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MARTINIQUE : LA PASSION DU TOUR DES YOLES

Par Jean-Laurent Alcide
MARTINIQUE : LA PASSION DU TOUR DES YOLES

Qui a dit que toutes les traditions sont centenaires, voire millénaires ? Le Tour des yoles de la Martinique démontre en tout cas le contraire. En effet, si ce sont les premiers habitants de l’île, les Caraïbes, qui inventèrent le « gommier », barque creusée dans l’arbre du même nom, si depuis très longtemps, les pêcheurs martiniquais revenant du large prenaient plaisir à se défier à la course pour être les premiers à toucher le rivage, ce n’est qu’en 1985, que Georges Brival, après une première tentative ratée en 1966 émanant d’autres personnes, réussit à mettre sur pied cette formidable manifestation. Aujourd’hui, c’est-à-dire vingt-trois plus tard, le Tour des yoles s’est inscrit dans le patrimoine culturel et sportif martiniquais à l’instar d’éléments beaucoup plus anciens tels que les combats de coq ou le carnaval. C’est même comme s’il avait toujours existé !

À quoi tient ce formidable engouement qui, une semaine durant, tient toute la Martinique en haleine et déclenche des scènes de quasi-hystérie à l’arrivée des équipages dans les villes-étape ? On peut avancer diverses explications, mais il y en a au moins deux qui semblent sortir du lot. D’abord, le tour est une affaire martinico-martiniquaise, même si les services de l’Etat (gendarmerie, marine, SAMU etc.) lui apportent leur concours. Ce n’est pas si fréquent dans un pays ou presque tout est placé sous la houlette, discrète ou déclarée, de la « métropole ». Or, le tour a été fondé par des Martiniquais, est dirigé par des Martiniquais et est évalué par des Martiniquais. Inconsciemment, il s’agit là d’une certaine forme d’affirmation identitaire.

D’autre part, le Tour est devenu un enjeu économique, voire commercial. Au départ, les bateaux couraient sous leur propre bannière et portait des noms évocateurs que la mémoire populaire a conservé : «Frisson», «Boeing», «Frappé des ailes» et tant d’autres. Découvrant l’enthousiasme provoqué par la manifestation, les forces économiques de l’île (chefs d’entreprise, publicitaires etc.) y ont pénétré en force, sponsorisant désormais la plupart des embarcations dont les noms ont bien évidemment changé. Aujourd’hui, c’est « Géant » qui affronte «Joseph Cottrell», par exemple, le premier étant un supermarché appartenant à des Chinois martiniquais, le second une entreprise de matériel de BTP dirigée par des Békés.

Pourtant, il faut se garder de penser que cette intrusion du monde de l’entreprise dans le Tour a perverti ce dernier. Cette évolution s’inscrit dans la logique même de toutes les manifestations sportives ou culturelles, et cela partout à travers le monde. Les foules qui suivent passionnément le tour, qui supportent «leur yole», qui se massent sur les plages à l’arrivée et qui portent les vainqueurs en triomphe n’en ont cure. Que les entreprises financent les yoleurs n’est pas leur affaire ! Ce qui leur importe, c’est la beauté des régates, les défis que se lancent les patrons de yoles, l’atmosphère même du Tour qui est comme une parenthèse annuelle dans une vie faite de soucis et de difficultés de toutes sortes. Le temps d’une semaine, les Martiniquais se vident l’esprit de tout cela et reprennent en quelque sorte des forces pour mieux affronter leur lendemain. Et puis, n’oublions pas que les «petites gens», comme on dit, y trouvent aussi leur compte : marchandes de sorbets ou de poulets grillés, vendeurs de boissons, chauffeurs de taxi ou encore fabricants de casquettes et de tee-shirts. On peut même avancer que cette manifestation est quasiment la seule dans laquelle tous les Martiniquais, quelle que soit leur condition, trouvent leur compte.

À partir du 27 juillet prochain donc, des centaines de gens à bord de bateaux ou de scooters des mers investiront l’espace maritime martiniquais, avides de suivre la course au plus près. Le long des routes et sur les plages d’arrivée, des dizaines de milliers d’autres se masseront, jumelles sur les yeux et transistor collé à l’oreille, pour ne rien rater des péripéties de celle-ci. Et des péripéties, il y en a toujours ! Tel favori qui chavire inopinément, tel autre, moins bien considéré, qui soudain se dévoile et fend les vagues tel un coursier. Sans compter que tout cela est également retransmis à la télévision en direct et largement commenté le soir dans les différents journaux télévisés.

Enfin, le Tour des yoles est un formidable argument touristique pour la Martinique dont nos décideurs n’ont pris conscience que tout récemment. Ces voiles colorées, ces équipages d’hommes (et parfois de femmes) à la musculature impressionnante, cette ferveur populaire qui les entourent, ne peuvent que provoquer l’admiration chez le voyageur de passage. Sans doute le Tour est-il d’ailleurs la manifestation la plus photographiée, la plus filmée et la plus « camescopée » de toute la Martinique. Ainsi les «Négropolitains» en profitent-ils pour faire leur plein d’images qu’ils se repasseront lorsqu’ils seront rentrés «là-bas».

Si le Tour des yoles délivre un message, c’est incontestablement celui de l’unité, de l’unité du peuple martiniquais, et ne serait-ce que pour cette seule raison, ceux qui n’aiment pas la voile devraient lui souhaiter longue vie !

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