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MONTRAY KREYOL dans sa 14è année d'existence (3è partie)

MONTRAY KREYOL dans sa 14è année d'existence (3è partie)

   Si notre site-web fut créé en 2007 pour d'abord "défendre les langues et cultures créoles", il n'a jamais été question pour nous de faire un site entièrement créolophone.

   Cela a pu décevoir un certain nombre de créolophiles, ce que nous comprenons parfaitement, mais il faut être réaliste ou savoir raison garder. La grande majorité de nos lectrices et lecteurs ne sait pas encore lire notre langue et cela, disons-le sans détours, par la faute de nos instances politiques de tous bords. En effet, depuis bientôt 50 ans (le GEREC de Jean BERNABE, par exemple, fut créé dans les années 70 du siècle dernier), les défenseurs du créole (artistes, écrivains, universitaires, enseignants , journalistes etc.) ont "fait le job" comme on dit. Ils ont doté la langue d'une graphie unanimement reconnue ; ils ont publié des grammaires et des dictionnaires ; ils ont publié des recueils de poèmes, des pièces de théâtre, des romans ; ils se sont battus pour l'introduction du créole à l'école et ont obtenu, aux terme de luttes incessantes, la création d'un CAPES et d'une Agrégation de créole qui permettent de recruter des professeurs formés et compétents ; ils ont, comme l'a admirablement fait KASSAV, porté notre langue aux quatre coins de la planète ; les publicitaires et les journalistes s'y sont mis également etc...

    MAIS...

    Car il y a un gros, un énorme "Mais" ! Tout ce travail de près d'un demi-siècle se devait d'être accompagné de ce que les linguistes appellent d'un mot un peu barbare une "glottopolitique" c'est-à-dire d'une politique de la langue. Comme cela s'est fait au Québec pour le français, pour le tamazight (berbère) au Maroc, pour le corse, le tahitien, le breton, le catalan et bien d'autres langues dites dominées. Or, en Martinique, Guadeloupe et Guyane, cela a toujours été le cadet des soucis de nos responsables politiques incapables de comprendre qu'une langue qui n'accède pas à l'écrit (à "la souveraineté scripturale" comme le disait le même J. BERNABE) et qui se contente de l'oralité, est condamnée à terme dans notre monde moderne. C'est ce qui est en train de se passer pour le créole, phénomène mortifère que les linguistes nomment "décréolisation".

   Cela touche tous les niveaux de la langue :

 

   . le lexique "chadwon" devient "oursen" "chapo-dlo" devient "nénifa" "marisosé ou dimwazel" devient "libélil" ; "agoulou" devient "voras" ; "létjet" devient "plonjon" ; "masibol" devient "amouré/amourez" ; "sanndopi" devient "nen/ti-nen" ; "kagou" devient "maladif" ; "prel-zié' devient "sil" ; "bodzè/prélè/ganmé" deviennent "élégan" ; "zoy" devient "pik" ; "gadjanm" devient "jaré" ; "grangrek" devient "entélektiel" ; "obidjoul" devient "konvènab" ; "madigwàn" devient "piten" ; "piòpiò" devient "timide" ; "megzoklet" devient "eskèlétik" ; "sirè" devient "anbétan" ; "malkadi" devient "évanouisman" ; "koubaré" devient "dèvansé" ; "zizitata" devient "diab-an-bwet" ; "labadijou" devient "krépiskil" etc....etc...

     Des linguistes ont estimé ce "Grand Remplacement lexical", ce "Génocide lexical par substitution", à au moins...3.500 (trois-mille cinq-cents) mots ! Et après ça, des ignares (ceux qui croyant imiter DESCARTES proclament "Je parle français donc je suis") continueront à dire que le créole est pauvre en vocabulaire ou bien est doté d'un lexique très limité...

