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LETTRE OUVERTE AUX HARKIS DE MARTINIQUE

MON TESTAMENT MARTINIQUAIS
LETTRE OUVERTE AUX HARKIS DE MARTINIQUE

Dans le langage courant, en France, le mot « harki » désigne les supplétifs engagés dans l’armée française de 1957 à 1962, durant la guerre d’Algérie. Par extension, on a dénommé « harkis » tous les algériens musulmans soutenant le rattachement de l’Algérie à la République française durant la guerre d’Algérie. Le terme, en Algérie, est devenu synonyme de traître et collaborateur.

« {Vous êtes vraiment d’une incurie incroyable. Vous ne connaissez pas l’histoire. Ah, vous êtes allés avec les gaullistes… Vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus toute leur vie… Faut-il vous rappeler que 80 000 harkis se sont fait égorger comme des porcs parce que l'armée française les a laissés ? Moi qui vous ai donné votre boulot de pompier, gardez-le et fermez votre gueule ! Je vous ai trouvé un toit et je suis bien remercié. Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Allez avec les gaullistes ! Allez avec les gaullistes à Palavas. Vous y serez très bien ! Ils ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez leur lécher les bottes ! Mais vous n’avez rien du tout ! Vous êtes des sous-hommes ! Rien du tout ! Il faut que quelqu’un vous le dise ! Vous êtes sans honneur. Vous n’êtes pas capables de défendre les vôtres ! Voilà, voilà… Allez, dégagez} ! »

Le 11 février 2006, Georges Frêche, Président du Conseil Régional du Languedoc-Rousillon, membre du Parti Socialiste, tenait ces propos à l’occasion d’un dépôt de gerbe. Le 28 février 2006, le premier secrétaire du Parti Socialiste le suspend des instances nationales du parti pour avoir eu ces paroles. Mis en examen en mars 2006 pour injures à caractère racial, il sera relaxé.

Martiniquais, je vous ai aimés, je vous ai haïs, je vous connais un peu, je pense souvent à vous et quoique je fasse, je ne pourrai jamais me défaire de vous mais aujourd’hui, j’ai envie de vous engueuler. Souvent je me sens martiniquais, même si je ne le serai jamais car je suis au fond de la lointaine France. Je ne le serai jamais vraiment mais je vous demanderai un jour la nationalité martiniquaise de façon officielle dans un de vos consulats.

Vous vivez dans une société, la vôtre, avec vos valeurs, vos problèmes, vos difficultés, vos luttes, votre nonchalance, votre indifférence, vos rapports avec la France puisque vous êtes français, rapports d’adhésion aux valeurs de la France, rapports parfois conflictuels. Vous vivez en français d’Outre-mer, à votre façon, en utilisant les services français, les structures françaises. Vous avez un système administratif français, un système économique français et un système politique français dans ses représentations locales, départementale, régionale. Vous avez députés et sénateurs qui siègent. Vous avez vos spécificités que l’on dit d’Outre-mer mais tout selon la France car vous êtes, un Département français d’Outre-mer et cela vous l’avez parfaitement intégré, cela ne vous trouble pas plus que çà.

Votre appartenance à la France, vous ne la remettez pas en cause du moins dans votre immense majorité et pourriez-vous le faire d’ailleurs. Et moi, je vous dis que vous êtes des harkis, des « cocus » comme disait Georges Frêche.

Votre société, regardez là, est d’une médiocrité sans nom dont vous n’avez pas conscience. Vous n’en êtes pas responsables, je sais, mais vous y êtes bien à l’aise au fond. C’est la consommation, une pensée de primate, un bonheur facile dont vous rêvez, l’argent que vous avez ou que vous n’avez pas mais qui est primordial. Vos difficultés sont réelles mais vous les abordez à la française, individuellement, dans vos syndicats, dans votre vie politique. Vous êtes souvent sincères mais vous n’êtes jamais vrais. Vous avez des combats légitimes, de engagements, pour certains d’entre vous mais la plupart d’entre vous somnole, béats, des vies d’anoli. Et ces combats qui vopus passionnent sont de mauvais combats. En tout cas vous êtes peu nombreux à comprendre le « vrai combat ».

