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MARTINIQUE : EDOUARD DELEPINE, DEFENSEUR DU CANTON…

MARTINIQUE : EDOUARD DELEPINE, DEFENSEUR DU CANTON…

Dans une longue chronique publiée dans « France-Antilles », l’historien Edouard Delépine, membre du PPM (Parti Progressiste Martiniquais), analysant la proposition de Nicolas Sarkozy d’organiser la consultation sur l’évolution institutionnelle de la Martinique en 2012 (et non en 2014 comme le souhaitaient les progressistes), critique vivement le mode de scrutin retenu, scrutin largement basé sur la proportionnelle. A entendre Delépine, si celui-ci était retenu, cela signifierait la fin de la « territorialisation des élus » et la mort de cette vieille institution qu’est le canton.

On est en droit de se demander comment quelqu’un d’aussi intelligent ne s’est pas rendu compte que depuis bientôt 30 ans, il n’y a plus de territoires à la Martinique. Ceux-ci existaient, en effet, à travers la commune et le canton, à l’époque où la Martinique était encore enclavée, où il y avait peu de routes et où la mobilité professionnelle et résidentielle était faible. On se sentait appartenir à telle ou telle commune et chacune d’elle avait (et cultivait) sa propre identité. Or, depuis qu’on a bitumé et bétonné partout, depuis que même les traces de canne sont « luiloudées » et que les résidences HLM et les villas fleurissent à travers la Martinique, la territorialité a volé en éclats. Aujourd’hui, on ne naît même plus en commune ! On n’y meurt d’ailleurs plus non plus. Les veillées mortuaires d’antan, lieu de renforcement des lieux communautaires, ont été, hélas, remplacées par l’ersatz de veillée (tout s’arrête à 10H du soir !) à la morgue de l’hôpital La Meynard. Sans compter que de moins en moins, le Martiniquais est amené à vivre et travailler dans sa commune d’origine. Il migre là où la société d’HLM lui procure un appartement et là où il trouve un boulot. C’est ainsi que plus de la moitié des habitants de Rivière-Salée, Ducos, Lamentin, Saint-Joseph, Fort-de-France et Schoelcher ne sont pas des natifs de ces communes, même si par négligence ou indifférence ils continuent à garder leur inscription électorale dans leur commune d’origine où ils n’habitent plus depuis « nanni-nannan ». Nos politologues déplorent souvent l’absentéisme électoral des Martiniquais. Ils devraient se pencher sur ce phénomène à travers les lunettes de la deterritorialisation des Martiniquais. Exemple : Untel est né au Prêcheur, mais il habite Le Lamentin depuis vingt ans. Or, il n’a pas pensé (ou jugé bon) de s’inscrire sur les listes électorales du Lamentin. Du coup, le jour d’une élection, il se tâte pour savoir s’il va prendre la route pour se rendre jusqu’au Prêcheur pour déposer un bulletin dans l’urne. Les gens dans se cas se comptent désormais par milliers et le phénomène ne pourra aller qu’en grandissant.

Autre exemple frappant de la déterritorialisation : les lamentos des responsables du football martiniquais déplorant le fait que les stades sont de plus en plus vides. Selon eux, c’est la faute à CANAL + et aux super-matches européens qu’ils diffusent sans arrêt. S’il y a un peu de vrai dans cette explication, la vraie raison est à chercher ailleurs. Elle est davantage dans le fait que la plupart des gens qui habitent une commune (en tout cas les grosses communes) n’y sont pas nés. Pour revenir à l’exemple évoqué plus haut, pourquoi Untel supporterait-il l’Aiglon du Lamentin, quand bien même il vit dans cette ville depuis vingt ans, alors qu’il est né au Prêcheur ou au Marigot ? Du coup, les rares spectateurs de nos matches de foot sont les gens qui sont restés dans leur commune, qui y habitent et y travaillent (ou plutôt, hélas, y chôment).

Ce ne sont donc ni Sarkozy ni le Real Madrid qui ont tué la territorialité en Martinique, détruit le sentiment d’appartenance communale et transformé le canton en réalité fantomatique. C’est la « modernisation » du pays, les routes partout, les HLM tous azimut, la mobilité résidentielle et professionnelle. On entend de moins en moins chez les jeunes clamer avec fierté « Man sé moun Marigo » ou « Man sé moun Dikos ». Et les expressions du genre « Ou sé moun Sen-Espri » (Vous avez l’esprit de contradiction) ou bien « Ou sé jan Gwo-Mòn » (Vous n’êtes pas très futé) ne signifient strictement rien pour les Martiniquais de moins de 40 ans.

La commune et le canton sont des réalités coloniales qui ont fait leur temps. Dans une Martinique réellement autonome, il faudrait ramener les communes de 34 à 12 et dans une Martinique indépendante, l’Etat n’aurait de toute façon pas les moyens d’entretenir tant d’administrations communales et leur nombre devrait être réduit à 6 ou 7. Nous ne nous payons le luxe d’avoir tant de communes que parce que la France est le pays des 36.000 communes (une exception en Europe et dans le monde) et parce que le « Papa Blanc » paye. Faut-il rappeler qu’au Québec, état canadien pas spécialement pauvre, on a supprimé 49 municipalités en 2001 ?

Ne pourrions-nous donc pas profiter de l’évolution institutionnelle qui se profile pour prendre acte de la déliquescence de la commune et surtout du canton pour proposer une organisation politico-administrative nouvelle et hardie ? Organisation qui tiendrait compte du fait que la Martinique est minuscule et que la bitumisation massive du pays a mis n’importe quel coin de campagne à trente minutes (sans embouteillages) de Fort-de-France. Tout le monde n’a que le mot « Pays-Martinique » à la bouche, il faudrait désormais prendre acte de cette globalisation irréversible du territoire et ne plus se braquer sur de fantomatiques identités communales ou cantonales.

Dans un territoire aussi petit et aussi peu peuplé que la Martinique (même si la densité est forte), le meilleur scrutin ne peut être que la proportionnelle intégrale sans prime aucune à la liste arrivée en tête. Ce que Césaire appelait « le plus petit canton de l’univers » ne représente, en effet, qu’un simple quartier de Mexico ou de Shanghai.

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