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LETTRE OUVERTE À PIERRE PAPAYA

LETTRE OUVERTE À PIERRE PAPAYA

Le 26 décembre 2009, tu as décidé de te faire la belle, comme un voleur, sans prévenir. Pas vraiment sympathique, mais ça te regarde. Tu aurais pu nous prévenir, nous préparer, tout de même, t'inventer quelque maladie incurable. Même pas. Tu as préféré la discrétion, c'était dans ta nature, pour pas déranger. Et puis tu n'as pas attendu l'arthrose, l'opération de la cataracte, tous les maux des vieux-corps. Tu as voulu t'éclipser, fringant, en pleine forme. Tu as même décidé de rendre ton âme, car au moins, toi, tu en possédais une. Mais à qui l'as-tu donnée ? Pas à ce mécréant de Dieu. Tu sais comme moi qu'il n'a jamais existé sauf dans les bondieuseries des esprits faibles qui ont seulement la trouille de mourir, au point qu'ils en oublient de vivre et laissent passer leur existence, en préventive, en garde à vue, dans l'antichambre ou dans le couloir de la mort, car ils sont convaincus, et y songent le moins possible d'ailleurs, qu'ils n'obtiendront, à l'image de leur vie, aucune grâce de personne.

Non, ton âme, tu l'as partagée, en morceaux, pour que tes amis se la calent dans un coin de leur mémoire. Ça signifie quoi, se caler un bout d'âme dans le coin de la mémoire ? Vois-tu, on est souvent seul, en ce bas-monde, c'est à la mode. A titre personnel, c'est plus souvent que rarement. Alors, de temps en temps, je vais dans un estaminet, je m'assieds et je commande deux feux. Puis on cause. Bon, comme tu n'es pas très bavard mais que tu as toujours su écouter, je te fais la chronique. Ça fait du bien, de parler. Puis nous trinquons. Façon de parler, car tu bois peu et je dois t'aider pour cela. Depuis que mon médecin m'a interdit l'alcool, je ne commande plus que ton Ti-punch.

Tu as toujours eu des attentions simples quand j'y pense. Commentant un de mes textes, tu m'avais dit avoir planqué des « bêtes traquées » en France. Je n'en dis pas plus, même si les pandores auront du mal à te retrouver aujourd'hui. Un jour que l'autre enragé, s'était empourpré rouge grenat, j'ai fait appel à toi, car je n'entravais strictement rien à la situation. Toujours ce calme que tu ne quittais jamais, une explication simple. Figure-toi, que je n'avais jamais vu ta bobine avant qu'on ne lance un avis de recherche, suite à ta disparition. Tu as été le seul aussi à me souhaiter mon anniversaire en 25 ans. J'étais dans un cybercafé pourri, à Abidjan, enfoncé jusqu'au cou dans une mélasse ivoirienne sans nom. Ça m'a fait plaisir, tout de même, de pas avoir été abandonné par le monde civilisé. Et, une nuit, vu l'heure qu'il était, en raison de nos longitudes respectives, je t'ai appelé et tu m'as écouté parler et déparler avec beaucoup de patience. Vois-tu, tous ces petits riens, me laissent des regrets, déjà celui de ne pas t'avoir rencontré, de ne pas t'avoir serré la pogne et bien sûr de ne pas t'avoir mieux connu. Mais quelle idée d'aller crécher si loin, là-bas, dans les colonies !

Ici, rien de neuf, c'est la routine. On continue à s'injurier, à s'empoigner, à se taper sur la gueule, un peu partout. Ça n'est pas près de changer. Quand c'est fini quelque part, ça commence ailleurs. Même dans ton pays, l'année qui s'achève n'a pas été coton : du grand guignol, à se tordre de rire. Mais pas sûr que ça t'aurait fait rire. Je ne sais pas si tu aurais dit grand chose mais tu n'en aurais pas moins pensé sur la connerie humaine. Et tu n'aurais pu éviter un énorme soupir. Que veux-tu, ce n'est pas le bon sens qui nous anime ici-bas. Tu as bien fait de partir en loucedé avant de voir tout ça. Tu aurais eu quelque chagrin au sujet de tes compatriotes.

Même si tu te la coules douce, aujourd'hui, et même si tu sais que l'on ne t'a pas oublié, envoie-nous quand même quelques signaux amicaux. Je ne sais pas, moi. Déclenche de vastes zébrures de comètes qui embraseraient la nuit. Fais-nous une éclipse solaire, en pleine finale de la Coupe du monde de football, au Qatar, pour rire. Redresse le croissant lunaire, à la verticale, les Martiniquais se sentiront encore plus en France. Au passage, tu peux balancer, ni vu ni connu, une météorite sur le Conseil Régional à Fort-Royal, réuni en séance plénière malgré le boycott de l'opposition. Enfin, penses-y.

Ciel de la Corse

Veinard, c'est bien là que j'imagine ta thébaïde, mais s'il t'arrive de t'ennuyer,
sache que tu peux écouter la musique des étoiles, comme celle-ci.

Adagio du concerto pour clarinette de W.A. Mozart

 

Mais je ne m'inquiète pas pour toi … A un de ces jours.

 

Thierry Caille

 

Photo du logo : ici-bas, on oublie vite, les photos jaunissent. Taille quand même ta barbe ; que quelque vieille grenouille de bénitier, malvoyante et décrépite, ne te confonde avec un autre.

 

 

 

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Commentaires

sapotille | 22/01/2012 - 05:57 :
Merci pour ce bel article !!

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