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LETTRE DE CARTHAGENE DES INDES

LETTRE DE CARTHAGENE DES INDES

{Du 15 au 19 mars dernier, la 2è Conférence Internationale des Etudes sur les Caraïbes s’est tenue à l’Université de Carthagène des Indes (Colombie). Raphaël Confiant y a prononcé la conférence inaugurale intitulée « Escritura y Criollidad »} …

Elle est plus belle, beaucoup plus belle, que je ne l’avais imaginée. Longtemps son nom m’a fait rêver__Carthagène des Indes__et je savais que j’y retrouverais un peu de l’atmosphère des premiers temps de la conquête espagnole. Carthagène, ville ceinturée par une impressionnante muraille pour repousser les pirates qui infestaient la mer des Caraïbes de la fin du XVe à celle du XVIIIe, ville aux maisons à balcons et colonnades jaune ocre, jaune safran, jaune soleil, ville à l’impressionnant métissage Indien-Blanc-Noir. Pour une fois, la carte postale est moins belle que la réalité. J’improvise dans ma tête un poème en espagnol dans lequel il est dit que le paradis c’est quand on chemine, de bon matin, à la Calle de la Media Luna, en suivant une mulâtresse aux fesses de négresse féerique, à la chevelure magnétique et noire d’une Indienne et aux yeux verts azur d’une descendante d’Isabelle de Castille. Cette ville vous rend lyrique.

L’Université de Carthagène est, elle aussi, impressionnante. Elle occupe deux anciens cloitres, chacun doté de trois étages et d’une vaste cour intérieure. Ici se dérouleront les travaux de cette 2è Conférence des Etudes sur les Caraïbes, organisation qui a réussi cette fois à rassembler des universitaires de presque tout le continent américain et même d’Europe. 60 panels sont prévus, ce qui est beaucoup trop à mon avis, car certaines communications que je veux suivre se déroulent à la même heure dans des salles différentes. Il est vrai qu’il a fallu caser en quatre jours pas moins de 97 communications ! Cela va des « Multiples chemins de la nouvelle géopoétique de la Caraïbe » de Maria Angela Cappucci de l’Université de Brasilia à « Théorie des marges : la production en critique littéraire à Puerto-Rico » de Carmen Centeno Aneses de l’Université de Puerto-Rico en passant par « La Caraïbe comme lieu du désir et espace utopique. Lignes narratives discontinues entre deux siècles » de Isabel Exner de l’Université de Berlin.

Trois conférences dites « centrales » ponctueront ces rencontres, centrales parce qu’elles sont délivrées dans le grand amphithéâtre à un moment où les panels de la journée sont achevés et où tout les congressistes sont donc disponibles. Lorsque Kevin Sedeno Guillen, le coordonnateur général de la conférence, m’avait contacté pour m’inviter en Colombie, j’avais ressenti comme un malaise. Et lorsqu’après avoir accepté, on m’avait octroyé la toute première conférence centrale, mon malaise avait redoublé. Avais-je moralement le droit de parler au nom d’une terre, la Martinique, qui n’est pas un pays, qui tourne le dos à la Caraïbe sauf pour aller y dépenser ostentatoirement des euros et qui venait de rejeter massivement toute forme d’autonomie un certain 10 janvier ? Non, je n’en avais pas le droit. C’est donc avec un sentiment de honte, celui de participer à une escroquerie intellectuelle, que je montai à la tribune du grand amphithéâtre Rafael Nunez devant plus de deux cent congressistes. Et le sentiment d’irréalité était renforcé par le fait que je lisais un discours rédigé dans une langue qui n’est pas ma langue maternelle, à savoir l’espagnol. J’étais comme dédoublé. Pourtant, je fis illusion, on m’applaudit, me posa des questions, me félicita alors que je venais de parler d’un pays qui n’existait plus depuis belle lurette et d’une idéologie politico-littéraire__la Créolité__qui était morte et enterrée elle aussi. Je réussis à dissimuler la honte qui m’envahissait mais en mon for intérieur, je n’étais pas fier de moi.

Les autres jours, j’ai préféré flâner à travers les rues de la vieille ville, gentiment rappelé à l’ordre par les organisateurs, notamment le très sympathique Hernando Velasquez Montoya, coordinateur des relations internationales de la « Fundacion Universitaria del Aerea Andina », co-organisatrice du colloque. Avec lui et Adelino Braz, le très dynamique et tout aussi sympathique attaché à la coopération universitaire de l’ambassade de France, nous rencontrons le recteur de l’Université de Carthagène pour évoquer la possibilité d’établir des liens avec l’Université des Antilles-Guyane : échange de professeurs, double formation diplomante pour les étudiants etc…Les Colombiens sont très demandeurs. Je joue à nouveau le jeu comme si la Martinique était un vrai pays caribéen. Je transmettrai leurs souhaits et projets à qui de droit à mon retour à Fort-de-France.

ALTITUDE

A la fin du colloque, je suis pris en charge par l’ambassade de France qui me fait transférer à Bogota, la capitale de la Colombie. A 2.600m d’altitude ! Deux fois la montagne Pelée, quoi ! Le choc. J’ai l’impression d’étouffer, que mes poumons vont éclater, chaque pas est une souffrance. On me rassure en me disant qu’il faut trois mois pour s’habituer à cet oxygène raréfié. Jusqu’au 9 janvier 2010, j’avais toujours refusé tout contact avec les ambassades françaises dans les pays où j’étais invité et il y en a eu 27 des Seychelles au Japon en passant par le Costa-Rica, le Maroc ou encore la Corée du Sud. Mais j’ai décidé de m’adapter à la réalité : les Martiniquais ont fait le choix d’être Français et je n’y peux rien. Je ne vais pas jouer au dernier des Mohicans. Pourquoi continuer à me faire chier pour une langue et une culture créoles dont ils ne veulent pas ? D’autant que l’ambassade est aux petits soins avec moi et que l’attaché pour la coopération universitaire, Adelino Braz, philosophe de formation et de parents immigrés portugais, a la même passion pour le fado que moi. Il a même écrit un livre sur cette musique nostalgique qu’il m’offre. Mieux : il déborde de projets de conventions entre les universités de Bogota et l’UAG.

