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Hommage à Madiba

« L'HOMME QUI A BOXE LES DEUX MAINS ATTACHÉES DANS LE DOS »

Roland Davidas
«  L'HOMME QUI A BOXE LES DEUX MAINS ATTACHÉES DANS LE DOS »

Nelson Mandela est mort. La nouvelle était attendue, mais elle nous a profondément affecté. Madiba n'est plus. Une page se tourne pour tous ceux qui, en Martinique et dans le reste du monde, ont milité contre l'apartheid, cet odieux système raciste, instauré en 1948, basé sur la séparation des races, qui opprimait, humiliait et persécutait les Noirs en Afrique du sud.

Je me souviens de la diffusion, au début des années 90, au Campus de Schoelcher, d'un journal d'étudiants qui dénonçait l'apartheid; journal auquel j'ai collaboré auprès de Louis Martinel, Eric Menil, Alain Bermude, ainsi que d'autres amis. Mandela était notre idole. Au fil du temps, il est devenu un père et un repère. C'est pourquoi, je souhaite aujourd'hui lui rendre hommage. Mais je souhaite le faire, à la manière des philosophes. Car je crois que Nelson Mandela était à la fois un homme d'action et un philosophe, c'est-à-dire un amoureux de la sagesse. Mais sa sagesse n'était ni passivité, ni résignation, mais puissance. Nelson Mandela n'est pas né sage, il l'est devenu. Le jeune militant fougueux et impulsif qu'il était au début de son engagement dans la lutte de libération, a progressivement laissé place à un homme dont la sagesse a marqué notre époque. Un homme animé de l'ardent désir de liberté, pour que son peuple vive dans la dignité et la fierté. Un homme dont la vie était le combat. Un homme qui avouait ne pas avoir plus de vertu ni d'abnégation qu'un autre, mais qui avait découvert qu'il ne pouvait pas profiter des pauvres libertés limitées qu'on lui autorisait, alors que son peuple n'était pas libre. Un homme dont la sagesse était subversive. Mais, qu'est-ce que la sagesse? Le philosophe Pierre Hadot la définit comme « un mode d'existence caractérisé par trois aspects essentiels : la paix de l'âme (ataraxie), la liberté intérieure ( autarcie), et la conscience cosmique, c'est-à-dire la prise de conscience de l'appartenance au Tout humain et cosmique, sorte de dilatation, de transformation du moi qui réalise la grandeur d'âme. » Cette définition éclaire bien la sagesse de Mandela. Cette sagesse était en effet, un mélange de sérénité, de contrôle de soi, de discipline, de droiture, mais aussi d'ouverture et d'empathie envers l'autre. On peut également y ajouter : le courage, la lucidité, l'intégrité, le sens des responsabilités et le respect de la démocratie. Cinq ans après son élection historique le 27 avril 1994 comme premier président noir d'Afrique du Sud, il a en effet accepté de se retirer du pouvoir en 1999 (une première sur le continent africain!). Mais la sagesse de Mandela était une sagesse sans humilité. Car « l'humilité n'est pas une vertu, autrement dit elle ne naît pas de la raison. L'humilité est une Tristesse, qui nait de ce que l'homme contemple sa propre impuissance » affirme Spinoza. Or, Nelson Mandela n'a jamais contemplé sa faiblesse ni son impuissance, il a au contraire affirmé sa puissance d'agir face aux tenants de l'apartheid. Il a résisté sans jamais cédé. La sagesse de Mandela n'était donc ni fatalisme, ni résignation, ni compromission. Elle était puissance, détermination, audace, force. La sagesse de Mandela fut subversive et exemplaire. Durant les années de lutte et de résistance, le peuple d'Afrique du Sud, s'est identifié à lui. Grâce à Mandela et à ses amis (Walter Sisulu, Govan Mbeki, Oliver Tambo, Lilian Ngoyi, la militante des droits des femmes, et Joe Slovo, le grand dirigeant communiste), le peuple d'Afrique du Sud a trouvé la force et l'énergie pour combattre et pour vaincre, malgré la répression et les massacres qui ont eu lieu à Sharpeville en 1960 ou à Soweto en 1976. Le 21 mars 1960, la police tire en effet, sans sommations et à bout portant sur des manifestants réunis à Sharpeville, pour réclamer la suppression du « pass », un laissez-passer que les Noirs avaient l'obligation de posséder quand ils circulaient. On retrouvera 69 morts, dont une dizaine de très jeunes enfants, et 180 blessés. Le 16 juin 1976, la police tire sur des collégiens de Soweto qui protestaient contre l'imposition de la langue afrikaans au lieu de l'anglais dans l'enseignement de certaines matières; l'afrikaans, une langue dérivée du néerlandais était la langue de ceux qui avaient précisément instauré l'apartheid. Un gamin de 13 ans tomba, première victime des émeutes qui balayèrent toutes les cités noires et métisses du pays. Son