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Les "kout-kawo" de la campagne électorale des territoriales

Les "kout-kawo" de la campagne électorale des territoriales

   Nous avions noté dans un précédent article que pour la toute première fois dans l'histoire politique de la Martinique, 11 des 14 listes qui aspirent à remporter les élections territoriales martiniquaises portent des noms créoles ou, plus exactement, en créole.

   Cela ne s'était jamais vu auparavant et n'a pourtant attiré l'attention ni de nos journalistes professionnels ni des grands politologues de Ravine Touza. Nous y avons vu un signe de la progression inexorable de ce que l'on peut appeler "la martinicanité" (à ne pas confondre à l'indépendantisme) à cause du fait que ces noms créoles ont été adoptés aussi bien par des listes souverainistes, chose somme toute normale, que par des listes autonomistes, centristes et même de droite. Dans les années 50, 60, 70, 80 et 90, pareille chose eut été impossible. 

   Mieux : au cours des différents meetings électoraux et prises de parole par mégaphone à travers les quartiers, on a également constaté que le créole était souvent prédominant et que même les candidats qui usaient principalement du français, se faisaient fort de l'agrémenter de quelques phrases en créole. Il s'agit là d'un phénomène complètement nouveau car autrefois, c'était à ceux ou celles qui déployaient le plus "beau français de France" qu'allait la faveur des électeurs. Les candidats vivaient alors dans la crainte, voire la terreur, du kawo ou kout-kawo c'est-à-dire de l'énorme faute de français. Et ceux qui maniaient à la perfection le français pouvaient faire s'évanouir certains de leurs supporters comme l'a ironiquement noté Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. 

   Les plus anciens d'entre nous se souviennent sans doute de ce candidat aux municipales, dans une commune du Nord-Atlantique, qui, ne disposant pas de grands moyens, s'était juché sur un rocher afin d'haranguer la foule et avait lancé :   

   "Si je prends la peine de monter sur ce rocher de roche, ce n'est pas pour vous raconter des couillonnaderies mais pour vous dire la franche vérité".

   Sa carrière politique s'est achevée net, ce soir-là, face à un auditoire hilare. On se souvient aussi de l'époque où il fallait éviter de dire "le" pour "la", selon l'expression consacrée c'est-à-dire se tromper sur le genre, masculin ou féminin, des mots. Une chanson célèbre de cette époque railla les zayè (dragueurs) qui écorchaient le français dans les bals-paillote : "ma pied me fait mal" en était le refrain. Aujourd'hui, tout cela n'existe plus ! Plus personne n'a peur de faire un "kout-kawo"en français. A quoi est dû pareil changement ? A la francisation linguistique et culturelle, au rouleau compresseur de la francisation qui s'est mis en marche à la fin des années 60 du siècle dernier. Par le biais de l'école, de la radio, de la télévision et plus tard de l'Internet. Désormais, tous les Martiniquais savent parler français et les fautes qu'il leur arrive de faire sont celles que commettent quotidiennement le Français moyen de l'Hexagone ("l'homme que je t'ai parlé", par exemple, au lieu de "l'homme dont je t'ai parlé"). 

   A ce propos, il convient de faire une petite parenthèse : le danger que courent les Martiniquais depuis bientôt un demi-siècle n'est aucunement le fameux "génocide par substitution" mais bien le "génocide par démartinicanisation" (ou décréolisation"). Le vrai danger ce n'est et n'a jamais été la "substitution" de 370.000 Martiniquais noirs par 10.000 ou 20.000 "Métros" blancs mais l'absorption de la langue et de la culture martiniquaises, de l'identité martiniquaise, par la culture française. Car à quoi bon se préserver en tant que "Noir" si c'est pour devenir un "Noir" complètement francisé, voire franchouillard comme on peut le noter en examinant les posts sur Facebook et certains sites-web où l'humour ou les blagues françaises et les jeux de mots (à la con le plus souvent) tendent à devenir dominants. Fermons la parenthèse...