Vous faites ce que vous pouvez, vous pensez bien faire dans votre quotidien, dans vos luttes quand vous luttez ce qui est rare est rare mais vous vous faites « baiser » dans votre vie quotidienne à votre insu, « baiser » par vos patrons, à votre insu, « baiser » par vos hommes politiques à leur insu et tout cela est pardonnable mais ce qui est impardonnable, c’est qu’au fil du temps, vous avez oublié une chose qui ne vous effleure même plus l’esprit, c’est que vous êtes martiniquais et non français. Bien sûr vous parlez encore créole, entre vous, bien sûr il y a les courses de yoles qui vous passionnent, le rite du rhum et quelques spécificités qui vous distinguent du quidam breton, savoyard ou périgourdin. Vous êtes nègres pour la plupart mais vous n’en faites pas une maladie, vous seriez blancs, le problème serait le même. Vous avez vos blancs les békés, martiniquais comme vous et ces blancs de France souvent fort sympathiques, souvent serviables d’ailleurs même si certains sont là pour vous « baiser » aussi, confisquer votre terre, vous spolier, car ce ne sont pas que des touristes ni des philanthropes qui viennent à la Martinique.

Et vous avez un grand patron le Préfet de la Martinique. Lui aussi fait pour le mieux. Mais pas pour vous en réalité. Il le fait pour la France et rien que pour la France du moins avant tout, c’est à ce titre qu’il est là, il est aux ordres. S’il faut donner de la matraque il le fera mais s’il faut mettre en place un plan d’urgence pour une alerte cyclonique, il le fera aussi. Lui, sous ses gants blancs, c’est le « cocufieur » qu’on vous a envoyé à la Martinique. Les grands « cocufieurs » sont ailleurs, en France.

Quant à vous individuellement vous n’êtes pas de mauvais bougres, même plutôt chaleureux, même plus qu’ailleurs du reste mais vous pensez français et vous vivez français. Et les jeunes générations, étudiants sérieux, jeunesse dorée oisive ou jeunesse moins dorée et travailleuse et les autres sont encore plus français sauf peut être les vendeurs de crack du Lamentin, ceux là, ne sont de nulle part. Bientôt il n’y aura pas la moindre différence avec notre jeunesse française dans ses aspirations, ses difficultés, ses façons de vivre et de penser et la jeunesse martiniquaise.

Y a-t-il des nègres marron, aujourd’hui à la Martinique ? Oui, quelques uns. Ils sont là parmi vous mais pas dans les mornes sauf quelques rastas. Ils sont dans le système, les nègres marrons. Ils sont en marronage certes et ils font ce qu’ils peuvent à l’intérieur du système. Ils ne mesurent pas l’énergie qu’ils dépensent. Que feraient-ils d’utile, à manger des racines ou des ignames sauvages cachés dans un morne perdu ? Ils marronnent parmi vous !

Les partis politiques sont légion. Il y avait le PC, le parti de Césaire autrement appelé PPM, il doit vivre de son lourd héritage, le MIM qui n’a plus tout à fait l’idéal qui l’avait fondé. Il y a aussi des succursales de l’UMP, du PS, du PCF, ceux-là ont vraiment tout compris et se sont sans doute posés beaucoup de questions, gentilshommes de cour, laquais et larbins. Il y a aussi le PKLS, je ne sais pas ce que veut dire ce sigle mais leur profession de foi est claire et rude. Moi j’aimerais un parti unique pour éviter les querelles de personnes et les aspirations individuelles. Je suggère une fusion de tous les partis martiniquais dans un parti provisoire qui en son temps a fait ses preuves le FLN.

Les hommes politiques, les élus, font leur travail d’élus, certains mieux que d’autres comme tout élu français, souvent avec abnégation. Le premier d’entre eux a pris conscience des réalités. Il y a 20 ans il faisait sa propagande en créole, il était radical et pur. Il avait osé fonder un parti où le mot indépendance était jeté dans la lumière. Aujourd’hui il gère, une montagne de problèmes. Il est passé aux responsabilités. Il est intègre, le réel c’est de petits actes et beaucoup d’emmerdements, l’idéal c’est facile et gratuit. A l’Assemblée nationale française, il pose des questions techniques, je les ai lues, les siennes et celles des autres députés de Martinique. C’est un député français comme d’autres députés français. Car il faut être pragmatique, on parle d’autonomie désormais, on réunit le Congrès. On parle de l’article 74. Et c’est peut-être bien.

