Nous apprenons par le quotidien « France-Antilles » que deux maires martiniquais, l’un de Droite et l’autre indépendantiste, sont tombés d’accord pour entamer une action qui fera du drapeau rouge-vert-noir martiniquais le « symbole de la souffrance noire ».
C’est, à mon sens, une dérive tout à fait dangereuse.
Pourquoi ? Parce que cela revient à littéralement dénationaliser notre drapeau, à le noyer dans une revendication universaliste qui ne dérange absolument pas ni la Droite locale ni le pouvoir colonial français. Or, le problème est que malgré son antériorité, son historicité si l’on préfère, nous ne sommes pas encore tout à fait parvenus à le faire reconnaître comme emblème national martiniquais. Loin de là…
Rappelons que ces trois couleurs furent d’abord celles des bandeaux qu’arboraient autour du front certains insurgés de septembre 1870, cette grande révolte du Sud de la Martinique qui faillit conduire la Martinique sur le chemin de la souveraineté nationale. Ensuite, dans les années 70, il fut repris par le PPM (Parti Progressiste Martiniquais) et dans les années 80 par le MODEMAS (Mouvement des Démocrates et Ecologistes Martiniquais pour la Souveraineté) et par le PKLS (Parti Kominis ou Lendépandans ek Sosializm). Sans même nommer divers mouvements patriotiques tels que, par exemple, les « Patriotes non-alignés ».
C’est le MODEMAS et son président Garcin Malsa qui déployèrent le plus d’efforts pour imposer ces trois couleurs, notamment en le mettant au fronton de la mairie de Saint-Anne dont le second est le maire. Malgré cela, à Droite, il reste encore beaucoup de partisans du drapeau colonial bleu ciel frappé de quatre serpents blancs, drapeau qui était en fait un pavillon pour la navigation plus qu’un véritable emblème identitaire. Chez les indépendantistes, notamment le MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais), qui est tout de même, en termes de représentativité électorale, le premier parti de la Martinique, toutes tendances politiques confondues, il semblerait qu’on préfère un autre drapeau, même si celui-ci a été très peu brandi jusqu’à présent.
Bref, est-ce bien le moment d’ôter au rouge-vert-noir son caractère « national » pour en faire un emblème « international », celui de la « souffrance noire » ? N’est-ce pas d’ailleurs ce qui subitement le rend présentable et même acceptable par la Droite martiniquaise ? Car dès l’instant où il ne symbolisera plus notre volonté d’affirmation identitaire et notre désir d’accéder à la souveraineté pleine et entière, mais au contraire un vague concept humanisto-universaliste sans ancrage géographique précis, tout le travail qui a été accompli au cours des vingt dernières années ne risque-t-il pas d’être réduit à néant ?
Quant à cette idée de « drapeau symbolisant la souffrance noire », on peut se demander pourquoi aucun pays indépendant ni de la Caraïbe ni d’Afrique ne l’a jamais portée. Tous les pays « noirs » indépendants possèdent leur drapeau national et en sont fiers. On les verrait mal dénationaliser celui-ci pour en faire celui de tous les Noirs du monde.
Un écrivain congolais déclarait l’autre jour au « Nouvel Observateur » :
« Les Américains ont élu un président américain, pas le président de tous les Noirs de la terre ! »
Il voulait condamner par là la dérive noiriste qui gangrène de plus en plus les mouvements de revendication en Afrique, dans les Caraïbes et dans leurs diasporas en Europe. Transformer la signification du drapeau rouge-vert-noir en la faisant passer de symbole de la revendication nationale martiniquaise à celui d’une souffrance noire universelle relève purement et simplement d’une dérive noiriste.
Il est clair, à mes yeux, que le noirisme est, avec le colonialisme français, l’un des ennemis les plus dangereux de notre lutte pour l’accession à la souveraineté nationale. On peut, en effet, fort bien se sentir « Noir et fier de l’être » tout en étant « Français et fier de l’être ».
La preuve : Thuram et tous les joueurs noirs de l’équipe de France de football.
Messieurs, que la « souffrance noire » soit représentée par un drapeau, je n’y vois aucun inconvénient, même si cette notion me semble peu claire (parle-t-on de « souffrance jaune » ?), mais de grâce, laissez-nous, comme symbole national martiniquais, ces trois couleurs que nous ont légué nos vaillants ancêtres de l’Insureection du Sud.
De grâce !...
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