   Une question se pose : comment se fait-il qu'au moment où tous les Martiniquais savent désormais parler français, la langue créole revienne en force ? Que la quasi-totalité des listes aux élections territoriales portent un nom créole ? Que l'usage du créole soit devenu dominant dans les meetings, y compris chez des personnes réputées "assimilées" ? Deux réponses peuvent être apportées : soit c'et le chant du cygne de notre identité, le moment où elle brille de ses derniers feux soit, au contraire, c'est le résultat du formidable travail de revalorisation de la langue créole entrepris à compter des années 70 par des militants culturels d'un côté et des universitaires de l'autre (en particulier, Jean Bernabé et son groupe de recherches, le GEREC). Nous aurons la faiblesse de penser que c'est la deuxième solution qui est la bonne mais s'en en être totalement persuadés. On verra bien...

   Autrefois donc, les candidats vivaient dans la hantise du kout-kawo en fançais. Aujourd'hui, tous commettent à longueur de prises de parole ou de discours des kout-kawo en créole et cela ne dérange personne. C'est l'indice qu'un nouveau combat doit être mené : celui qui consiste à définir une politique linguistique. Ni les militants culturels ni les universitaires ne peuvent la mettre en place. C'est le rôle des politiques ! En Corse, par exemple, il y a un conseiller exécutif en charge de la langue corse. Précisons : sa seule fonction est de s'occuper de cette langue. A la Réunion, à Tahiti, en Kanaly, en Bretagne etc..., il existe des "Offices" chargés de s'occuper de la langue. En Martinique, quel que soit le parti qui a été au pouvoir, en créer un ne les a jamais intéressés. Et donc la langue s'effrite, s'effiloche. Certes, elle a gagné du terrain comme on vient de le voir, certes, elle s'impose, mais si c'est pour devenir un jargon informe, un créole tjòlòlò (édulcoré comme le café du même nom), ce serait une victoire à la Pyrrhus. Une victoire pour rien ! 

   Pour finir, voici quelques kout-kawo relevés ici et là au cours de la campagne électorale qui vient de s'achever :

 

   . "Man ja di zot que fok nou otjipé di kèsion-tala" : le "que" n'a rien à faire là.

 

    . "I ka prétann i grand expert adan zafè lapech-la : le mot créole est "michel-moren".

 

    . "Sé pa lapenn encombré lespri-nou épi sé bagay-tala : le mot créole est "terbolizé".

 

    . "Si yo rivé obtienn sa, sé par mwen" : le passif agentif ("par") n'existe pas en créole qui 

       dirait "Sé mwen ki fè yo obtienn sa".

 

    Etc...etc...

    On pourrait faire tout un opuscule relevant ces différentes fautes de créole puisque de nos jours, plus besoin de sortir de chez soi : on peut suivre la plupart des meetings grâce au Net et les réécouter au besoin.

