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(2ème partie)

MON CAHIER DE RETOUR…

MON CAHIER DE RETOUR…

Ceux qui campent chaque jour plus loin du lieu de leur naissance, ceux qui tirent chaque jour leur barque sur d‘autres rives, savent mieux chaque jour le cours des choses illisibles; et remontant les fleuves vers leur source,  ils sont gagnés soudain de cet éclat sévère où toute langue perd ses armes.

Saint-John Perse, Exil.

Depuis notre départ de Fort de France, entre la chaleur tropicale et l’excitation des derniers préparatifs du Carnaval qui régnaient sur toute l’île, puis le froid sibérien de Paris en février et enfin mon arrivée à l’hôtel Massaley de Bamako, nous étions au quatrième jour de notre périple. Sans mon Hubert à mes côtés, il devait me rejoindre le lendemain, l’esprit tourmenté et le corps aussi, en ce premier matin d’Afrique, la pointe de l’aube me trouva éveillée. J’avais dormi quelques heures et dans la fraîcheur de la nuit qui se décollait par lambeaux dans un bain de lumière rougeâtre et tiède, je guettais par la fenêtre de ma chambre la première image qui s’imprimerait à tout jamais dans mon cœur.

Le palais de Gao de l’empire Songhay et la description que  j’en avais fait dans mon ouvrage (Noire est la marquise) se mêlaient aux  décors sobres de l’hôtel Massaley avec ses sols en marbre, ses larges perspectives, ses multiples salons aux larges fauteuils. Le silence, le parfum apaisant de l’encens dans les  longs couloirs vers les chambres, m’installèrent dans une sorte de rêve éveillé. Le jour finit par se lever vraiment, avec lui me parvinrent des sons étouffés de la rue toute proche et dans  la salle de bain dont les impostes donnaient sur une cour intérieure, des voix  dans une langue étrangère et familière à la fois, arrivèrent jusqu’à moi.

 

 

 

Fébrilement je me préparais à descendre dans la salle à manger où j’avais rendez-vous deux heures plus tard  avec CTP, mais je voulais  aussi prendre le temps de découvrir ce pays Mali qui depuis si longtemps m’avait obsédé.

Il régnait dans le hall et  la salle à manger la même quiétude qu’à mon arrivée la veille, même si parmi les étrangers et les Africains, je ressentais la présence discrète de militaires en civil. Je m’attardai sur quelques sculptures et les masques dogons en ornement des hauts murs du grand salon. Un buffet simple, faits de mets locaux, accompagné d’un déjeuner à la française, allécha ma curiosité, mais j’avais faim d’autre chose et mon enthousiasme me fit choisir la  découverte des  jardins  du grand  hôtel. Simples et soignés, ils s’ouvraient sur des espaces clairsemés, des petits palmiers et des essences locales dont j’ignorait les noms, ornaient les allées. Mais c’est surtout la couleur ocre de la terre un peu craquelée par endroit qui m’attira. Les prémices de la sécheresse et son  impact sur la flore naturelle étaient visibles et je songeai immédiatement à l’effet « El Nino ». J’avais lu à quelques temps de là, dans un magazine scientifique, un article où il était  fait mention de l’extrême vulnérabilité aux précipitations des zones arides et semi-arides du continent du fait de la faible capacité d’une grande partie des sols africains de maintenir l'humidité. Je continuai ma promenade vers le fond du parc qui laissait apercevoir  le minaret d’une mosquée non loin. Je pus tout au long de mon séjour entendre le muezzin et les différents appels à la prière. Une ombre de tristesse me traversa l’esprit. Je songeais  presque malgré moi à mes amis journalistes, tombés sous la violence d’intégristes radicaux. Je pensais à Cabu et à  son regard d’enfant. Il aurait aimé découvrir le Mali.

Je revins dans le hall où m’attendait mon amie accompagnée d’un chauffeur au sourire  ensorceleur. Nous sortîmes  sous un ciel chargé d’une brume mêlée de sable et de poussière. Il faisait chaud, et mon impression première fut celle d’une immensité.