 

   . la syntaxe : alors même qu'elle est radicalement différente de celle du français et que, pour ne prendre que ce seul exemple, le créole n'a pas de "conjugaisons" comme les langues latines mais fonctionne à partir d'un système aspectuo-temporel basé sur des particules (ka, té, ké, té ka, té ké etc.), elle est de nos jours sérieusement chahutée. On assiste à un mélange grotesque (notamment sur les radios-libres et dans la bouche des politiciens en campagne électorale) à des énoncés qui relèvent carrément du charabia :

     __Man ka inscrit kò-mwen en faux kont lidé-tala.

     __ kadav dé chien ka pit sur l'autoroute.

     __Fok nou lité pou la grille des salaires pou bonne marche lantrèpriz-la  etc...

    Sans parler de tous ces "que" et "de" qui parsème ce parler :

     __Man ka pansé que sa nésésè de lité pou dwa-nou.

    Et même de ce passif agentif qui n'existe pas en créole et qui utilise "pa" ou "par" à tout bout de champ : 

    Sé par travay-mwen man rivé obtienn tou sa. (On n'en est pas encore à "Souri-a té manjé pa chat-la", mais on y arrive à grand pas).

 

     . la rhétorique : l'école et même l'université insistent très peu sur cet aspect pourtant fondamental de toute langue et la rangent dans l'expression fourre-tout d'"expressions idiomatiques". Or, elle exprime la vision du monde d'un peuple, sa façon de découper le réel et est tout aussi importante que le lexique et la syntaxe. Ainsi :

        __"Man fè'y pwan lanmè sèvi savann" est remplacé par "Man fè'y dégerpi".

        __"Timanmay-tala ka fè manman'y wè ti bet" est remplacé par "Timanmay-tala ka pouri lavi manman'y".

        __"Ou ka bwè ti dlo'w" est remplacé par "Ou ka pwan pié'w".

        __"Ou abo mété kò'w an zonbi, ou pé ké rivé" est remplacé par "Ou abo démerdé kò'w kon an beau diable, ou pé ké rivé".

    Aucun linguiste n'a encore à ce jour évalué ce "Grand Remplacement Rhétorique" mais à vue d'œil, il doit être au moins aussi important que son alter ego lexical.

 

   Faute d'une politique linguistique sérieuse au profit d'actions purement symboliques à l'occasion du 28 octobre ("Journée Internationale du créole") ou comme la signalétique de certains quartiers (Mòn Akajou, Ladémach etc.), le créole se délite jour après jour. Inexorablement. Jusqu'à devenir l'espèce de petit-nègre en usage aujourd'hui chez nombre de locuteurs qui n'en sont absolument pas responsables. Car si les défenseurs du créole ont fait le job pendant près de 50 ans, c'était et c'est aux politiques de prendre le relais. Or, mis à part le Festival "Rabouraj" de la ville de Trinité, on n'a rien vu venir et on ne voit toujours rien venir. Dans le programme électoral du "Gran Sanblé" en décembre 2015, il y avait bien la création d'un "OFFICE DE LA LANGUE CREOLE". Cela n'a jamais vu le jour ! Or, cela n'a rien de particulièrement original ou extraordinaire puisque cela existe depuis longtemps à Tahiti, en Corse, en Catalogne, en Bretagne etc...Même la langue française, pourtant aucunement menacée, à sa "DELEGATION A LA LANGUE FRANCAISE" et son "ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE" !  

   On comprend donc que MONTRAY KREYOL ne pouvait et ne peut toujours pas être un site-web entièrement créolophone. Nous sommes les premiers à le regretter mais nous n'y pouvons rien. C'est pourquoi 30% de nos articles seulement sont en créole contre 50% en français et 20% dans diverses autres langues (anglais, espagnol, portugais, arabe etc.). A ce propos, il est important, pour nous qui aimons à nous dire "Caribéens", de nous familiariser, au moins à l'écrit, avec les autres langues de notre archipel. Il est toujours, en effet, moins difficile de lire une langue que de la parler couramment. Avec un niveau d'anglais ou d'espagnol de niveau Classe de Terminale, on peut déchiffrer un texte à condition de faire un effort alors qu'il n'est pas évident à l'oral de comprendre un anglophone ou un hispanophone.

   Et puis, l'irréversible mondialisation fait que notre monde sera de plus en plus multilingue et qu'à moins d'accepter d'être largués, il faudra bien que nous nous y mettions, la Martinique n'étant pas le centre du...monde comme beaucoup trop d'entre nous le croient...

 

 (A SUIVRE)

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