nom Hector Pieterson. La photo le représentant mort dans les bras d'un autre écolier au côté de sa sœur, devint une icône à l'échelle mondiale et le symbole de la répression du gouvernement sud-africain et des lois de l'apartheid. Officiellement, le nombre de morts aurait été de 176 : mais presque toutes les estimations dignes de foi ont avancé les chiffres de 700 tués et 1 000 blessés. Dans ce contexte de répression et de terreur, Nelson Mandela devint un modèle de résistance pour tous les sud-africains Noirs et Blancs épris de justice et de liberté. Il est devenu un modèle de résistance, car il n'a jamais cédé. Il refusa en effet, à plusieurs reprises l'offre qui lui était faite de le libérer, à condition qu'il prenne l'engagement de ne pas « se rendre coupable d'organiser, encourager ou commettre des actes de violence pour servir des objectifs politiques ». Sa réponse, lue par sa fille Zindzi, le 31 janvier 1985 fut un camouflet pour le pouvoir : « Je chéris ma propre liberté, mais je me soucie beaucoup plus de la liberté du peuple... Pas plus que je ne suis disposé à vendre le droit d'aînesse du peuple, je ne puis vendre mon propre droit d'aînesse au prix de ma libération...Je ne peux faire ni ne ferai aucune promesse, alors que ni moi ni vous, le peuple, ne sommes libres. Votre liberté et la mienne sont inséparables. Je reviendrai. » La fermeté dont Mandela a fait preuve face au régime de l'apartheid a été exemplaire. Certains ironisaient en disant, que le président sud-africain (blanc) était le prisonnier de Mandela! Le jour de sa libération, le dimanche 11 février 1990, même les conservateurs ont salué, l'homme qui avait « boxé les deux mains attachées dans le dos ». Grâce à son courage, sa fermeté et sa détermination, Nelson Mandela est devenu un héros pour tout un peuple et une source d'inspiration révolutionnaire pour de nombreux combattants de la liberté tels que, Steeve Biko, Solomon Malanghu, Chris Hanni ou Asley Kriel. Sa détermination à combattre le racisme et la ségrégation, a redonné confiance à des milliers de gens qui luttait contre l'apartheid. Nelson Mandela est mort, mais son héritage politique et spirituel est éternel. Sa pensée et ses actes vont influencer durant des siècles, les hommes et les femmes de bonne volonté qui ont envie de changer le monde. Il n'était ni un saint, ni un prophète, ni un messie, mais un simple serviteur du peuple. Un homme animé d'un profond désir de liberté pour son peuple. Un homme qui savait qu'il n'avait fait que « le premier pas de son voyage », qu'il n'avait fait que « le premier sur une route longue et difficile ». A la fin de son autobiographie, il déclare ceci : « J'ai parcouru ce long chemin vers la liberté. J'ai essayé de ne pas hésiter; j'ai fait beaucoup de faux pas. Mais j'ai découvert ce secret : après avoir gravi une haute colline, tout ce que l'on découvre, c'est qu'il reste beaucoup d'autres collines à gravir. » Dans son allégorie des métaux, Platon classe les hommes en groupes d'or, d'argent et de plomb. Nelson Mandela était de l'or pur. Il y avait de l'or dans sa sagesse exceptionnelle, de l'or dans son humanité, dans sa tolérance et sa générosité, de l'or dans sa fidélité au peuple et dans son abnégation infaillible. Nelson Mandela fut « le frère ainé de tous ceux qui combattent pour la liberté » selon la belle expression de Breyten Breytenbach. Il fut sans doute, l'homme le plus complet du 20ieme siècle. Il fut en effet, un activiste et un militant anti-apartheid très actif au sein de l'ANC ( le Congrès National Africain), l'avocat qui défendit ardemment la cause des opprimés aux côtés de son ami Oliver Tambo, le chef militaire d'Umkunto we sizwe, la branche armée de l'ANC qu'il fonda pour « défendre le peuple » contre la brutalité du régime, l'homme d'état responsable qui prôna la tolérance et la réconciliation entre Noirs et Blancs, dans un pays au bord de la guerre civile. Il fut aussi la conscience morale de l'humanité. Que l'esprit de résistance, de combat et d'humanité de Mandela continue de vivre dans le cœur de millions de personnes. Que son exemple soit suivi partout, en Martinique et ailleurs. Et souhaitons avec Breyten Breytenbach, que « dans le monde entier, des enfants se glissent hors du ventre de leur mère, en poussant des cris dans la lumière, afin qu'on les prénomme Nelson Rolihlahla Madiba Mandela ». Honneur et respect pour Madiba, et « Que Dieu bénisse l'Afrique ». {{Roland Davidas (professeur de collège, ancien vice-président du MECA, Mouvement Étudiant Contre l'Apartheid). }}

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