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LES DITS DES OURS

Thierry Caille
LES DITS DES OURS

Cher Raphaël,

Quelques réflexions que m’ont dictées les ours des Pyrénées, traduites de l’occitan.

A propos de tes derniers mails je te rappelle  que tu as passé quarante-douze mille heures à te justifier de n’être pas antisémite. Tu as passé quarante-douze mille heures à te justifier de n’être pas raciste. Et tu as passé autant de temps à te justifier de n’être pas un «raciste anti-français» comme te l’a reproché Finkielkraut, une référence celui-là.

Mais ne te justifie pas auprès de moi là-dessus, économise-toi. D’autant que dans mon texte «Le cyclone Raphaël» paru sur MONTRAY, après avoir démontré que tu n’étais ni antisémite ni raciste, je justifiais le contraire à savoir que tu avais le devoir d’être «un raciste anti-français».

Tu m’a dit aussi que derrière l’indépendance c’est l’identité de la Martinique qui te préoccupe. J ‘en suis convaincu autant que toi et je l’ai écrit sur MONTRAY  dans le texte «Moi, Martiniquais» il y a quelques mois. Pire, je vais te faire une confidence: je n’ai pas quitté la Martinique, il y a 15 ans, CONTRAINT par une quelconque mutation. J’ai FUI la Martinique car j’en étais venu à haïr ce pays SANS IDENTITE. Donc j’ai exigé de passer en commission médicale et de me  faire rapatrier pour raisons sanitaires.

Question identité, je suis français mais quelle est mon identité française? Ma race, je ne sais pas. Quand je fais le décompte des personnes qui comptent vraiment pour moi, c’est 80 % de nègres. Mais il y a quelques lieux. Je peux passer 4 heures à regarder les toits de Paris assis sur un banc. C’est comme çà.  Et j’aime la vallée d’Ossau au sud de Pau, où je connais chaque village et presque tous les pics de montagne. Et rien de natal dans tout çà. Je ne suis né ni à Paris ni dans la vallée d’Ossau.

Non ma véritable identité française, c’est la langue française. C’est pourquoi j’ai vécu 3 ans en Corse sans apprendre 4 mots de corse et 5 ans à la Martinique sans apprendre 4 mots de créole. Parce que seule la langue française m’intéresse, me fascine et l’acquérir est l’œuvre d’une vie. Après je parle assez d’anglais, d’espagnol et d’allemand pour voyager et pas plus.

J’avoue être entré chez Césaire par la porte de l’écriture et non par la porte de la négritude simplement parce que Césaire écrivait comme Rimbaud. De même je suis rentré chez Confiant par la porte de l’écriture et non par la porte de la créolité car Confiant a inventé une langue française, comme l’ont fait différemment Proust et encore Céline ou Jean Vautrin sur un seul livre écrit en franco-cadjun. Et j’aime autant lire Boudard qui écrivait dans un truculent argot que Stendhal, qui, toutes époques confondues, est, à mes yeux, le plus grand maître de la langue française ou si tu préfères la quintessence esthétique de cette langue. Mais une langue doit vivre. Il n’y a que le Vatican qui n’a pas compris çà puisque sa langue officielle est le latin. Pourtant j’adore le latin et je regrette de n’avoir pas étudié le grec ancien mais seulement pour des raisons de filiation linguistique. Sans le latin, je n’aurais pas ressenti 80 % de mon vocabulaire.

Pour des raisons probablement traditionalistes de la vieille Europe civilisée face à mon anti-américanisme primaire, j’ai lu tous les russes depuis Pouchkine avec mention au théâtre de Tchékov, à «L’Idiot» de Dostoïevski, et aux «âmes mortes» de Gogol et rien des américains qui sont pourtant dans ma bibliothèque comme Faulkner à l’exception de Steinbeck pour «mice and men» (je l’ai lu en français mais le titre est joli en américain) et Malcolm Lowry «Sous le volcan», deux romans remarquables et dont je pardonne les auteurs d’être américains car avec leurs confrères Jack London et Hemingway, ils sont comme probablement tous les écrivains américains de la confrérie des alcooliques dont j’ai fait partie à une époque de ma vie (révolue).

Si j’ai lu tout Confiant ce n’est pas par obsession ou nostalgie de la Martinique même s’il m’a fait rencontrer 10 ans après l’avoir quittée exactement la terre d’exil que je cherchais. Hélas un peu tard et de toute façon cette terre d’exil n’existait plus même quand je suis arrivé en 1989. Non j’ai lu Confiant car je traquais de roman en roman la langue française de Confiant, un style d’écriture. Et ce style est paradoxalement surtout présent pour être sincère dans ses premiers romans. Et j’irai plus loin c’est son premier roman en français, paradoxalement toujours, «Le nègre et l’Amiral» qui est son vrai chef d’œuvre et qui valait haut la main un Goncourt. «Eau de café» est plus poétique mais n’a pas la force ni l’invention du «nègre et l’Amiral».

