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NON, MAIS IL SE PREND POUR QUI CE LOZES ?

Par Raphaël Confiant
NON, MAIS IL SE PREND POUR QUI CE LOZES ?

Dans l’édition du quotidien « France-Antilles » en date du vendredi 19 octobre, je découvre, non sans stupéfaction, une interview du sieur Lozès, président autoproclamé « des Noirs de France » (sic) dans laquelle on peut lire ceci :

{ « J’appelle tout le monde, y compris M. Confiant, à faire de la Martinique un territoire écologiquement propre. »}

De quel droit ce monsieur se permet-il de lancer cet appel aux Martiniquais et à moi en particulier ? A-t-il jamais vécu dans notre pays ? A-t-il jamais une seule fois, au cours des dix ou vingt dernières années, jamais pris position sur un seul problème concernant la Martinique ou les Antilles ?

Je n’ai ni conseil ni leçon à recevoir, pas plus en matière d’écologie que dans d’autres domaines, d’individus qui utilisent la couleur de leur peau pour obtenir des positions de pouvoir dans l’appareil sarkozien, et cela quand bien même, comme c’est présentement le cas, ils n’ont aucune qualification pour occuper lesdites positions. Que M. Lozès joue la carte du « noirisme » en France, c’est son problème ! Qu’il accepte une « mission sur les minorités visibles » qui y vivent, c’est son droit le plus absolu ! Mais il n’a pas à s’occuper des problèmes de la Martinique qui sont du ressort des seuls Martiniquais, de ses travailleurs, de ses hommes politiques, de ses intellectuels ou de ses militants associatifs.

Pendant 30 ans, les différents gouvernements de Droite, de Gauche et de cohabitation ont sciemment caché au peuple martiniquais que nos sols, nos rivières, nos nappes phréatiques et nos rivages étaient massivement contaminés par l’usage délirant de tout un cocktail de pesticides (plus de 100 !) utilisés dans les bananeraies. Alors même que les propres services déconcentrés de l’Etat en Martinique conduisaient des enquêtes scientifiques aux termes desquelles ils aboutissaient toujours aux mêmes conclusions, à savoir que {{nous subissions un empoisonnement massif}}, un vaste silence, un silence organisé, s’est installé autour de cette question. Silence dont notre peuple paie aujourd’hui dramatiquement les conséquences : explosion du taux de cancers, développement inquiétant des maladies d’Alzheimer et de Parkinson, infertilité féminine et masculine croissante, malformations congénitales etc…

Pour avoir milité depuis près de vingt-cinq ans sur le terrain, aux côtés de Pierre Davidas, de l’ASSAUPASSU devenue l’ASSAUPAMAR, puis aujourd’hui de l’association « Ecologie urbaine », dirigée par Louis Boutrin, j’ai été de tous les combats écologiques de ce pays. A l’époque, les beaux esprits et autres « gran-grek » locaux se riaient de nous et traitaient Davidas d’affabulateur ou de dérangé mental. Au cours des deux dernières années, L. Boutrin et moi-même, nous nous sommes décidés à briser l’omertà autour du scandale du chlordécone. Car tous les responsables savaient que les associations écologistes avaient raison, mais ils maintenaient une véritable chape de plomb sur l’information avec la complicité, hélas, des principaux médias martiniquais. Pendant deux ans, nous avons traduit différents articles scientifiques publiés aux Etats-Unis suite à l’explosion de la seule usine qui fabriquait le chlordécone, en Virginie, ainsi que les publications de l’ « American Cancer Institute », le plus grand centre de cancérologie mondiale. Nous les avons ensuite confrontés aux études menées par les services de l’Etat français en Martiniquais. Tous aboutissaient à la même conclusion irréfutable : {{le chlordécone n’est rien d’autre qu’un poison}}. Ce qui poussa les Etats-Unis à interdire ce pesticide dès 1979 alors que la France n’a pris la même décision qu’en…1993.

