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L’intelligentsia française et le Petit Poucet

Houria Bouteldja ("Médiapart")
L’intelligentsia française et le Petit Poucet

Le soleil de France ne brille plus sur le monde. En réponse à une polémique lancée par 100 universitaires contre l'émergence de la pensée décoloniale où je suis lourdement diffamée, je me propose de fournir quelques indices qui, tels les cailloux du petit Poucet, baliseront le chemin qui mène, non pas à moi et à ce que je suis réellement, mais à eux et à ce qu’ils sont vraiment.

Le soleil de France ne brille plus sur le monde.

Sartre, Beauvoir, Foucault, Deleuze ou Bourdieu, c’était avant. Quant aux élites - tellement blanches - qui prétendent les remplacer, elles méritent de plus en plus le nom de « pâles » que les Indiens d’Amériques donnaient à leurs bourreaux. Leur rayonnement, désormais réduit au halo des lampions d’une fête foraine, n’impressionne que leur sérail et la cohorte des courtisans qui s’y pressent. Comme le remarquait récemment Rokhaya Diallo : « Grâce à un parfait marketing porté par quelques intellectuels blancs, «le pays des Lumières» passait pour un exemple de coexistence heureuse à l'abri de toute tension raciale ».

Ainsi, par une curieuse distorsion de l’esprit qui n’appartient qu’à eux, - et qui d’une certaine manière fait tout leur pittoresque - une partie significative de l’intelligentsia française est complètement hermétique à la perplexité et à la consternation des observateurs internationaux. Devant une opinion étrangère peu encline à partager leur dévotion pour le mythe républicain et qui s’interroge sur leur intégrisme laïc ou sur leur obsession du voile, ils répondent inlassablement : « Vous ne comprenez rien à nos valeurs ». Prononcez les mots de « race », de « blanchité » ou d’islamophobie, ils vous accuseront soit de faire le jeu de l’extrême droite, soit celui des djihadistes. Et si, entêtés, vous évoquez les discriminations raciales ou l’apartheid social, ils vous accuseront de lèse-universalisme.

Ce pathétique droit de réponse paru dans Open Democracy, en réaction à cette autre tribune signée par de nombreux universitaires inquiets, à raison, de l’apparition d’un maccarthysme français au sein de l’université, en est une parfaite illustration. Cette tentative grossière de sauver auprès de l’opinion anglophone un honneur que le monde entier sait souillé par le mensonge et la mystification ne trompe plus personne. Passons sur les sophismes qui consistent à rappeler l’existence d’autres formes d’esclavage pour nier la spécificité de la traite transatlantique et du colonialisme à l’origine du racisme occidental, passons sur la minimisation de la violence d’extrême droite au prétexte qu’elle ne provoquerait que peu de morts quand on sait que cette violence est sous-traitée par la police et les institutions, passons sur l’usage de la formule « islamo-gauchiste » qui rappelle celle de « judéo-bolchévique » et qui est utilisée par les néoconservateurs pour disqualifier toute critique de l’islamophobie. Bref, passons sur l’extrême pauvreté d’une argumentation fallacieuse qui tient lieu de pensée et intéressons-nous à la diffamation dont je suis victime ici en tant que militante décoloniale. Non pas parce que mon cas mériterait une attention particulière de la part des lecteurs anglophones, qui ont sûrement d’autres chats à fouetter, mais parce qu’il est emblématique de la manière dont on traite, dans le pays de Charlie et de la liberté d’expression, la parole discordante des militants qui ne respectent pas le catéchisme républicain.

