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Les ressorts occultés de la peur qui grandit au sein de la société antillaise

Jean-Marie Nol
Les ressorts occultés de la peur qui grandit au sein de la société antillaise

  La crise du Covid n’est pas anodine, car elle va marquer les esprits et imprimer la peur dans les têtes des Martiniquais et Guadeloupéens, et pour cause, elle n’est pas quelque chose qui s’oubliera vite. Et comme le dit un proverbe persan : " Ouvrons les yeux, de peur qu'on ne (nous) les ouvre "....

  Ainsi, l'onde de choc de la COVID-19 a engendré une crise humaine planétaire à nulle autre pareille à savoir une crise sanitaire mondiale qui, en plus d’un bilan humain extrêmement lourd de plusieurs millions de décès (4 401 486 morts dans le monde dont 113.165 morts en France au 20 août 2021) est à l’origine de la pire récession économique mondiale depuis la Seconde Guerre. L’année 2021 sera ainsi marquée par une contraction de l’économie mondiale et des revenus par habitant, ce qui fera basculer environ 150 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté, selon les différents scénarios élaborés par la Banque Mondiale. L'espoir d'une ère nouvelle n'est plus, car entre la peur du virus et la crainte de l’effondrement de l'économie, le monde, où la peur de la crise sanitaire et économique se répand comme une traînée de poudre, retient son souffle.
  Pour autant, aujourd'hui, la peur est un thème relativement nouveau de l'analyse des interactions sociales de la société antillaise, en fait tout ce qui fait la trame des relations quotidiennes depuis l'apparition du coronavirus. L’interaction y est vue comme un système par lequel se fonde ou se remodèle la culture. A ce jour, les « rituels d’interaction » sont autant d’occasions avec la covid d’affirmer ou de contester l’ordre moral et social…Est-ce un interlude ou est-ce plutôt un changement de direction profond dans les mœurs, les normes de la vie sociale, la manière de gouverner nos sociétés ? Quoi qu’il en soit, on peut imaginer que la pandémie marquera les esprits et l’imaginaire d’une génération au moins, comme ce fut le cas pour les épidémies des précédents siècles à l'exemple de la peste ou de la grippe espagnole, les guerres, les révolutions, les émeutes ou les chutes de régimes politiques à maintes reprises dans l’histoire. Il faudra encore des années pour mesurer les conséquences de la pandémie de covid, qui n’a pas fini de secouer le monde. Les secousses telluriques n'épargneront pas la société Antillaise.
  Ne se dirige-on pas vers la fin de la départementalisation ? A vrai dire, nous ignorons même si, grâce aux vaccins et éventuels traitements, le virus sera maîtrisé plutôt tôt que tard pour que la vie retrouve son cours normal. En effet, la pandémie de Covid-19 n’est pas qu’un problème de santé publique. Elle est également un phénomène économique et social à part entière qui impactera non seulement l'ensemble du monde, mais également y compris les Antilles. En effet, avec la problématique de la crise à venir de la dette publique, et sous la pression des agences de notation et des créanciers privés, les pays pauvres seront de plus en plus sur la corde raide, dans la mesure où ils devront payer beaucoup plus cher pour emprunter et surtout quand cela s'avèrera encore possible. Pour eux, se posera aux yeux des investisseurs forcément la question du risque de défaut de paiement. En conséquence, ces pays s’enfonceront un peu plus encore dans la crise avec des conséquences fâcheuses comme le développement accéléré de l'illettrisme et l'illectronisme qui ne peuvent qu'alimenter l'exil avec le chômage chronique des jeunes et l'exclusion sociale des aînés ...Un phénomène multifactoriel similaire peut également se manifester à l'avenir aux Antilles avec la raréfaction des transferts publics et le tarissement des subventions et aides publiques aux entreprises. 
