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NATHACHA APPANAH: ‘‘JE NE SUIS PAS UN ECRIVAIN A SUCCES, MAIS UNE FEMME COMME LES AUTRES’’

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NATHACHA APPANAH: ‘‘JE NE SUIS PAS UN ECRIVAIN A SUCCES, MAIS UNE FEMME COMME LES AUTRES’’

Son cinquième roman intitulé ‘En attendant demain’ sera traduit bientôt en anglais et publié par l’éditeur américain Graywolf Press. De Poudre d’Or à Montreuil, en passant par Blue Bay et la terre hostile d’un jeune juif, Nathacha Appanah sait accompagner ses personnages. Entre ces itinérances improbables, elle a trouvé ce qui lui sert de boussole : la sincérité. — Entretien réalisé par Sylvestre Le Bon

Votre nouveau roman ‘En attendant demain’ sera traduit en anglais. Qu’est-ce que cela représente pour vous, une nouvelle consécration ou la suite logique d’un parcours ?

Cela représente d’abord une nouvelle occasion de travailler avec mon éditeur américain que j’apprécie particulièrement. Je me sens chanceuse. Cette bonne nouvelle est tout, sauf une suite logique. C’est difficile pour les écrivains francophones de traverser ce plafond de verre qu’est la traduction en anglais, d’autant plus avec un texte comme celui-ci qui est plutôt intimiste.

 

Pourquoi cette absence relativement longue de votre part sur le plan littéraire après la parution du ‘Dernier frère’ en 2007 ? 

J’ai beaucoup accompagné ‘Le dernier frère’ dans les festivals et les salons, en France et à l’étranger. Cela demande beaucoup d’énergie, de temps et le sujet de ce roman n’est pas anodin. Je peux dire, avec le recul, que je suis restée ‘‘dans’’ cet ouvrage longtemps après sa publication. Je crois qu’il y a cette impression qu’un auteur peut passer d’un livre à l’autre facilement. Cela n’a pas été le cas pour moi. Ensuite, mon cinquième ouvrage, ‘En attendant demain’, est un roman intimiste et le processus d’écriture est différent, plus lent, plus introspectif. La construction temporelle de ce texte m’a également demandé beaucoup d’attention.

 

Vous présentez ‘En attendant demain’ en dix-sept tableaux. Ce nombre suffit-il pour dire une vie ?

Cela ne suffit jamais, n’est-ce pas ? J’aurais aimé continuer à suivre Adam et Anita ou, encore, m’attarder sur un moment précis… Pourtant, j’ai l’impression que pour ce couple-là, ces dix-sept chapitres-tableaux peuvent suffire pour les incarner. Peut-être que je me trompe.

 

La jeune femme Anita qui fait un stage dans une rédaction et qui veut devenir écrivain est-elle inspirée de votre vécu ?

Oui. J’ai été journaliste avant de publier mon premier roman. Anita est, plus précisément, une correspondante dans la PQR (Presse Quotidienne Régionale). Ce n’est pas un stage, elle est une professionnelle qui fait du journalisme moins bien payé que ses confrères. 

 

La question reste posée à travers le personnage Adèle. Peut-on ‘‘piller’’ de la vie d’un personnage, fictif ou réel, pour écrire, peindre, créer ?

C’est en effet la grande question qui anime ce roman. Jusqu’où les artistes peuvent-ils  aller ? S’inspirer de, se baser sur… toutes ces expressions pour dire que nous avons besoin des autres, d’une caisse de résonance, d’un miroir pour créer mais ‘‘piller’’, comme vous dites, certainement pas. Cette limite, justement, Anita et Adam ne la respectent pas.

 

Et qu’est-ce que vous inspire l’autofiction telle qu’elle se pratique souvent chez Beigbeder, Houellebecq et Zeller ?

Je n’ai lu qu’un seul ouvrage de Houellebecq et ne connais Florian Zeller qu’à travers ses pièces de théâtre. Je n’ai jamais rien lu de Beigbeder. On dit un peu tout et n’importe quoi sur l’autofiction. A tel point que ce mot ‘‘autofiction’’ finit par être un peu péjoratif et même insultant. Écrire sur sa propre vie, être un observateur de sa propre existence, des fils et des nœuds quotidiens, peut être, à mon avis, extrêmement intéressant. Je pense aux œuvres de Joan Didion, de Jamaica Kincaid et d’Annie Ernaux qui sont des bijoux d’observation, de sincérité et, aussi, de perspective. Ces femmes observent leur vie, décortiquent le pourquoi et le comment et écrivent des livres qui ont une portée universelle.

 

Depuis votre premier roman ‘Les rochers de Poudre d’or’, on peut difficilement saisir une thématique précise comme fil conducteur de vos œuvres. Est-ce que cela vous préoccupe qu’il y en ait une ?

Non, pas du tout. 

 

Votre roman ‘Le Dernier Frère’ est celui qui, jusqu’ici, a connu le plus de succès et a été traduit en seize langues. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire sur l’histoire d’un jeune juif à Maurice pendant l’occupation nazie d’une bonne partie de l’Europe ? À quoi attribuez-vous le succès de ce roman ?