Commentaires

yvleo | 20/06/2021 - 07:55 :
L’usage du créole dans le discours politique, puis pour désigner les partis ou regroupements politiques peut signifier plusieurs choses. Il permet de masquer la vacuité des contenus politiques. Les notions de gauche ou de droite ainsi que les classifications "département", "autonomie" et "indépendance" ne voulant plus rien dire, elles sont remplacées par une nébuleuse identitaro-assimilationniste qui traverse tous les camps politiques, lesquels sont tous en déshérence idéologique. L’expression politique en créole est devenue un puissant facteur de populisme (pain bénit pour les politiciens) qui donne le sentiment que l’élu ou le candidat descend au niveau de l’électeur. Il s’agit donc de faire passer par une posture identitaire un assimilationnisme assumé qui demeure honteux dans sa formulation. A ce titre, les formules savoureuses, notamment les proverbes créoles, se sont substitués au bon français d’antan qui était obligatoire pour qui voudrait réussir en politique. L’apport d’Alfred Marie-Jeanne dont l’art oratoire dans cette langue a certainement plus fait pour sa carrière que ses réalisations, a été essentiel dans le succès de ce courant. Même si les politiques ne se sont pas suffisamment occupés de développement du créole, son usage comme instrument de conquête de l’électeur a beaucoup fait contre la disparition de la langue. Jadis Césaire se ferait applaudir par une citation latine que personne ne comprenait, depuis Chaben s'est fait une fortune politique avec le mot "désencayé" qui a été employé jusqu'à l'assemblée nationale. Sinon, dans l'exemple pris par MK, le mot "gran-grek" parait mieux convenir que "Michel-Moren", tandis que "terbolizé" ressemble à un mot savant peu connu du peuple. Je me souviens qu'on employait le mot "embaglé" qui signifiait "encombré" ou "embarrassé".
redaction | 20/06/2021 - 08:22 :
Vous voulez dire qu'au 20è siècle, quand nos politiciens usaient principalement du français, leurs discours n'étaient pas empreints de "vacuité politique" pour reprendre votre expression ? Sans blagues ! Si l'on prend le seul exemple de 1981 quand Mitterrand menaçait d'être élu, la Droite "tèbè" a multiplié les slogans : "Vos retraites seront supprimées !", "la Sécurité sociale ,n'existera plus", "La Mère-patrie risque de nous larguer" et blablabla. En français dans le texte ! Et quand Mitterrand fut élu, c'est la gauche assimilationniste qui parla bouche e Césaire employa le grand mot français de "Moratoire" que la grande majorité des Martiniquais mit du temps à comprendre. La vacuité idéologique s'est donc exprimée, tant à droite qu'à gauche, dans la langue du Papa Blanc. Pas en créole !
zouzoula | 20/06/2021 - 09:31 :
Face à l'assimilation galopante et les possibilités dissimulatrices des mots en français, aujourd'hui, le créole devient le langage des tripes. D'où la tentative des politiciens d'utiliser cette langue comme manoeuvre de véglaj . Bien sûr, on peut mentir en créole mais il est des réactions en créole qui ne sont jamais travesties. Le jaillissement d'un "manman!" en tout lieu, en toute circonstance, par toute personne créolophone révèle la surprise non feinte qui en dit long. C'est percutant. Que dit-on en français : "quoi?" , "comment?", "putain!" ou en langage plus châtié "mazette!", c'est autre chose et plus lacunaire.
yvleo | 20/06/2021 - 11:20 :
"Maoeuvre de vèglaj", je prends. Ainsi donc, les mots autonomistes, indépendantistes, communistes, anticolonialistes, droite, gauche ne voulaient rien dire. Tous les Martiniquais le croyaient sauf, bien entendu les sacrés futés de clercs. Et pour cause, ceux-ci savaient que c'était leur moyen de tromper le peuple. La droite tèbè l'avait cru tandis que la droite intelligente savait que c'était du vèglaj. La vacuité idéologique a donc disparu grâce avec l'arrivée du créole en politique. On est sauvés !
zouzoula | 21/06/2021 - 14:19 :
Quand je parle de "manoeuvre de véglaj" , je parle de maintenant, campagne des territoriales de l'année 2021. Je ne me permettrai pas de disserter sur des choses que je ne connais pas sur les années bien antérieures, quand chaque groupe se présentait avec une identité. Je n'étais pas là et quand j'y ai été, cela ne m'intéressait pas particulièrement.
Frédéric C. | 24/06/2021 - 07:15 :
