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L’Université dénaturée

L’Université dénaturée

Comme un train peut en cacher un autre, le débat actuel sur la liberté académique et la liberté de parole à l’Université cache un conflit idéologique beaucoup plus profond.

Le recteur Jacques Frémont de l’Université d’Ottawa, soutenu par un nombre inquiétant de professeurs d’université et par des politiciens comme Justin Trudeau et Jagmeet Singh, nous invite à vivre dans un univers où « les dominants n’ont pas la légitimité pour décider de ce qui constitue une microagression ». 

Dans cet univers se rejoue constamment la tragi-comédie de la rectitude politique déjà dénoncée par Arturo Sangalli dans l’hebdomadaire scientifique britannique New Scientist (1994). C’est l’univers de la protection de tous ceux et celles qui pourraient être choqués, insultés, voire traumatisés par certains mots ou expressions qu’il faudrait donc proscrire du langage sous peine de subir des représailles, sous la forme de menaces, de harcèlement, sinon d’intimidation ou même d’agression, « puisqu’ils n’ont qu’à subir les conséquences de leur geste ». C’est l’univers de ce que d’autres auteurs ont appelé les « politics of feelings ». 

Évidemment, il est facile de s’entendre sur la nécessité du civisme, du respect des autres et de la non-discrimination; mais où nous arrêterons-nous sur la pente glissante de la protection des susceptibilités ? Que restera-t-il comme vocabulaire quand l’inventaire mondial des mots proscrits sera terminé? Qui sera autorisé à prononcer quel mot? Dans quelles circonstances ? Sur quel ton, et avec quelle intention?

Le recteur de l'Université d'Ottawa, Jacques Frémont

Cet univers est un cul-de-sac idéologique qui s’oppose à l’univers de la science conçue comme une confrontation perpétuelle des croyances, des a priori, des préjugés... Il n’y a rien de plus confrontant que la légitimité du savoir. C’est cet univers scientifique qui a présidé à la création des universités, lieux de parole et de recherche du savoir, comme fondement du débat démocratique. 

Rien n’est plus étranger à l’institution universitaire que la censure, qui est une atteinte directe à la liberté d’enseignement et de recherche de la vérité. Et il appartient en propre à ses dirigeants, recteur en tout premier lieu, de protéger cette valeur fondamentale, sans laquelle il n’y a pas d’Université. Citer le « mot en n » pour expliquer qu’il a été utilisé dans une production littéraire d’une autre époque, ou repris plus récemment par des auteurs africains comme Léopold Sédar Senghor pour le dresser en bannière dont on puisse être fier; ce n’est pas porter atteinte à la dignité de quiconque. 

Le constat d’Aristote « Le mot ‘chien’ ne mord pas » ouvre la porte à toute la sémiologie moderne et à l’idée même de distinguer langue et métalangue, qui est à la base de percées majeures en logique et en mathématique. Les propos de la professeure Lieutenant-Duval relèvent de cet ordre.

Nous sommes donc face à une alternative: l’univers frelaté de la rectitude politique d’un côté, l’univers éprouvé de la science et du savoir de l’autre. Qui aurait cru devoir choisir un jour entre, d’un côté ceux qui déclarent sans sourciller que la Cour suprême du Canada n’est pas légitime parce qu’elle est formée de juristes issus de la majorité blanche (voir la dénonciation de Me Ghislain Otis de cette aberration dans son entrevue au 24/60 du mardi 27 octobre 2020) et de l’autre, ceux qui défendent la liberté académique et la liberté de parole. Qui aurait cru qu’un premier ministre et qu’un recteur d’université auraient pu se ranger, en pleine société du savoir, du mauvais côté de cette frontière entre deux options irréconciliables ? Surtout que les véritables défenseurs de la science et de la liberté s’appuient sur des principes qui sont au cœur d’une société ouverte et démocratique. 

Les auteurs sont Jacques A. Plamondon, ex-recteur de l’Université du Québec en Outaouais et de l’Université du Québec à Trois-Rivières ainsi que Robert Poupart, ex-principal et vice-chancelier à l'Université Bishop’s.

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