 Etrange bougre que cet écrivain qui ne veut écrire qu’en créole mais qui, sous la contrainte, s’essaie à écrire en français et produit, dans ce qui devait être un tâtonnement, le «chef-d’œuvre» de sa littérature et un des «chefs-d’œuvre» de la nôtre. Sans parler des déviances que cela a entraîné chez moi. J’ai traqué le style de Confiant donc de roman en roman et je l’aurais fait aussi dans ses déclarations d’impôts et ses notes de frais si j’y avais eu accès. Mais je l’ai aussi traqué malheureusement dans toute la littérature antillaise. Ainsi Pineau, Simone Schwartz-Bart, Pépin, Bernabé, Condé, presque Chamoiseau sur la fin et d’autres encore comme Glissant malgré « la Lézarde » sont passés à la trappe et dorment dans ma bibliothèque car simplement il n’avaient pas le style des premiers romans de Confiant et pour cause ils avaient le leur.

Bref voilà comment s’est formé ma conscience humaniste ou politique à partir du verbe. Heureusement que Césaire écrivait mieux que Hitler. Mais bon les mots son beaux à regarder mais ils ont aussi un sens, ils portent aussi des idées et certaines idées sont aussi plus belles que d’autres. On ne sait pas si une écriture magnifique rend une cause magnifique ou si une cause magnifique est transcendée par l’écriture. Chez Césaire la cause magnifique était servie par une langue magnifique. Ce fut le début de beaucoup de choses pour moi. Et quand il disait « si vous voulez comprendre ma politique lisez ma poésie » il n’y a là rien que de très naturel car la poésie est le seul vrai langage et Saint John Perse l’a fait comprendre dans son fameux discours de Stockholm en 1960. A lui seul Saint John Perse rachète la caste des békés même si pas un seul d’entre eux n’est capable de rentrer dans un seul de ses livres. C’est pourquoi je t’ai proposé sans rire de lever des brigades internationales de poètes pour libérer la Martinique.

Mais pour conclure sur l’identité, préalable à toute indépendance, oui, Monsieur le Professeur de créole de l’UAG de Schœlcher, c’est la langue qui est la fondation de toute identité nationale, en l’occurrence le créole pour la Martinique. Et là je ne vais pas t’aider beaucoup.

Je ne sais pourquoi mais j’ai le pressentiment que je verrai avant ma mort la Martinique libre. Peut-être que je m’accroche en ce moment à cette idée tout en décrochant complètement de ce qui se passe en Guadeloupe car j’ai quelques soucis personnels (en fait des problèmes très graves) mais j’attends avec impatience cette phrase de Jego à Sarkozy «une révolte, non Sire, une révolution», formule déjà utilisée et fort connue. Il resterait autrement à trouver LE béké martiniquais qui voudrait rentrer dans l’Histoire, je suis d’accord avec toi après réflexion, et je réfléchis plus qu’à l’hypothèse en tous cas.

Pour en finir avec mes ours. Il restait un seul ours réellement des Pyrénées, une ourse et son ourson en fait. Elle a été tuée comme un Arawak par un chasseur. Depuis la France a fait venir à grands frais 5 ours slovènes qui ne parlent même pas occitan. Nous avons nous aussi nos problèmes de colonisation. Il reste donc un ourson des Pyrénées, un vrai, en cavale, le dernier des Mohicans.

Alors ne vous plaignez pas à la Martinique vous êtes 400.000 et combien en Guadeloupe, en Guyane et à la Réunion? Car l’embrasement des DOM pourrait devenir le cauchemar de Sarkozy. Lui qui a créé un ministère de l’identité nationale il va devoir expliquer au peuple français ce que signifie le mot identité et le mot nation. Et avec les poètes de cour qu’il a auprès de lui, les BHL, les Finkielkraut, les Gluksmann, les Guaino  et il y en a beaucoup d’autres, je peux te le dire, on n’a pas fini de rigoler.

 On va leur opposer une armée de Lévy-Strauss, de Bourdieu, un Shlomo Sand (çà fera bien) et des Fanon, des Lumumba, des Césaire, des Chamoiseau et des Confiant aussi et tout ceci sans l’aide du Hamas. Cela promet des sommets de rhétorique!

Thierry Caille

Laruns le 14/02/2009

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