Cette décision tardive, presque contrainte et forcée face à la levée de boucliers des écologistes, n’est rien d’autre qu’un {{crime contre l’humanité}} qui participe du processus génocidaire enclenché dans notre pays depuis trois décennies par les différents gouvernements français. C’est ce crime que Louis Boutrin et moi avons dénoncé dans notre ouvrage, « Chronique d’un empoisonnement annoncé », paru chez L’Harmattan en février 2007. En mars 2007, grâce à Alfred Marie-Jeanne, président du Conseil Régional de la Martinique, nous obtenions une salle à l’Assemblée Nationale française, où, avec l’aide de Patrick Karam et du Collectif-Dom, nous avons organisé une conférence de presse, conférence à laquelle prirent par le député « Vert » Alain Lipietz et l’ex-ministre de l’Ecologie, Corinne Lepage. Bien que présente, la presse française n’en a pipé mot ni dans ses journaux ni dans ses radios ni dans ses télés. Et il a fallu attendre 8 mois pour que l’affaire éclate ! Quand, en septembre dernier, le cancérologue Dominique Belpomme, tapa du poing sur la table.

Pendant ces 8 mois, nous n’avons jamais entendu parler ni du sieur Lozès ni de son CRAN. Jamais ! A l’époque, ce monsieur n’invitait pas encore les Martiniquais à « faire de la Martinique un territoire écologiquement propre ». Farceur, va ! Opportuniste ! Mieux : à peu près à la même période, le vice-président du CRAN (non mais ils sont tous président ou vice-président de quelque chose, ces gens-là !), le dénommé Georges Tin, d’origine martiniquaise et par ailleurs président des « homosexuels de France » (sic), participa à une émission de « France-Culture » qui se voulut un véritable lynchage médiatique de ma personne au motif que je serais antisémite. Ces imprécateurs ne savaient même pas que bien que payant la redevance comme tous les citoyens français, les Martiniquais ne sont pas jugés dignes de recevoir cette chaine culturelle (seul « Télé-foot » leur convient apparemment) et n’ont donc rien su de cette « vakabonnajri ». C’est dire comme ces messieurs du CRAN connaissent bien notre pays !

Nous n’avons que faire de M. Lozès et de sa pseudo-mission. Nous n’avons que faire de ses conseils ou de ses invites à transformer notre pays en ceci ou cela. Et personnellement en tant que Créole, et donc descendant d’esclave, je n’ai aucune leçon à recevoir ni de descendant d’Africain ni de descendant de Hongrois. Je suis un survivant. Nous, Martiniquais, sommes des survivants et nous n’avons plus rien à perdre. Sauf le pays et la culture que nos ancêtres ont douloureusement bâtis pendant trois siècles sous le joug et les fers. {{Ceux dont les pères n’ont jamais été esclaves, ceux dont les pères furent, dans certains cas, soit des esclavagistes soit des complices passifs ou actifs de l’esclavagisme, n’ont rigoureusement aucun droit de chercher à gouverner nos existences.}} Nous, Martiniquais, sommes les seuls à être habilités à dire ce qui est bon ou n’est pas bon pour nous.

Car moi aussi, si j’étais méchant (et je le suis ! Ce qui fait que je n’en ai strictement rien à cirer des attaques de tous bords), je pourrais donner un conseil à ce monsieur Lozès d’origine béninoise. Je pourrais lui dire par exemple :

{ « Je vous invite à faire du Bénin, l’un des pays les plus pauvres du monde, un territoire économiquement développé. »}

Mais il est vrai que pour un « Banania », il vaut mieux être confortablement installé en France, lécher les bottes des colonialistes afin d’obtenir des strapontins, au lieu de se coltiner la difficile tâche d’apporter ses compétences et son savoir-faire à ses compatriotes africains pour tenter de bâtir cette Afrique fière et digne que les Nyobé, Amilcar Cabral, Sankara et Nyéréré appelaient de leur voeux.

La seule Afrique dont moi, en tant que lointain descendant d’Africain, je pourrais être fier. Tout comme un Indien martiniquais d’aujourd’hui est fier de l’Inde ou un Chinois martiniquais est fier de la Chine.

{{Raphaël Confiant}}

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