Mais il ne faut pas perdre de vue le but final : l’indépendance. Bien sûr personne n’en veut ou n’y pense pas, sauf quelques uns, je le sais. Un référendum sur le sujet ne serait pas malin vraiment stupide mais on vous le proposera, on fera des sondages d’opinion. Quand on sait qu’en 60 ans de départementalisation, la France s’est attachée à vous rendre français, à vous donner une identité française, à vous faire vivre à la française, quand votre niveau de vie est ce qu’il est, vous n’allez pas renoncer à votre destin de petits français. Alors on s’en fout d’un référendum. Si une poignée d’hommes l’arrache l’indépendance et vous l’impose malgré vous, contre vous, vous perdrez beaucoup et que gagnerez-vous en échange, l’honneur, la dignité, la liberté. Cela ne se mange pas la liberté mais çà a eu un coût humain parfois. Voyez l’Algérie, autrefois département français, 1 200 000 morts, tout çà pour être libre. Posez vous la question pourquoi ce fut important pour eux, pourquoi on sacrifia tant de vies pour la liberté. Vous, martiniquais, à l’heure actuelle vous êtes des harkis. Les harkis d’Algérie étaient des hommes sans doute respectables et je ne dirai pas moi d’eux qu’ils étaient des sous-hommes mais des collaborateurs assurément de bonne foi et d’une certaine façon des traîtres à leur pays par leur ignorance et leurs mauvais choix.

La question de l’indépendance n’a rien de romantique. Il n’y a pas à de lyrisme de l’idéal révolutionnaire, ni d’envolée esthétique. C’est une question pragmatique. Tout simplement vous n’êtes pas français. Cherchez ce qui vous lie à la France. Regardez votre histoire, où vous vous situez géographiquement, voyez vos traditions qui disparaissent, votre langue qui disparaît, votre identité qui disparaît. Voyez dans quel mépris on vous tient, voyez comment on vous traite et vous acceptez cela ?

Vous étiez tous là quand Césaire est mort mais l’avez-vous lu ? Non. Les jeunes ivoiriens ou les jeunes sénégalais vont vous réciter des pages entières du « Cahier d’un retour au pays natal » et ce grâce à Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor. Vous vous retrouvez dans Césaire car il a beaucoup fait pour la Martinique et on n’a pas souvent la chance d’avoir dans un pays aussi petit que le vôtre un homme colossal, aux qualités d’homme aussi belles. Mais avez-vous lu les discours de Césaire, à l’assemblée nationale, au PPM ou ailleurs ? Savez-vous quelle était sa pensée et son rêve ? L’avez-vous entendu apostropher la France, tel un inquisiteur redoutable ou un procureur terrible à l’éloquence prodigieuse, sur les contradictions et les lâchetés de la France ? Or Césaire ne rêvait que d’indépendance même s’il admettait qu’il fallait préparer le peuple martiniquais à cela. Il l’a dit et redit.

Vous vous êtes soudés pour ses funérailles et avez compris qu’il participait de votre identité même si vous n’avez pas été jusqu’à empêcher le Président français d’assister à ces funérailles. Pourtant vous savez le faire çà, au Lamentin.

Jean Marie le Pen n’a pas pu atterrir à la Martinique, Monsieur Nicolas Sarkozy, oui. Il faut en conclure que la couleur de votre peau vous a dicté une conduite plus radicale que le respect de votre dignité. En clair vous virez le raciste mais vous accueillez l’imposteur. L’immigré hongrois, Nicolas Sarkozy, n’est pas votre Président. C’est seulement le Président des français et d’ailleurs seulement de quelques-uns.
Et qu’en a dit Monsieur Français Fillon son premier ministre de cette équipée martiniquaise, dans un hommage honteux qui se voulait solennel : En se rendant sur place, le Président de la République et par sa présence, c'est toute notre nation qui marquait ainsi sa gratitude à l'égard d'Aimé Césaire, c’est-à-dire la nation française, et d’ajouter : le cœur de Césaire continue de battre. Il bat pour la France. Quelle gratitude de la France pour Césaire ? Lui qui n’eut de cesse de la combattre. La gratitude d’être enfin mort ?