J’ai toujours été – et le suis toujours – une grande passionnée des récits des deux guerres. J’ai toujours pensé être née dans un pays ‘‘épargné’’ et j’ai été très choquée d’apprendre l’existence du cimetière juif de Saint-Martin. J’avais 25 ans. Jamais, au collège, quand nos professeurs nous parlaient de la Seconde Guerre mondiale, jamais le sort de ces 1 500 juifs arrivés à Maurice n’avait été évoqué. J’ai trouvé cela insupportable. Cela m’a pris des années avant de trouver la voix de Raj, mon personnage principal dans ‘Le Dernier Frère’, mais ce n’était pas un travail à faire à la légère, n’est-ce pas ? Le devoir de mémoire, ce n’est pas rien.

Pour vous dire la vérité, je ne sais pas pourquoi ni comment un livre a du succès. Je les ai tous écrits avec la même sincérité et je les ai tous accompagnés avec beaucoup d’enthousiasme. J’en ai publié cinq et à chaque fois, le chemin est différent.

 

Que répondez-vous à ceux qui disent que la ‘juiverie’ est un sujet toujours porteur ?

Je réponds que ceux qui ont encore ce terme d’avant-guerre à la bouche sont des antisémites.

 

Comment trouvez-vous en général des sujets pour vos romans ?

Je crois que je commence toujours par une interrogation toute personnelle. Par exemple, mon dernier roman est inspiré par le mécanisme même de l’inspiration et de la création. Je me suis posé mille questions moi-même quand je n’arrivais pas à écrire, à dérouler une histoire… 

 

L’artiste a besoin de solitude pour créer. Êtes-vous un être solitaire ? Avez-vous un rituel avant d’écrire ?

Oui, j’ai besoin d’être seule pour travailler mais je ne crois pas être un être solitaire. Je ne m’ennuie jamais, seule, mais je peux m’ennuyer fermement avec une autre personne. Mon rituel est simple. Je vais déposer ma fille à l’école et je me mets à mon bureau, sans musique, sans téléphone. Je lis une grosse demi-heure avant de commencer. Après, c’est très incertain mais une certaine discipline est nécessaire ; par là je veux dire que je ne me lève pas toutes les trente secondes, je ne vais pas sur Internet, j’essaie de rester ici et maintenant. Dans l’après-midi, je travaille à mes traductions si j’en ai une en route, à mes lectures ou à mes articles. Je fais une pause à 16 heures pour récupérer ma fille. Quand cette dernière est couchée, vers 21h, je retravaille encore un peu, je relis ce que j’ai écrit le matin ou je termine un article. 

 

Comment s’est opérée pour vous la transition du journalisme à l’écriture romanesque ?

Il n’y a pas eu de transition vraiment car je continue à écrire des articles, je traduis également et je lis des manuscrits pour une maison d’édition.

 

Et comment gérez-vous votre statut d’écrivain à succès ?

Je ne suis pas un ‘‘écrivain à succès’’… C’est déjà très difficile de s’imaginer et de se dire ‘‘écrivain’’… Mon quotidien est celui de toutes les femmes qui jonglent avec un enfant en bas âge, un travail, les repas, les livres à lire, les courses et tous les aléas du quotidien.

 

Lisez-vous régulièrement les auteurs mauriciens ? Pensez-vous que la littérature mauricienne jouit d’une bonne santé comme l’affirment certains ? 

Je regrette de ne pas pouvoir lire plus, en réalité, car je n’ai pas accès à tout ce qui est publié à Maurice même. J’échange avec certains auteurs qui sont des amis. Je suis une grande admiratrice des poètes mauriciens. Oui, la littérature mauricienne se porte très bien mais des remarques comme cela me gênent un peu. Comme si nous reproduisions nous-mêmes ce vieux schéma qui nous fait exister que dans le regard et l’opinion extérieurs. Il y a eu beaucoup d’articles sur la vivacité de la littérature mauricienne, du nombre de Mauriciens publiés en France, etc. comme à chaque fois il y a des articles sur les artistes haïtiens qui continuent à peindre, à écrire malgré le malheur. Comme si nous, Mauriciens, Haïtiens etc., n’étions pas programmés pour cela et que publier, écrire, peindre et être bons à ça, est d’une certaine façon un accident, un épiphé- nomène qu’il faut analyser, comprendre, surveiller. Parfois, ça me fait l’effet d’une observation ethnocentriste… Mais j’exagère peut-être

 

Comment vit-on son identité quand on habite loin de son île ?

Très simplement, sans culpabilité et en acceptant que celle-ci soit mouvante, comme les sables.

 

Quels sont les rêves et les désirs que vous pouvez encore ‘inhaler’ comme votre personnage Anita ? Qu’attendez-vous encore demain ou après ? 

Oh, c’est sympathique cette question. J’espère continuer à écrire, à trouver le souffle, et à publier. 

 

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