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Le serpent de mer de la Zone Franche Globale (ZFG) : Une fausse bonne idée ?

Michel BRANCHI
Le serpent de mer de la Zone Franche Globale (ZFG) : Une fausse bonne idée ?

L’idée de transformer la Martinique en zone franche globale (ZFG) ressurgit dans le cadre de l’actuelle campagne électorale. Cette proposition est soutenue par Serge Letchimy et Philippe Edmond-Mariette qui s’appuient sur les conseils de l’inévitable Claude Gelbras, expert. Le patronat martiniquais au grand complet plus prudemment avait demandé le 10 avril 2015 à François Hollande « une réflexion approfondie et partenariale (…) sur la notion de Zone Franche Globale ».

De quoi s’agit-il ?

Une zone franche est une zone géographique d'un territoire dont le développement de l'activité économique a été jugé prioritaire par les autorités.
Le principe des zones franches est qu'elles offrent des avantages fiscaux (exonération de TVA, exonération d'impôt sur les bénéfices ou les plus-values, etc.) et des exonérations de droits de douane (taxes à l'importation ou à l'exportation), dans le but d'attirer des investisseurs.

En France, le gouvernement a mis en place en 1996 des zones franches urbaines (ZFU). Il s'agit de quartiers de plus de 10 000 habitants situés dans des zones dites sensibles ou défavorisées qui ont été définis selon leur taux de chômage, la proportion de personnes sorties du système scolaire sans diplôme, la proportion de jeunes et le potentiel fiscal par habitant. Les investisseurs y bénéficient d'exonérations de charges fiscales et sociales durant cinq ans : Les entreprises de moins de 50 salariés y sont exonérées durant cinq ans de la taxe foncière, de l’impôt sur les bénéfices (avec un plafond de 100 000 euros), de la contribution économique territoriale (ex-taxe professionnelle) et des cotisations sociales patronales sur les bas salaires. « Le bilan de ces ZFU est mitigé. 64 000 établissements y étaient implantés début 2012, soit 3,5 % de plus qu’en 2011, mais seuls 22 % des emplois exonérés concernent des résidents de ces quartiers » (Alternatives économiques n° 335-1/05/2014). « Globalement plus de la moitié des implantations en ZFU sont dues à des transferts d’activité » (Revue Alternatives Economiques -1/02/2012).

En Martinique existe depuis le 1er janvier 1997  la zone franche urbaine(ZFU) de Dillon à Fort-de-France. En réalité plus que de créations d’emploi comme le prétend le sieur Claude Gelbras, elle a surtout provoqué des transferts d’entreprises (effet d’aubaine) et d’emploi sans effet d’entrainement économique. Il s’agissait d’offrir un espace aménagé pour de nouvelles entreprises en offrant des allègements fiscaux et des charges. Selon une monographie de l’Insee (octobre 2010) la zone franche urbaine de Pointe-à-Pître (créée en 1997) entre 1999 et 2006 il n’y a eu aucun changement en termes d’activité et d’emploi par rapport au reste de la Guadeloupe. Mais les trois quart des chômeurs de la ZFU de PAP sont des chômeurs de longue durée (plus d’un an)  et leur nombre est plus élevé que dans le reste de la commune et que dans l’ensemble de la Guadeloupe. La création d’entreprises a été dynamisée dans les deux premières années. Après…

Des zones franches d’activité outre-mer ciblées

Dans le cadre de la loi  pour le développement économique des Outre-mer les Dom(Lodeom) ont été érigées en zone franches d’activités(ZFA) sous Sarkozy en 2009. Selon l’Iedom, l’instauration de zones franches d’activité, qui est venue alléger les prélèvements fiscaux des entreprises, en instaurant des abattements sur les bénéfices imposables (à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés) et sur les bases imposables à la cotisation foncière des entreprises, à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, à la taxe foncière sur les propriétés bâties et des exonérations en matière de taxe foncière sur les propriétés non bâties. Ces avantages sont majorés pour une liste limitée de secteurs et certaines zones géographiques prioritaires (celles éligibles à la défiscalisation). Le nombre d’entreprises potentiellement éligibles était estimé à 20 000 environ lors de l’élaboration de la loi. La ZFA est prévue pour s’achever fin 2017.

Des cadeaux fiscaux existants phénoménaux : près de 4 milliards d’euros

Il faut prendre en considération que, selon la Fedom, l’ensemble des avantages fiscaux accordés par l’Etat aux pays d’outre-mer s’élève à 3,9 milliards d’euros en 2017 (dont 485 millions d’euros pour la seule défiscalisation des investissements productifs), que les exonérations de cotisations sociales outre-mer se sont montées se sont montées à 1,12 milliard d’euros en 2014. Le coût des dérogations accordées aux zones franches  d’activité (ZFA) a été de 144 millions outre-mer en 2015. Pour la seule Martinique selon les dernières données disponibles en 2012, le montant des exonérations de charges sociales en Martinique s’est élevé à 273 millions d’euros et a concerné 10 900 entreprises (Rapport Iedom 2012). Pas de données publiées depuis par l’Iedom. Les Dom ne sont pas loin d’être déjà des paradis fiscaux et cela depuis 1953 et plus particulièrement avec la loi Pons sur la défiscalisation en 1986.

Des taux de profit supérieurs en Martinique à ceux de France

Questions qui fâchent : Quelle est l’efficacité économique et sociale de ces aides importantes vu les taux de chômage et de pauvreté qui restent élevés malgré une légère amélioration sur le front du chômage depuis 1 à 2 ans ? Quel effet sur le développement compte tenu de la dépendance du pays à l’égard de l’importation ? Et pourquoi les profits importants réalisés en Martinique (plus d’ 1 milliards d’euros par an) ne sont réinvestis depuis 10 ans que parcimonieusement alors que le taux de marge est toujours supérieur à celui de la France malgré la crise : 35 % contre 32 % (Insee-Analyse n° 12 d’octobre 2016 et n°14 de Décembre 2016) ?

