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L’enlèvement de mon père m’a volé ma vie”, Canelle Kieffer témoigne

L’enlèvement de mon père m’a volé ma vie”, Canelle Kieffer témoigne

Le père de Canelle, Guy-André Kieffer, est enlevé en avril 2004 en Côte d’Ivoire. Depuis, l’enquête n’a jamais abouti. Ce samedi 16 avril 2016, cela fait 12 ans que la jeune femme attend qu’il revienne.

« Good memories. » Il y a quelques jours, Canelle se connecte à Facebook, comme tous les matins. Avec une photo entourée de coeurs et mise en valeur par un bandeau coloré, le réseau social lui rappelle gentiment... la disparition de son père, 12 ans plus tôt. À bientôt 30 ans, la directrice de production dans le domaine de l’audiovisuel n'oubliera jamais le jour où sa vie à basculée.

Avril 2004. La jeune femme alors âgée de 17 ans, rentre du lycée, comme tous les soirs. L’une de ses amies l’appelle. Au journal de 20 h, David Pujadas vient d’annoncer la disparition d’un certain Guy-André Kieffer sur un parking Abidjan en Côte d’Ivoire. « Est-ce que tu le connais ?» C'est la déflagration. Sous le choc, elle s’effondre. Un coup de fil aura suffi à marquer le début de ce qu’elle appelle aujourd’hui « une longue descente aux enfers » qui commence par le regard des autres dès son retour au lycée, le lendemain. « Ils savaient tous. Je pouvais lire la pitié et la compassion sur leurs visages. Je n’en voulais pas. Et je n’en veux toujours pas. »

L'homme qui en savait trop 

Début des années 2000. Le père de Canelle, GAK, comme l'appelait ses confrères, vient de prendre congé de La Tribune, un journal de décryptage économique. Parti en Côte d’Ivoire, le journaliste enquête sur la filière café-cacao. Les revenus de la branche représentent 40% des revenus du pays, une manne financière où de nombreux intérêts sont en jeu. Il met vite le doigt sur de nombreuses irrégularités : détournement de fonds, financements d’armes, corruption… un gros dossier sur fond de Françafrique. De hauts dignitaires sont impliqués, jusqu’au président de l’époque, Laurent Gbagbo et sa femme, Simone. Peu de temps avant sa disparition, il déclare dans une interview à France 24 (rediffusée sur France Inter dans l’émission “Affaires Sensibles” du mercredi 3 juin 2015) « il va bien falloir mettre de l’ordre là-dedans ». Il publie de nombreux articles sous pseudonyme dans différents journaux locaux pour dénoncer ces pratiques. Il se sait menacé. Il sait qu’il en sait trop.

Une relation difficile avec les médias

A sa disparition, de nombreux médias s’emparent de l’affaire et suivent l’enquête comme d’autres une série télévisée. Quitte, parfois, à aller trop vite en besogne en relayant des infos non vérifiées. « Tellement de choses ont été dites ! Une fois on l’aurait retrouvé pendu à un arbre. Une autre, il aurait été tué d’une balle dans la tête puis jeté au crocodile. Les journalistes ne se rendaient pas compte de l’impact que cela pouvait avoir. » se souvient Canelle avec amertume. Elle se rappelle avec douleur ce jour, en janvier 2012, où un corps est découvert. Il pourrait s’agir de celui de son père. Il faut attendre de longs jours les résultats de l’analyse. L’ADN du squelette exhumé ne correspond finalement pas à celui de GAK. C’est la déception, une fois de plus. Elle avance dans la vie, sans son père à ses côtés. « J’aurais tellement aimé qu’il soit là quand j’ai rencontré mon copain, quand j’ai eu mon job. Je vais bientôt fêter mes 30 ans et il n’y sera pas. Je ne vis plus. »

A chaque fausse piste, à chaque désinformation, « il faut encaisser, continuer et, surtout, se

relever.» C’est une lutte de chaque instant. De sa voix douce elle évoque avec tristesse le « décompte des journalistes au journal télévisé ». Nous sommes en 2009. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, deux journalistes de France 3, viennent d’être enlevés au nord-est de l’Afghanistan alors qu’ils étaient en reportage pour l’émission “Pièce à conviction”. Leurs proches se mobilisent et la rédaction tout entière de France Télévisions égraine, chaque jour, le nombre des journalistes français disparus. Le père de Canelle n’en fait pas partie. « Est-ce que vous pourriez parler de mon père, l’ajouter au décompte ? » La sentence tombe, sèche et lapidaire : « nous ne parlons que des journalistes vivants. » GAK travaille en indépendant depuis trop longtemps. Il n’a plus le soutien inconditionnel de sa rédaction et sa famille peine à mobiliser les foules. « C’est comme s’il n’existait même plus, comme si ses propres confrères l’avaient oublié. »

Le grand gamin, l'oncle et la famille désunie 


 

Sur place, les confrères de GAK le trouvaient stressé et anxieux. C’est un autre personnage que dépeint sa fille. « C’était un grand gamin qui adorait faire des blagues. Il me lançait parfois un verre d’eau à la figure et il rigolait “debout les crabes, la mer monte !” On rigolait beaucoup.» Sa voix se fait plus grave. « On m’a volé ma vie. Je me lève en pensant à ça, je me couche en y pensant. Je vis avec une absence quotidienne. Mon frère lui ressemble énormément. Il a la même démarche le même comportement. Mon propre reflet dans une glace est difficile à vivre. Je ne vis pas, je suis dans l’attente de savoir. » 

Canelle et sa famille se sont montré patientes. Depuis plus de 10 ans, ponctués de fausses pistes et témoignages, trois présidents ont pourtant promis leur soutien pour résoudre l’affaire. Le président Gbagbo, d’abord, dont la femme a pourtant été appelée à comparaître. Son successeur, Alassane Ouattara. Puis Nicolas Sarkozy. « J’ai surtout l’impression que l’on s’est moqué de nous. Le rôle des politiques, ça a surtout été une petite tappe sur le dos. Ils n’ont jamais eu l’intention de nous aider » estime Canelle. La disparition de GAK tombe au mauvais moment. Les violences s’enchaînent suite à un coup d’Etat qui se soldera en guerre civile. Le pays est à feu et à sang. Les morts se comptent en  milliers. Mais la jeune femme ne se plaint pas « comparée à d’autres, nous avons eu beaucoup d’aide. »


 

Pour connaître la vérité, le frère du journaliste, Bernard, va passer 11 ans de sa vie à enquêter, en collaboration avec Benoît Collombat, grand reporter chez France Inter. Il publiera un livre de 240 pages, Le Frère perdu, où il mettra aussi en cause la diplomatie hexagonale, comme si son frère avait été un « caillou dans la chaussure des politiques français ». Et ses deux demandes à l’Elysée au Président François Holande resteront sans réponse. Dans une interview à France Inter, il exprimera d’ailleurs sa tristesse face, selon lui, au décès fortement probable de son frère. Même si elle approuve la démarche de son oncle, la jeune femme estime que « son livre n’a rien changé. » Même si « on est tous impliqué, qu’on veut tous savoir ce qui s’est passé » ce qu’elle regrette surtout, c’est que la disparition de son père les « a tous éloignés les uns des autres. »

Mais Canelle ne veut pas perdre espoir. Elle sait que si son père l’entend, il gardera espoir. Incapable de commencer à deuil face à une enquête jamais aboutie. Elle veut juste « qu’il rentre à la maison. »

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