé sur les salaires moyens et qui a été aligné sur le smic de la France hexagonale, a renchéri au plus mauvais moment le coût du travail, nourrissant l'inflation et la dégradation des conditions de l'offre de production locale. Un coût du travail trop élevé en Guadeloupe est considéré par certains économistes comme un facteur explicatif du marasme de la production locale.  La Guadeloupe est l'un des pays, en effet, où le poids de la masse salariale et des cotisations patronales de sécurité sociale (à la charge des employeurs) est le plus lourd. C'est ce qui contribue du reste, largement, à un niveau de prélèvements obligatoires total beaucoup plus élevé que la moyenne des pays de la Caraïbe.  Il résulte de cela un chômage endémique qui est la conséquence avant tout d’un coût du travail excessif, c’est-à-dire de salaires et de « charges sociales » trop élevés. C'est l’hypothèse néo-classique de l’excès du coût du travail qui alimente un chômage de masse dû à la présence de « rigidités » sur le marché du travail en Guadeloupe. Cette dernière n'est pas compétitive pour assurer un développement pérenne de la production locale. La production locale a été anesthésiée jusqu’ici par une productivité insuffisante et par un coût salarial trop lourd à supporter pour les entreprises du secteur agricole et ce en dépit des aides publiques, et la courbe ne pourra manifestement pas s’inverser par un simple changement de statut d’autonomie. (Au total, le montant des aides agricoles versées à la Guadeloupe a crû de 60 % entre 2008 et 2018, passant de 370 M€ à 890 M€ sans aucun résultat tangible). L’exemple de l’île de marie galante peut être considéré comme un raccourci à petite échelle de la situation en Guadeloupe proprement dite car une étude de l’Insee montre que la part de l’agriculture dans les emplois à Marie-Galante est passée de 45 % en 1982 à 7 % en 2019. C’est là une preuve tangible du déclin inéluctable de l’économie agricole. Un constat d’échec patent de la production locale, alors reste à inventer un nouveau modèle économique que nous qualifions d’exogène car basée sur le progrès technique et les importations de produits bruts destinés à être transformés sur place dans le secteur de la production agro-alimentaire !

 

Quand on évoque ce que pourrait être l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe, inexorablement on pense au tourisme, à l’industrie agro-alimentaire et à l’exportation vers l'Europe et la zone Caraïbe. Mais en réalité, il est des secteurs extrêmement stratégiques telles que les technologies de l’information et de la communication. Les TIC permettent à des petits pays comme les nôtres de transformer radicalement les modalités de production, de livraison, de vente et d’achat de biens et services. C’est pourquoi les politiques doivent gérer les transformations structurelles associées à ces évolutions avec une autre vision du développement que celle basée sur l’agriculture primaire. 

 

Il convient donc de réinventer, la politique économique de la Martinique et de la Guadeloupe à savoir dessiner un nouvel acte fondateur de la production locale sous la contrainte d'une double crise sanitaire et économique sans précédent. Il doit s'agir d'une rupture avec de fortes ambitions - écologie, souveraineté économique locale, justice sociale. Ce qui se conçoit bien est porteur d’espérance et non de désespoir… il faut laisser du temps au temps.

 

« Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. (Jean Monnet) – là est notre crédo !

 

Jean-Marie Nol (économiste)

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