Zone Franche Globale Corse : Quels résultats ?

La proposition de transformer la Martinique entière en  zone franche globale s’appuie sur l’expérience corse selon Claude Gelbras.

Cette Zone Franche Globale (ZFG) en Corse entre 1997 et 2001, sous Alain Juppé, souvent citée en référence proposait pour l’ensemble des activités économiques :

  • L’exonération de la Taxe Professionnelle pour les entreprises ;
  •  L’exonération de la Taxe Foncière ;
  • Des exonérations de revenu (sauf immobilier,..) sur 5 ans (Ménages) ;
  •  Baisse du taux de la TVA ( de 5.5% à 2.1%,..) ;
  • L’exonération de l’Impôt sur les Sociétés (I.S.) ;
  • Exonération des cotisations sociales des artisans, commerçants,.

Les cotisations patronales de sécurité sociale font l’objet d’un allégement dégressif. Le dispositif s’applique sans limitation de taille à toutes les entreprises nouvelles et aux extensions d’entreprises existantes sur cinq ans.

Le coût pour l’Etat était évaluée à 450 M€  (70 M€ par an ; à titre de comparaison, le Conseil Général de Haute Corse investit 50 M€/an).

Un « échec relatif » (Paul Giacobbi)

Selon le député de Haute-Corse, Paul Giacobbi, venu en Martinique à l’UAG pour un colloque sur les zones franches globales le 12 juin 2006  les résultats de cette expérience citée comme modèle par Claude Gelbras sont un « échec relatif » : « (…) Les résultats sont les suivants :
Une incontestable amélioration des fonds propres des entreprises. Ils ont augmenté de 50% de 1996 à 1999 en valeur absolue et le rapport fonds propres/ total du bilan a progressé de 15%.
Peu d’impact direct sur la croissance et l’emploi et même l’investissement au travers des entreprises existantes.
Aucun effet d’attraction vers des entreprises ou des porteurs de projets continentaux.
Ces différents points doivent s’apprécier avec quelques nuances et une bonne connaissance d’un contexte très particulier (…). Cependant, la zone franche a sauvé de la faillite un grand nombre d’entreprises exsangues.
Il y a eu une progression de l’emploi salarié en Corse et une forte diminution du chômage (de 15 à 10% en Corse, de 12 à 10% pour la France).
Cependant, dans le contexte particulier de la Corse, il est évident que cette amélioration est aussi la conséquence d’une diminution du travail clandestin par un resserrement des contrôles, ce qui est une bonne chose mais qui n’a rien à voir avec la zone franche.
Ne confondons jamais en économie la corrélation et la causalité, (…) ».

Dans la même veine. Selon Témoignages, quotidien du PCR en date du 24/11/2006, « la ZFG de Corse a eu des résultats mitigés. L’île de Beauté a connu un développement économique, rien ne permet de dire qu’il est imputable aux mesures de la Zone franche globale. Rendant compte d’une discussion entre Nicolas Sarkozy et des acteurs socio-économiques de l’île, “Le Monde” titrait le 28 janvier 2003 : « La zone franche corse a peu contribué au développement économique de l’île ». La zone franche n’a pas suffi pour autant à inverser le déséquilibre majeur qui affecte l’économie corse. Le secteur public écrase le secteur marchand, composé pour l’essentiel de PME, voire de micro-entreprises, analysait le journal ».

Des retombées négatives non contrôlables

La Zone Franche Globale ( ZFG) devrait nécessairement coûter plus “cher” (pour La Corse, la franchise fiscale valait 75 millions d’euros ). L’Etat voudra-t-il faire l’effort ? Or, il cherche à se dégager de plus en plus outremer (baisse régulière des transferts publics depuis 2011 selon le Pr Olivier Dudrie). Les entreprises doivent se mettre en situation régulière notamment en matière de paiement des charges pour avoir droit aux avantages de la ZFG. Peu de petites entreprises pourront le faire vu le nombre élevé de défaillances parmi elles. L’Etat va-t-il vraiment compenser les allègements de taxes locales ayant succédé à la taxe professionnelle (CFE, CVAE, etc) accordées ? Donc les collectivités locales risquent de souffrir encore plus. Et la baisse de la  protection sociale ne sera-t-elle pas le prix à payer pour les cadeaux fiscaux et sociaux aux capitalistes locaux ou extérieurs ?

Enfin qui va contrôler les effets pervers de la venue d’investisseurs et spéculateurs attirés par les allègements fiscaux et sociaux proposés ? La CTM n’a aucune prérogative dans ce domaine. En Chine (Zones économiques spéciales)) ou à Cuba (Mariel) les zones franches, territorialement délimitées, sont incluses dans une stratégie de Développement maitrisée de nations souveraines. Une partie du grand patronat martiniquais est farouchement contre cette ZFG, sans doute de peur de voir bousculer ses positions économiques. Mais il y a aussi un danger pour nos TPE et PME.

Il est clair que si l’on veut engager un nouveau modèle économique il faut utiliser, entre autres instruments, le levier fiscal. La question demeure : Quelle autorité politique en dispose ? Et quelles contre-parties exigées en matière d’investissements et d’emplois en échange des avantages accordés ?

A l’heure où la Martinique élabore son plan de développement avec comme 1er étage son schéma de développement économique (STDEII) on ne peut esquiver un vrai débat sur le statut fiscal spécifique ou dérogatoire qu’elle doit obtenir.

                                                                                                   Michel Branchi

                                                                               Economiste (25/05/2017)

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