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ON NE GAGNE PAS UNE GUERRE AVEC DES FLEURS

Jean-Luc BOUTANT
ON NE GAGNE PAS UNE GUERRE AVEC DES FLEURS

Le peuple martiniquais ne l’a pas encore compris. Nous sommes pris dans la nasse. Nous sommes comme le cochon de noël qui crie parce qu’il sait qu’il va être égorgé. Il n’y a pas d’échappatoire. Sauf celle de prendre les armes pour foutre la révolution et créer une nouvelle société qui nous appartiendra. A ce moment, le « Matinik sé ta nou sé pa ta yo » prendra tout son sens.

Mais combien parmi nous sont réellement prêts à franchir le pas ? Combien sont prêts à renoncer au confort et aux douces sécurités procurées par la société de consommation ?

Il suffit de voir l’indiscipline de nos compatriotes dans les stations d’essence et leur avidité dans les boulangeries (débwouya pa péché) pour se rendre compte à quel point la peur de manquer s’est installée insidieusement en nous.

Ce que nous ignorons, c’est que nos comportements sont prévisibles. Simplement parce que comme le rat de laboratoire, on nous a accoutumés à répondre à des stimuli destinés à nous faire agir d’une certaine façon, à avoir des comportements réflexes.

Nous ne nous sommes pas aperçus qu’entretemps on polluait nos terres, nos rivières, nos sources, nos rivages pour nous ôter toute possibilité de résistance et nous condamner à importer des produits de subsistance. Nous ne nous sommes pas aperçus que nos écoles primaires étaient envahies par des cohortes d’enseignants venus d’ailleurs pour formater nos enfants dès leur plus bas âge aux modes culturels exogènes et leur ôter leurs repères. Beaucoup d’entre nous ont été acteurs de la vente de leurs terres à des non martiniquais.

Nous avons accueilli à bras ouverts la grande distribution sans nous rendre compte que nous créions des situations de monopoles qui casseraient les activités de proximité des centres-villes.

Nous avons été rendus aveugles sur des fondamentaux car notre attention a été constamment détournée. Et nous avons refusé nos ti-nains, notre fruit à pain, nos prunes chili, notre corossol au profit des pommes de terre, des poires, des raisins pesticidés de bas de gamme que l’on nous expédiait.

Nous avons détruit tous les réseaux de petites boutiques indépendantes détenues par des martiniquais au profit de franchises commerciales détenues par qui nous savons. Nous avons rejeté notre langue créole et pratiqué avec délectation l’auto flagellation. Nous avons été happés par le clinquant, le bling-bling, le superficiel et le goût du luxe qui ont fait de nous des êtres pleins de suffisance, des « mendiants arrogants » comme l’a écrit Césaire qui en veulent toujours plus.

Nous avons facilité le processus de « génocide par substitution » dénoncé par Césaire, qui a commencé par la maîtrise de nos schémas de pensée, qui s’est poursuivi par l’emprise sur notre tube digestif et l’illusion du progrès et du développement. Nous sommes devenus des êtres extra fragiles, névrosés, ramollis par une société d’abondance, enfermés dans une sacro-sainte peur du manque. Nous sommes devenus le produit d’une habile stratégie d’aliénation, élaborée par des gens qui réfléchissent, des prédateurs qui nous nous ont piégés comme un crabe dans sa ratière.

Il a fallu que la crise mondiale aborde nos rivages pour que nous ouvrions brutalement les yeux sur un système économique pervers, cautionné par tous les régimes qui se sont succédé en France depuis 1635 et tous les gouvernements de la Vème république qui n’ont eu comme uniques buts d’exploiter dans l’intérêt de la France et d’enrichir une catégorie de profiteurs.