Il eût mieux valu recevoir Jean-Marie le Pen. Il aurait vu des nègres en vrai, leur aurait peut-être regardé la denture mais n’aurait pas parlé au nom de la France où il est mal vu. Erreur de stratégie, martiniquais ! Lâcheté, trouille, laisser-aller, vanité peut-être que de laisser atterrir Monsieur Sarkozy et sa cour d’intrigants ! Il y a des personna non grata même parmi les monarques qui se déplacent en leurs royales possessions.

L’indépendance de la Martinique je l’ai autrefois abordée d’un simple point de vue économique, un rêve de fous donc, une utopie, j’étais jeune et je ne savais rien de la Martinique. Aujourd’hui, elle me paraît d’une telle évidence, d’une absolue et inexorable évidence que je suis plutôt à chercher des mots simples et perceptibles par tous, des façons de convaincre, des harangues ou des démonstrations irréfutables, des méthodes pédagogiques, des plaidoyers, des moyens de persuader non pas ceux qui en sont convaincus mais ceux que l’idée n’effleure même pas ou ceux aussi qui n’en veulent absolument pas. Je serais prêt à faire de ces inconsciences dont j’ai le secret pour au moins qu’on en parle. Un fou parfois est utile.

On n’est pas obligé pour vivre de s’interroger longuement sur soi-même, ce que l’on est. On n’est pas obligé non plus d’avoir la liberté pour idéal. Tout cela d’ailleurs ne rend pas l’existence forcément heureuse, plus heureuse. Le peuple martiniquais aujourd’hui a ses préoccupations, quotidiennes, humaines, concrètes et ses loisirs, ses plaisirs d’une société hédoniste. Et le peuple martiniquais ne pense pas beaucoup. Il n’a pas de conscience politique. Et il est loin de s’interroger sur l’indépendance. Très loin mais au plus près de ses intérêts dérisoires et mesquins. Faut-il demander à cette marchande de sandwich-fricassée-gros-pain-salade-piment de prendre les armes ou au minimum de se prononcer sur l’indépendance ? Non, tout au plus, il faut lui dire d’ajouter un jus de corossol, si elle en a. Le peuple martiniquais ne se soulèvera jamais, il ne peut pas se soulever. Se soulever contre quoi. Tout va presque bien. Ce n’est pas son problème, l’indépendance. Le peuple martiniquais se soulève pour une course de yoles, une rencontre de football Golden star contre RC Franciscain, et somnole le reste du temps. Si la France se lance à parler en son nom, le prend à témoin, lui parle au fond des yeux, c’est qu’elle le prend surtout pour un con. C’est de l’exécrable mauvaise foi et de la rhétorique. Car il n’est pas brillant le peuple martiniquais, chacun le sait, un peuple qui était esclavagisé, puis colonisé, puis vassalisé. Jamais le martiniquais ne s’est considéré autrement que dans un rapport de soumission et de déférence. Allez libérer un peuple de bourriques qui ne savent que porter le bât !

Un débat à l’assemblée nationale ? Mais on s’en contrefout des DOM à l’Assemblée et aucun fou, mais Césaire l’a fait, ne posera la question de ce débat. En voici un de débat qui vous donnera idée de l’assemblée et qui était capital. Le mercredi 10 juillet 1940, lors de la réunion de la Chambre des députés et du Sénat, une proposition de révision de la Constitution permettant d'attribuer les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, Président du Conseil, donne les résultats suivants :

Sur 649 suffrages exprimés :

• 80 parlementaires (57 députés et 23 sénateurs) votent « non » ;
• 569 approuvent, votent « oui ».

Les 61 parlementaires communistes (60 députés et un sénateur) ne peuvent siéger : depuis le 16 janvier 1940, ils sont déchus de leur mandat2 et condamnés à la clandestinité. Parmi les courageux qui votèrent non, Vincent Badie, est célèbre pour s'être écrié après le vote « Vive la République quand même ! ».

Les circonstances étaient exceptionnelles, et la question de l’indépendance des DOM ne l’est franchement pas mais l’Assemblée actuelle voterait dans le même sens. Elle ne se fatiguera jamais à mettre la question de l’indépendance des Antilles en commission, sauf pour l’enterrer, en proposition de loi, illusion et au vote, le résultat est acquis.