Habitués à la complaisance des médias mainstream et à une totale impunité qui leur sert de blanc-seing (les grands medias français n’accordant les droits de réponse qu’au compte-goutte et prioritairement à une caste de privilégiés), « les 100 » espèrent ainsi pouvoir s’essuyer les pieds sur moi dans la presse étrangère comme ils le font en toute quiétude dans Libération, Le Monde ou le Canard enchaîné (Ces médias refusent systématiquement mes droits de réponses alors que je suis constamment diffamée, voir ici ou la ). Ainsi, ils écrivent :

« Le Parti des Indigènes de la République en est un bon exemple, se positionnant comme le principal mouvement « islamiste-gauchiste » en France. L’ancienne porte-parole du mouvement, Hourija Bouteldja, a même soutenu Mohamed Merah, le tueur djihadiste de 2012 : 

« Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Je dis ce soir, je suis une musulmane fondamentale. » Nous rappelons aux signataires de la lettre que Merah a tué non seulement des militaires français d’origine musulmane mais aussi des enfants juifs dans une école de Toulouse »

À la lecture de ce passage, le néophyte ne peut qu’être horrifié et se dire qu’une créature aussi malfaisante que moi a sûrement sa place derrière les barreaux. Surtout si quelques jours plus tôt il avait lu le portrait terrifiant que faisaient de moi deux éminents intellectuels français dans Libération. En effet, Alain Policar et Alain Renault, respectivement docteurs en sciences politiques et en philosophie, se voulant rassurants, et expliquaient à une opinion tétanisée par le spectre de la pensée décoloniale qu’il ne fallait pas craindre la pénétration de mes idées dans l’université puisque chacun sait bien que : « l’écho des thèses racistes, antisémites et homophobes d’Houria Bouteldja est voisin de zéro».

Que le lecteur se rassure, je n’ai pas l’intention ici de me jeter à ses pieds et de le supplier de croire que je ne suis ni l’admiratrice d’un djihadiste, ni l’antisémite patentée décrite par nos Torquemada du clavier. D’abord parce que c’est humiliant, ensuite parce que c’est un exercice illusoire (que vaut ma parole ?) et enfin parce que je préfère me fier à son intelligence plutôt qu’à ses bons sentiments. Aussi, je ne ferai aucune démonstration pour laver mon honneur. Je me propose seulement de fournir quelques indices qui, tels les cailloux du petit Poucet, baliseront le chemin qui mène, non pas à moi et à ce que je suis réellement, mais à eux et à ce qu’ils sont vraiment.

  • Premier caillou : en France, l’apologie du terrorisme est un délit. Or, l’intervention que j’ai faite dans un meeting quelques jours après la tuerie de Toulouse, intitulée « Mohamed Merah et moi », n’a fait l’objet d’aucune poursuite (et ce n’était pas l’envie de mes détracteurs qui manque). Ceux qui tronquent le texte et n’évoquent que la première partie, « Mohamed Merah, c’est moi », sans parler de la seconde, « Mohamed Merah, ce n’est pas moi », sont des voyous et usurpent la qualité d’intellectuels.
     
  • Deuxième caillou : en 2015, la Licra (organisation « antiraciste» pro-israélienne) portait plainte contre moi pour "provocation à la haine raciale" (c’est à dire pour "antisémitisme") à cause d’un texte sur le philosémitisme où j’accuse l’Etat de travestir ses nouvelles formes d’antisémitisme. La réponse du procureur de la République, peu suspect de penchants « islamo-gauchistes », a été de produire cet avis de classement : « L'examen de cette procédure ne justifie pas de poursuite pénale au motif que l'infraction ne parait pas suffisamment constituée ou caractérisée, l'enquête n'ayant pas permis de rassembler des preuves suffisantes ».
     
  • Troisième caillou : de nombreuses personnalités se définissant comme juives, peu suspectes de sympathies hitlériennes, n’hésitent pas à m’apporter un soutien fort et inconditionnel, surtout et avant tout parce que nous partageons une même analyse du colonialisme, qu’il soit sioniste ou pas.
     
  • Quatrième caillou : mes éditeurs sont, en France, La Fabrique, aux Etats-Unis, Semiotext(e) et, en Espagne, Akal, toutes antiracistes, antifascistes et progressistes.
     