 

 

J’appris que  la ville  s’étendait  sur une superficie de 267 km2  et comptait  près de 1.500.000 âmes. Les grandes artères dominées par des immeubles modernes, étaient  animées par une jeunesse en mouvement sur leurs mobylettes pétaradantes, tandis que les femmes, fines et belles, vêtues dans des tissus colorées,  cheminaient d’un pas allant, avec des charges sur leur tête. J’avais  pris le temps de lire quelques articles sur le Mali  où l’on disait de Bamako  qu’elle était  la plus rurale des capitales d’Afrique de l’Ouest.  J’en convins, car si on ne peut nier la modernité de la ville, sa cité administrative, ses centres commerciaux, ses imposants bâtiments d’inspiration soudanaise, les jardins potagers installés le long des routes m’attirèrent un sourire et me  firent songer à ma petite commune de Case Pilote  de  la Martinique où se mêlent urbanité et ruralité. Pour moi qui appartient non seulement à l’ancienne génération mais quoi que l’on en dise  à la vieille Europe aussi, ces premières images me séduisirent au delà de tout. Je buvais des yeux chaque paysage et à  mesure que nous roulions,  je découvrais une ville plate avec en son milieu le mythique fleuve Niger qui ne démentait pas sa légende car  immuable dans sa majesté. De larges pirogues s’y croisaient car dans ses eaux se déroulait une importante activité d’exploitation de sable et de graviers nécessaires pour la construction. Comme je craignais de n’avoir pas le temps de musarder dans les boutiques, mon amie s’arrêta dans quelques  magasins, où  nous  reçûmes un accueil  chaleureux. Tout en échangeant poliment, mon regard ne pouvait se défaire des étagères de tissus, le bogolan, le basin, le wax et le Kita, des étoffes aux riches motifs. Et  je compris assez vite que ce pays avait besoin de peu pour sortir de son état de nécessité. Car si l’on ne pouvait nier que le  Sénégal, le Mali, le Togo et le Burkina Faso produisaient une partie importante du coton mondial, comment comprendre que les agriculteurs de l’Afrique de l’Ouest fussent  les plus pauvres au monde ?   Mille questions me vinrent à l’esprit, mais le regard franc et limpide  de  notre commerçante me désarma et je  me contentai d’acheter de belles pièces, les unes en souvenir et en cadeaux, les autres pour la confection. Une autre surprise m’attendait lorsque nous arrivâmes dans les ateliers de couture. Celui que CTP me fit découvrir était tenu par un jeune homme, très beau, qui s’empressa de me  présenter ses diplômes  d’artisan  tailleur, un détail qui  me parut  inutile, car  son élégance naturelle, le choix de sa  tenue parlaient d’eux-mêmes. Dans son atelier une douzaine de petites mains, des hommes en majorité, cousaient, coupaient, bâtissaient démontaient. J’adorais l’idée de me faire habiller par cette jeunesse rieuse qui en un court  instant m’avait  fait oublier mes complexes, mes bourrelets et mon grand âge. Dans l’espace de quelques jours, ma garde-robe s’enrichit de  trois tenues, dignes de n’importe quel grand couturier New Yorkais ou Parisien.

Notre matinée de découverte arriva à son terme à notre arrivée à l’IHEM, nos hôtes au Mali et fondateurs du forum de Bamako. L’Institut des Hautes Etudes en Management, logeait dans un  bâtiment de cinq étages, avec en son centre une cour intérieure. Des étudiants occupaient tout l’espace, certains s’étaient regroupés dans la cour  pour l’heure du repas et d’autres pour la prière.

Avec à sa tête le président Coulibaly, je compris plus tard que L’IHEM s’était donné pour mission la formation aussi de la relève que des personnes en situation d’emploi, victimes d’un système qui les empêchent d’accéder à une éducation de qualité, bien que l’enseignement soit un moyen d’échapper à la pauvreté. Le président Coulibaly, l’administration de l’Université et les enseignants nous attendaient tout comme l’aurait fait une famille. J’ai eu l’impression d’arriver  chez un parent  de l’Autre Bord . Je songeai alors aux vers d’Aimé Césaire : De mon île  lointaine  de mon île veilleuse , je vous dis Hooo !

Nous rentrâmes à la tombée de la nuit pour reprendre la route en direction de l’Aéroport à la rencontre d’Hubert et de Jeanne. Dans le jour déclinant, les mobylettes dépassaient sans précaution les voitures, traçant un long scintillement jaune et rouge. Au loin les collines de Koulouba viraient du lilas au violet sombre. Un trop  plein d’émotion me contraint à faire semblant de dormir pour ne pas parler.  Une évidence ne me quittait pas : en dépit de la pauvreté du pays Mali  que le monde connaît et qui transpire, au-delà de la dignité première que l’on peut  lire dans chaque regard, il me plaisait de constater parmi  sa jeunesse une détermination d’émancipation à nulle autre pareille.

Nous arrivâmes à l’aéroport de Bamako-Sénou dans un brouhaha sans nom  et une foule indisciplinée, une ambiance qui me renvoya plusieurs années en arrière  à une époque où celui de Fort de France était en tout point  semblable. J’avais hâte de retrouver mon mari et partager avec lui mes impressions. 

J’avais mille choses à lui dire  et je savais qu’en dépit de nos fatigues réciproques et le plaisir de se retrouver, notre première nuit au Mali serait blanche.  

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