Il reste peut-être à suivre le long chemin de la Nouvelle-Calédonie. C’est peut-être le plus sage. Mais la France acceptera-t-elle que la Martinique devienne un TOM, ce n’est pas sûr, c’est d’ailleurs peu probable. Et parce qu’il y eut du sang versé, à Ouvéa, Michel Rocard fit les accords de Matignon. La Martinique n’est pas non plus ce caillou perdu qu’est la Nouvelle-Calédonie. L’heure est plutôt aussi à rajouter des départements, n’importe quoi qui traîne, Mayotte par exemple. Je suis très pessimiste sur la lente négociation.

Faut-il trouver de l’aide ailleurs ? Pourquoi pas ? Cet Hugo Chavez bien que moins nègre que Obama, semble un homme qui tient tête et il n’est pas loin de la Martinique. Pourquoi pas en Afrique ? Il n’est pas farfelu de demander de l’aide aux africains. Eux savent le prix de l’indépendance. Ils ont leurs problèmes. Mais leurs dirigeants, hommes de culture, dans l’Afrique francophone, ignorent peut-être où se situe la Martinique mais ils ont un respect pour Aimé Césaire qui n’a pas d’égal ailleurs, même pas en France, il va s’en dire. Je suis convaincu que l’Afrique peut aider les Antilles pas que pour Césaire mais parce que leurs rapports à la France ne sont pas ce qu’ils souhaitent et ils peuvent comprendre beaucoup de choses. Les chefs d’Etat africains sont ce qu’ils sont mais il y a des éminences dans l’ombre que j’ai rencontrées et qui m’ont compris sur la question antillaise.

Faut-il chercher un homme providentiel, un Simon Bolivar. Un béké. J’ai lu récemment qu’un Guillaume Hayot, jeune béké, s’était mis à réfléchir. Tout ce que l’on peut dire c’est que ce collégien, il doit être très jeune, a du chemin à faire. Pour l’instant il propose que l’on parle aux nègres. Il faut l’encourager, ce petit gars plein de bonne volonté. Plus sérieusement, les Hayot ou les Hayat sont partout dans le monde. Ce sont des libanais qui font avant tout de l’argent où qu’ils se trouvent. J’ai néanmoins écrit, à titre personnel à Bernard Hayot, le grand béké de la Martinique qui a eu quelques gestes symboliques en faveur d’un certain rapprochement avec les autres martiniquais. Je passe sur le contenu de ce courrier mais je lui ai demandé de conduire la Martinique à l’indépendance de tout le poids de son pouvoir, de son autorité et de sa fortune quitte à tout perdre. Pas de réponse à ce jour. Vous aurez du mal à trouver un Bolivar à la Martinique.

Un homme providentiel ? Pourquoi pas dans le peuple ? Mais où est-il ? Qu’il sorte du rang ! Honneur et respect pour lui, camarade ! Et pour lui je ne peux résister à citer ces quelques lignes :

On lui avait légué des bandes. Il en avait fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie. Il en avait fait une Révolution ; une population, il en avait fait un peuple. Une colonie, il en avait fait un Etat ; mieux une nation.

C’est d’Haïti qu’il s’agit et de Tousssaint Louverture. C’est du Césaire.
La caraïbe parle, harkis martiniquais, avec éloquence, l’entendez-vous chuchoter ? Je vais vous livrer quelques paroles, que vous n’entendez pas dans votre surdité médiocre, un fragment d’anthologie :

{Devant toi, résistant à l’affût en pays Martinique, ne s’offrent que des immeubles qui reflètent le ciel, les hautes vitres des opulences, la cathédrale aéroportuaire les hangars où se déversent les containers, le rutilement des grands centres, les transhumances automobiles, les fièvres de l’acheter et du vendre, les parkings et les chariots où se nouent les ferveurs, la verticalité seule des hautes antennes balisant le cimetière déserté de nos esprits….Devant toi, les dos courbés face aux paquebots de croisières, aux tour-opérateurs et aux bottes s’hôtels qui civilisent les plages et au tourisme-roi qui sanctifie les sites.}

Monsieur Patrick Chamoiseau (Martinique)

{Il a fallu attendre 1946 pour arracher le statut de département français. Ce que nous voulions c’était l’égalité ! Mais encore une fois, on nous a couillonnés. On nous a baillés une égalité coloniale. Une égalité de bâtard. ….. Et petit à petit, nous avons glissé, et, au lieu d’inventer à partir de ce que nous avions déjà, nous nous sommes mis à copier leurs laides manières. A cause d’un faux départ, voilà où nous sommes arrivés parce que nous n’avons jamais eu le temps de vivre notre temps.}