Nous sommes nombreux aujourd’hui à accuser de « pwofitasyon » les supérettes de quartiers ou de communes qui pratiquent des prix prohibitifs. A aucun instant, nous n’imaginons qu’il s’agit une fois de plus du remake de la tactique du « nèg kont nèg » utilisée avec succès à plusieurs reprises par le passé. Car en réalité, qui délivre les franchises des supérettes de proximité ? Qui sont les grossistes qui détiennent les plateformes de distribution ? Qui impose les prix aux petits commerçants? Et qui en nous dressant une fois de plus les uns contre les autres, prépare notre retour en masse dans les grandes surfaces ?
Comme le dit le proverbe « Si pa ni soutirè, pa ni volè ». Oui, nous avons notre part de responsabilité dans ce qui nous arrive. Oui, la France a sa part de responsabilité car elle a fait subsister un système de type colonial en maintenant une relation privilégiée avec les descendants des colons. Oui, nos élites et particulièrement nos élus quelque soit leur bord politique ont leur part de responsabilité, car qui a délivré des autorisations d’implantation de grandes surfaces, contribuant à concentrer l’économie dans les mains d’un petit nombre ?

Qui a déclassé les terres agricoles ? Qui a délivré les permis pour construire des résidences en défiscalisation ? Qui de ce fait a favorisé la spéculation sur le foncier le rendant inaccessible pour les martiniquais ? Lors de sa première déclaration, le président de l’association des maires a affirmé « Ne touchez surtout pas à l’octroi de mer ». Pourquoi ? Parce que l’importation de marchandises constitue une manne financière pour les communes. Pour ce faire, on multiplie les grandes surfaces, on ne se soucie pas d’organiser le transport car plus les martiniquais achèteront des marchandises, des voitures, du carburant, plus le fric entrera dans les caisses des collectivités, ce qui permettra à ces messieurs de faire de leur fonction élective une véritable rente de situation et de s’offrir des voyages en 1ere classe sur les vols F de F/ Paris…Oui, on nous a sans doute mis dans le bocal, mais nous avons fermé le couvercle.
Coup pour coup nous sera rendu dans la guerre que nous avons déclarée. Les oligarques ont plusieurs coups d’avance sur nous. Ils ne renonceront jamais à leur pouvoir, leur puissance, leur domination qu’ils ont patiemment construit et préservé pendant 400 ans. Et là, article 72, 73, ou 74 n’y changeront rien car le pouvoir économique ne changera pas de mains.

D’ailleurs, Sarkosy l’a compris. Il est prêt à accéder à toutes nos demandes d’évolution institutionnelle. Il n’a rien à perdre car la Martinique est sous contrôle. Elle a été constituée en marché captif pour les produits « made in France ». En effet, toutes les grandes enseignes françaises de commerce et de services y ont pignon sur rue. Le réseau bancaire et financier français est fortement implanté. Le règlement de la plupart des services est centralisé sur l’hexagone. La française des jeux ponctionne annuellement plus de 1 milliard 600 millions d’euros sur les martiniquais, c’est-à-dire 5 fois le budget du conseil régional. Imaginez cet argent dans l’économie locale ! En changeant de statut, nos élus disposeront certes de plus de pouvoir politique mais d’une marge de manoeuvre quasi inexistante. De plus, la Martinique n’émargera plus automatiquement au budget de la nation. Elle n’aura plus droit qu’à un
budget annuel qui dépendra des possibilités de la France. Dans la situation de crise que connaît la France, c’est un grand service que nous rendrons à Bercy car en sortant du statut de département, nous contribuerons formidablement à la réduction de l’endettement de la France et à l’allègement de son budget.

Nous avançons donc en terrain miné. Nous sommes cernés de toutes parts par un ennemi impitoyable et nous n’avons pas d’autres armes que nos gorges pour crier. Nous n’avons dans l’immédiat aucune solution pour desserrer l’étau. Sur ce plan, le LKP Guadeloupéen qui appelle à une société nouvelle paraît plus en avance, mais il commet l’erreur de réclamer une plus grande intervention de l’état providence pour faire avancer les revendications sociales. Il nous faudra encore réfléchir, élaborer des stratégies sur le moyen et le long terme qui nous
conduiront vers l’action et pas dans la réaction, construire l’unité et la solidarité de notre peuple. Autrement, point de salut.

Jean-Luc BOUTANT
20 février 2009

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