 Le repli sur soi des États riches détenteurs du capital financier et de la maîtrise technologique ne sera-t-il que temporaire ?... Pas sûr du tout, tant l'on assistera au retour du chacun pour soi. Si elle est mal gérée sous l'emprise de l'égoïsme, l’après-crise du coronavirus risque de creuser encore les inégalités économiques et sociales, d'exacerber les tensions sociales et chose plus fâcheuse de favoriser les mécanismes de radicalisation. Le monde d’après crise du Covid-19 sera totalement différent de celui qui préexistait à la pandémie, car des tendances déjà en germe dans la société vont s'accentuer comme la paupérisation de la classe moyenne, le renforcement de l'individualisme, la montée de la pauvreté dans les classes populaires, la flambée des inégalités, le regain de l'extrémisme religieux, et l'élargissement de la fracture sociétale. J'en veux pour preuve le fait que depuis plusieurs décennies, les relations sociales s’étaient déjà distendues et que l’individualisme progressait, les restrictions sanitaires dans la durée ne feront que renforcer voire conforter ces tendances. Ainsi, si nous n’y prenons pas garde et si la situation sanitaire dégradée perdurait encore de longs mois, il y aurait de quoi prendre peur, non pas seulement du virus, mais de l’état de la société qui va en sortir car une communauté, quelle qu’elle soit, qui ne se reconnaît plus à travers ses clivages , qui s’enferme sur elle-même et qui n’a plus de vie économique et sociale, est vouée à l’échec et à l’anomie. Ce désordre et ce repli social induits  par la pandémie aura des conséquences éminemment néfastes voire même dévastatrices. Les échanges commerciaux internationaux vont se fragmenter davantage parallèlement à une probable montée en puissance du protectionnisme dans l'économie mondiale, avec des blocs économiques concurrents et de nouvelles restrictions en matière commerciale, d'investissement et de transferts de technologie. On devrait assister à un durcissement des mouvements antimondialisation et ces évolutions vont impacter la production, l'approvisionnement et le commerce de nombreuses catégories de marchandises. A chaque nouvelle mesure de restriction sanitaire, un coup de frein sera mis à l’économie avec pour conséquence immédiate la multiplication des entreprises zombies. Et à l’heure des vaccins, l’apparente opposition entre préservation de la santé et vigueur économique se reposera dans des termes que le détour par la fin de cycle de la mondialisation permet d'éclairer. Avec le réchauffement climatique et la pandémie de Covid, les notions de « souveraineté économique » et de droit des peuples à s'autodéterminer librement reviendront au centre des débats avec toutefois un bémol qui sera l'impasse financière pour les pays pauvres. On se dirige tout droit vers une fin de cycle pour la mondialisation qui avait vu le niveau de vie des habitants des pays intermédiaires et du tiers monde augmenter sensiblement ces dernières années. Ce processus d'enrichissement est désormais terminé avec la nouvelle donne de protectionnisme.
  La crise actuelle qui découle de la pandémie arrive sur fond d’un néonationalisme montant qui demande depuis des années la restauration des frontières des États comme principe de réorganisation sociopolitique et surtout de la nécessité du protectionnisme économique. Cette idéologie exploitera-t-elle la crise sanitaire pour imposer le retour à un monde replié sur des sociétés nationales étanches ?... Est-ce que cela engendrera un appauvrissement de certains territoires avec à la clé un repli sur soi, de la solitude, de l’atomisation, à la limite de l’anomie, et donc une menace à terme pour la cohésion sociale ?... A mon avis, le futur sera plus complexe que cela, car l’avenir se jouera dans le triangle dessiné par les privilèges inégalitaires, l’individualisme des personnes et l'égoïsme des Etats, et le défi environnemental avec le réchauffement climatique et son corollaire la transition énergétique.  La façon dont nous allons traverser cette période inédite et difficile nous permettra aussi de définir quelle est la meilleure politique économique et sociale de nature prospective qui sera susceptible d’être la plus légitime aux yeux des peuples...Oui, l'heure est grave car nous sommes désormais en présence d'un phénomène d'acmé, c'est à dire la phase d'une maladie où les symptômes sont au plus haut degré d'intensité.
 
  " C’est quand on n’a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien".
 
  Jean-Marie Nol, économiste 

 

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