Monsieur Ernest Pépin (Guadeloupe)

{Haiti que tejes el arte de mil formas y que pintas las estrellas con tus manos por ti entendi que el amor y el odio como ti se llaman.
(Haïti qui cultives l’art sous mille formes et qui peints les étoiles de tes mains dans ton nom résonnent pour moi le sang de la haine et le sens de l’amour)}

Monsieur Chiqui Vicioso (Haïti)

{Pues hace mucho tiempo que oimos que todos somos iguales ante la muerte
(Il y a trop longtemps qu’on nous répète que nous sommes tous égaux devant la mort)}

Monsieur Freddy Gaton Arce (République dominicaine)

{Won’t you help to sing songs of freedom Cause all I ever had redemption songs All I ever had redemption songs these songs of freedom, songs of freedom.}

Monsieur Bob Marley (Jamaïque)

{La Créolité est notre soupe primitive et notre prolongement, notre chaos initial et notre mangrove de virtualités.}

Messieurs Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant (Martinique)

Et enfin ces mots d’antique sagesse du meilleur d’entre vous peut-être :

{Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le blanc.}

Monsieur Franz Fanon (Martinique)

Ceux-là vous ne les écouterez pas. Ils prêchent dans le désert de vos âmes et la vacuité de vos consciences. Vous vous préparez plutôt, avec votre intelligence de bovidés, à écouter notre Président franco-hongrois qui doit prochainement se rendre à la Guadeloupe pour des Etats Généraux. L’ordre du jour est établi, les questions sont écrites et les réponses aussi, les sujets choisis et le chèque est signé, celui que nous paierons nous autres français. Tout le monde sera là ou presque, buvant la coupe jusqu’à la lie de cet homme qui n’a de philosophie politique qu’un tutoiement vulgaire et un carnet de chèques, qui n’a d’autre ambition historique que de servir, non son pays, mais son rêve de grandeur et qui n’a pour vous qu’un désir profond, que vous cessiez de l’emmerder avec vos grèves coûteuses.

Pour ceux que seront là, attentifs, qui posera parmi les élus, les acteurs sociaux et les acteurs économiques la question essentielle ? La seule qui vaille d’être posée, la seule qui peut déstabiliser le Président français ? Celle-ci : l’indépendance, nous l’aurons quand et comment ? Personne ! Personne n’osera car il y a des phrases terribles. De toute façon, toute l’intelligence de notre Président et celle de ses 800 conseillers ne sont pas capables d’accepter intellectuellement cette simple phrase autrement que comme une forme de boutade déplacée, de mauvais aloi.

Je vous invite tous, antillais, à lire cependant, le forgeron un poème d’Arthur Rimbaud, vous verrez comment on parle au Roi quand on appartient à un peuple debout, à un grand peuple. Vous ne le ferez pas car vous n’êtes pas d’un grand peuple .

Qu’il me soit donc permis de vous traiter de harkis, martiniquais, vous et vos frères guadeloupéens, soit de traîtres et de collaborateurs. Vous êtes des traîtres à votre devoir, à votre honneur, des collaborateurs de la France consciemment ou à votre insu mais vous en êtes quand même.
Des sous-hommes comme le disait Georges Frêche, non, je n’irai certainement pas jusque là. Ceci n’est pas dans mon vocabulaire, je ne sais pas ce qu’est un sous-homme bien que votre histoire devrait m’enseigner le sens de ce mot indigne.

Pourtant, sur beaucoup de routes pour beaucoup de caravanes, comme celles de l’Afrique par exemple, celle des Indes et tant d’autres, il est indispensable de passer par les Antilles, ce carrefour obligé du monde. Il faut que vous le sachiez. Et je suis venu moi-même, il y a longtemps, chez vous.

Pourquoi ? Car vous portez le lourd fardeau ou la superbe gloire d’avoir enfanté dans vos îles des hommes dont les voix ont tonné à travers le monde et fait toujours vibrer l’humanité où que se situât l’injustice contre l’humanité et bien que votre histoire ne vous obligeât pas à une telle entreprise. Je pense à Monnerville, à Fanon, à Glissant, à Césaire, à Confiant. Peut-être, peut être, tout simplement parce que votre histoire vous engageait à ce devoir à la mesure de l’injustice qui fut la vôtre et qui fut à l’origine des peuples auxquels vous appartenez
Les problèmes malgache, algérien, vietnamien, juif, palestinien, africain, ont toujours été posés par les voix terribles d’hommes antillais.
Il y eut ainsi toujours aux Antilles une oreille attentive pour les damnés de la terre ! C’est votre destin ! N’en soyez pas fiers, soyez en dignes. C’est votre devoir envers le monde !