yvleo: vous écrivez: "les mots autonomistes, indépendantistes, communistes, anticolonialistes, droite, gauche ne voulaient rien dire; Tous les Martiniquais le croyaient sauf, bien entendu les sacrés futés de clercs. ". C'est complètement faux, aujourd'hui comme hier!. D'abord, "AUTONOMIE" a deux significations: soit politique (Etat autonome) soit administrative (collectivité locale ou établissement public). Les 1ères revendications contemporaines (je précise car j'en devine qui s'excitent pour parler des békés) d'AUTONOMIE étaient des revendications d'autonomie POLITIQUE (un Etat autonome), et furent formulées clairement par le PCM (2è moitié des années 1950 et surtout documents de 1960 + 1978), suivi par le PPM, puis les Conventions du Morne-Rouge (1971) et Ste-Anne/Guadeloupe (1976) auxquelles participèrent toutes les organisations politiques et syndicales des 4 "DOM" de l'époque d'accord sur ce principe. C'est exactement pour ces raisons-là que le Gvt français, qui en avait marre de perdre ses colonies (Indochine, les "départements" algériens!), prit l'ordonnance Debré du 15 octobre 1960. Selon lui cela aurait permis de décapiter le PCM, principale force d'opposition anticolonialiste (je reviendrai sur ce mot!) en mutant d'office 4 de ses dirigeants importants (A.Nicolas, G.Dufond, G.Mauvois et W.Guittaud), qui réclamaient une AUTONOMIE D'ETAT. Relisez ces documents de l'époque: vous verrez que cela n'avait rien à voire avec l'autonomie administrative de la "décentralisation" des années 1980, où Darsières voyait un "plus", voire un "triple plus": j'étais sur le campus de Schoelcher, j'entends encore sa voix légèrement nasillarde le dire. C'était l'époque où le PPM avait fait son moratoire sur la question de l'évolution statutaire, c'était logique. Mais les 2 conceptions de l'autonomie sont très différentes, et ELLES ONT DES SENS PRECIS! Par exemple, la CTM n'a que les compétences des ex-Conseil Général et ex-Conseil Régional: c'est une autonomie purement administrative. Si la Mque avait été régie par l'article 74: en fonction de l'endroit où aurait été placé le curseur, nous aurions été encore dans l'autonomie administrative, simplement un peu plus poussée. Ce n'aurait pas été une Autonomie POLITIQUE pour la Mque. Enfin, aujourd'hui comme il y a 45 ans, le mot "DEPARTEMENT" a un sens: les dirigeants politiques (vos "futés de clercs"...) de 1er plan de l'époque le savaient. L'autonomie POLITIQUE reste un concept pertinent, mais pour l'instant les Mquais n'en veulent pas (résultat du referendum du 10/1/2010). Rien ne dit que cela ne va pas évoluer progressivement, si une partie du personnel politique prouve sa capacité à gérer elle-même certaines affaires du pays, ce qui serait une tactique de "petits pas" vers une autonomie un tout petit peu plus large (type "Communauté d'Outre-Mer" de l'art.74), puis progressivement vers une autonomie de plus en plus POLITIQUE, si le peuple mquais prend progressivement confiance en lui et en la capacité de sa classe politique à "gérer les affaires martiniquaises" (perspective jamais abandonné par Pierre Aliker, R.de Gransmaison, ni le PCM, le RDM, et à laquelle a dû se rallier le MIM comme étape transitoire). Concernant le "DEPARTEMENT": cela a toujours eu une signification, avant-hier comme aujourd'hui. C'est l'article 73 de la Constitution française: la Mque reste juridiquement un "département" (personne morale de droit public, malgré la fusion des ex-CR et ex-CG. C'est le droit commun juridique applicable à la Lozère ou la Manche voire Paris (qui est à la fois une "Ville" et un "Département"). C'est précisément parce que la revendication d'un "ETAT AUTONOME" pour la Mque visait à soustraire le pays de la tutelle parisienne que c'était de l'"ANTICOLONIALISME", mot dont vous dites qu'il n'avait aucune sen, et que n'y croyaient même pas "ces sacrés futés de clercs" (personnes très instruites) Si c'était vrai, pourquoi les "futés de clercs" dont vous parlez auraient pris tant de risques (Les 4 susnommés + C.Sylvestre mort déchu de ses droits civiques + Justin CATAYEE, Dolor BANIDOL, Euvremeont GENE morts dans des accidents d'avion dont les circonstances précises n'ont toujours pas été élucidées, mais hommes politiques qui gênaient beaucoup Paris, notamment la clique de Gaulle-Debré-Foccart et consorts! Enfin, l'INDEPENDANCE signifierait l'érection de la Mque (pas la vôtre!) en Etat souverain, sans aucun rapport de subordination ou de tutelle vis-à-vis de Paris. Le passage à l'indépendance a longtemps été revendiqué par le MIM, le CNCP, le MODEMAS; en Guadeloupe par le GONG puis l'UPLG, le GLA, l'ARC, le MPGI, etc. En Mque, certaines de ces organisations ont, dans la forme, "mis de l'eau dans leur rhum" (cas où on n'aime pas le vin). Blague dans le coin, le PKLS continue de la réclamer, sans dire comment y parvenir concrètement dans l'intérêt du peuple. Donc vous voyez, tous ces concepts ont été revendiqués par des gens qui en le faisant savaient de quoi ils parlaient. Cela reste vrai aujourd'hui, même si c'est plus "an ba fey"... Pour le distingo "droite" et "gauche", on verra çà lors d'un prochain épisode, parce que là, man bon! Cordialement à vous.

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