  • Cinquième caillou : la version anglaise de mon livre « Les Blancs, les Juifs et Nous, vers une politique de l’amour révolutionnaire» est préfacée par le professeur Cornel West qui enseigne à Harvard. La version espagnole quant à elle est présentée par le professeur Ramon Grosfoguel qui enseigne à Berkeley.
     
  • Sixième caillou : nos actions, manifestations, et meetings sont parrainés, en France, par des personnalités aussi suspectes qu’Angela Davis, Mumia Abu Jamal ou encore Tariq Ali.

Je pourrais rajouter de nombreux éléments factuels susceptibles de redorer mon blason, mais je finirai par paraître présomptueuse. En revanche, si ce faisceau d’indices ne prouve en rien mon innocence, il pourra au moins faire naitre quelques doutes sur le bien-fondé des accusations et sur l’éthique douteuse de ceux qui les profèrent. Car mes détracteurs n’ignorent pas les faits que je viens d’énumérer. Ils mentent, ils déforment, ils manipulent en toute conscience. J’allais dire « en toute impunité », mais si ce droit de réponse est publié ils auront fait chou blanc cette fois ci (merci la presse étrangère !).

Je pourrais également les couvrir de honte en faisant remarquer que lorsque je me déclare « Musulmane fondamentale », je ne me réfère aucunement à un quelconque fondamentalisme religieux mais à la fameuse formule d’Aimé Césaire qui, refusant de renier sa négritude, se proclamait « nègre fondamental ». Je m’arrête là, car la honte que j’éprouve pour eux est en train de se transformer en pitié. Et ce n’est pas bon pour ma chute que je veux plus cinglante.

Du coup, je leur conseillerais bien de prendre exemple sur moi, pourquoi pas en paraphrasant le texte incriminé « Mohamed Merah et moi » ? Ils pourraient écrire : « Les suprémacistes blancs et nous ». Avec une première partie, « Les suprémacistes blancs, c’est nous », où ils analyseraient leur appartenance à la blanchité et le lien objectif qui les lie au racisme d’Etat, et une deuxième, « Les suprématistes blancs, ce n’est pas nous », où ils nous expliqueraient comment rompre avec la logique nationaliste et impérialiste (qu’ils appellent « universalisme ») d’abord en faisant un effort d’humilité et ensuite en traçant une voie pour abolir la race et créer les conditions pour l’unification des classes populaires. Mais voilà que je me mets à fantasmer. Leur demander de prendre exemple sur les militants décoloniaux ? De prendre de la hauteur ? De penser contre eux-mêmes ? Certes, le brave Petit Poucet nous a aidés à découvrir qui ils étaient, mais, hélas, il n’a pas le pouvoir de transformer le plomb en or.

Commentaires

Michel P. | 16/12/2020 - 14:05 :
1) La dame qui passe tout l'article à défendre les particularismes religieux de chacun (sauf de ceux dont le particularisme est de ne pas avoir de religion) finit par vouloir l'unification des classes populaires. Vous avez deux heures pour m'expliquer ce que ça veut dire, sans oublier de préciser pourquoi les classes non populaires n'entrent pas dans l'objectif d'unification. 2) La dame se dit "musulmane fondamentale", très bien. Personne ne l'empêche d'être musulmane. Pour employer la même terminologie, je pourrais dire que je suis "laïc fondamental" mais ça, ce n'est pas bien. La preuve : l'opinion internationale s'interroge. Erdogan fronce le sourcil. Les évangéliques américains tombent en prière. Alors... 3) Et que dire de l'obsession du voile ? Désolé madame, dans ma famille, nous ne sommes pas des obsédés du voile, aucune femme n'en porte. 4) Bref : Sartre, Beauvoir, Foucault, Deleuze ou Bourdieu, c’était avant. Mahomet, c'est maintenant. Mais qu'on se rassure : Mahomet était un homme, il était blanc et colonisateur.

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