D’autres voix s’élèvent chez vous, pour vous, je pense à Pépin, Pineau, Olsnn, Chamoiseau, Constant et beaucoup d’anonymse pour combattre une autre injustice, celle dont vous êtes vous-mêmes victimes.

Alors l’indépendance peut être que vous l’aurez,, pacifiquement, et dans vingt ou trente ans. Alors vous réintègrerez votre monde, vos pays frères, Haïti, la Dominique, Cuba, la République Dominicaine, la Barbade et ces îles poussières et vous retrouverez une âme. Qu’est ce qu’un pays sans âme ? sans dignité ? un pays à genoux et méprisé ? Comme vous l’êtes aujourd’hui !

Qu’est-ce qu’une île dans le rêve d’un poète ? C’est un lieu où l’imaginaire peut prendre forme, hors du monde. C’est la promesse ou l’espoir d’explorer un autre univers des possibles, une réalité irrationnelle et belle, surréaliste. C’est pour cela que je me suis exilé, il y a vingt ans, à la Martinique. Hélas ce n’était pas une île malgré les apparences, mais une possession française ceinte par la mer, pas une île en tout cas pour un poète.

Je partirai ailleurs pour d’autres îles mais partout où j’irai, je me souviendrai de la vôtre. Celle-là fut un terreau fertile à ma réflexion ouvrant la voie à des questions insensées, ouvrant la porte du monde, ouvrant la porte à l’humanisme, la plus exigeante des religions.
Je vous quitte martiniquais, je ne parlerai jamais plus de vos combats, de votre indépendance, je n’apporterai plus mon regard lointain sur votre actualité. Je ne vous donnerai plus ni indignations, ni conseils, ni exhortations.

Je ne suis qu’un Français qui fut, jadis, amoureux de votre île avec son seul regard de poète. A quoi peut donc vous servir ce simple bonheur de m’être trouvé seul, autrefois, vers le jour finissant et ses couleurs atténuées, l’alizé soufflant, dans une savane perdue, à l’orée de la nuit tropicale, une savane de cabouyas et d’herbes-couteau, bordée de gliricidias et d’un flamboyant. A rien et pourtant, c’était çà la Martinique pour moi. Une grande paix intérieure, une poésie humaine partout.
Alors place donc à la poésie en guise d’adieu, Rimbaud, bien sûr :

{Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme à cru voir !

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
--- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur.}

Ceci est mon testament martiniquais. Il y a dans votre pays des énergies et des hommes au cœur des réalités, mille fois plus conscients, plus concernés, plus déterminés et plus intelligents que moi. Le destin de la Martinique est entre leurs mains. Que peut faire un troubadour dans mon genre ? Une chanson de geste, quelques poèmes épiques, une élégie et c’est peu de choses.

Vous penserez que j’ai longtemps tenu le langage d’un renégat à mon pays. Non j’aime la France au plus haut point. J’ai une formation classique française. Je la connais dans ces lieux, dans son peuple, dans son histoire, dans sa civilisation, dans sa culture si riche, dans son art incomparable et dans sa langue magnifique, ma langue. Et je l’aime avant tout.

Je pourrais vous parler de la grandeur de la France mais vous dire aussi qu’elle se déshonore aux Antilles et, hélas, pas que là. Je pourrais vous dire que la France ne vient pas vous voir avec le meilleur d’elle-même mais avec la vulgarité d’une vieille prostituée fardée, rouée et ignoble. Cela, je ne l’admets pas. Ce mépris, cette ambassade nourrissent votre juste haine.

Amis martiniquais, je vous aime bien tout de même, même harkis, même collaborateurs, mêmes traîtres, mêmes veules, même cocus, même pleutres, même lâches, même bourriques, même stupides, même couillons, même {juste bons à regarder ciller jusqu’à mi-verre votre rhum antillais, âmes de morue.} Çà c’est du Césaire.

Amis martiniquais, j’ai aussi, en vous, une entière confiance !

Thierry Caille

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