Le 20 mars est un grand jour. A l’Université de Santo Tomas est signé par la Ministre colombienne de l’Education et l’ambassadeur de France un accord visant à rétablir l’enseignement du français dans 85 écoles publiques de Colombie, enseignement qui y avait disparu depuis…17 ans. Pour la première fois de ma vie, je me lève lorsque « La Marseillaise » est jouée. Je me sens moins mal à l’aise que je ne l’avais pensé. L’ambassadeur m’invite à déjeuner dans sa magnifique résidence. J’y retrouve avec plaisir Janeth Olga Casas, première Colombienne à avoir fait un DEA à l’UAG (sous ma codirection), puis une thèse en Belgique avant de devenir professeur à l’Université de Los Andes. L’épouse de l’ambassadeur, charmante mais très réservée, est Martiniquaise. Noire, pas Békée comme Joséphine. A aucun moment, elle ne me pose de question sur notre « pays ». Mais avons-nous jamais eu un pays ? Le quartier des ambassades est sévèrement gardé. La Colombie est en guerre, même si le régime ne veut pas l’avouer pour ne pas effrayer les investisseurs étrangers et les touristes ? A chaque carrefour important de la capitale, des militaires lourdement armés. Le quartier général des FARC se trouve à deux mille de kilomètres de là (la Colombie est trois fois plus vaste que la France), mais leurs hommes sont dans la place. Ainsi, à l’Université Nationale où je me rends le lendemain pour faire une conférence, immense campus à l’américaine dont les bâtiments sont bardés de graffitis anti-Uribe (le président de la République) et anti-yankee, on m’apprend qu’assez souvent, des groupes d’encagoulés débarquent, tiennent meeting vingt ou trente minutes avant de disparaitre dans la nature. Ici, personne n’accepte le fait qu’Uribe ait autorisé l’installation de 8 bases étasuniennes soi-disant pour combattre le narcotrafic, en fait pour juguler les FARC et contrôler Hugo Chavez. Les étudiants et professeurs m’écoutent attentivement, posent des questions. Je réitère l’escroquerie de Carthagène.

Heureusement, le soir, au même endroit, j’ai la chance d’assister à une conférence du grand écrivain colombien Fernando Vallejo. Il vit au Mexique depuis vingt ans après avoir traité son pays de « grande pute », de « sac à merde », de « trou du cul » et autres joyeusetés. Je suis étonné par l’ovation que lui fait l’amphi bondé. Vallejo, interrogé par le doyen de la faculté des Lettres, est égal à lui-même. Il déclare qu’Uribe devrait fermer sa grande gueule avant d’ajouter « Dieu n’existe pas, Jésus n’a jamais existé et l’Eglise catholique colombienne est une grosse pute ! ». Je suis aux anges ! L’ambassadeur de France m’organise une brève rencontre avec lui dans le bureau du recteur de l’Université Nationale. Je demande une photo. Mon souhait est exaucé. Vallejo me dédicace son livre « Los Dias azules » et me fait un abrazo.

Je ne m’habitue toujours pas à l’altitude. J’ai les tempes qui bourdonnent. Les poumons en feu. L’étonnante gentillesse des Colombiens m’aide à supporter la situation. Quelqu’un de l’ambassade de France me glisse : « Les Colombiens sont doubles : d’une extrême affabilité et d’une sauvagerie sans nom. N’oubliez pas que ce pays s’est construit après 14 guerres régionales et 6 guerres nationales ! ».

Oui, mais au moins s’est-il construit, me dis-je en moi-même…
Raphaël CONFIANT

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Commentaires

malabo | 03/04/2010 - 11:27 :
Tout à fait normal que l'Ambassade de France en Colombie vous traite avec tous les honneurs dus à votre rang, vous êtes un grand de la littérature française et créole, qu'on se le dise. Oui la Martinique c'est la France mais aussi un pays de la Caraïbe et au delà du grand ensemble latino américain et ce avant comme après le 10 janvier. Donc, bravo par avance aux coopérations entre l'Université Antilles Guyane et d'autres établissements de la Région Amérique Latine Caraïbe. Il faudrait aussi prévoir dans l'enseignement primaire et secondaire à Madinina (idem pour les deux autres DOM) un possible apprentissage, en dehors de l'anglais, de l'espagnol voir du portugais. Soyons doubles , triples ou quadruples. Amitiés et attention à ne pas cracher contre le vent.
algo | 13/04/2010 - 20:42 :
Votre malaise,je le comprends parfaitement,ayant des opinions parallèle à vous concernant notre ile....j'ai eu ce sentiment de gène lorque j'ai visiter pas plus tard que la semaine dernière le palais des nations unis à genève en suisse....tout ces pays representés avec leur drapeau,y compris barbade,sainte lucie,dominique...leur representation en tant qu'Etat sur la carte du monde....et rien pour la Martinique,ont les habitants ont rejetés en masse une dose d'autonomie...

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