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PADOU BAHARANI, L'UNE DES DERNIERES REPRESENTANTES DE LA COMMUNAUTE INDIENNE EN TUNISIE

http://www.huffpostmaghreb.com/
PADOU BAHARANI, L'UNE DES DERNIERES REPRESENTANTES DE LA COMMUNAUTE INDIENNE EN TUNISIE

Aviez-vous connaissance de la présence d'une communauté indienne en Tunisie? Non? Vous n'êtes pas le seul! Et pourtant, cette communauté qui est implantée depuis plus d'un siècle en Tunisie, s'est démarquée par son sens du commerce aiguisé ainsi que ses traditions indiennes imprégnées du melting-pot de l'époque coloniale française.

Aujourd'hui propriétaire d'une villa de type néo-colonial dans le quartier résidentiel de Mutuelleville, Padou Baharani doit tout à son père, qui a migré en 1914 de l'Inde jusqu'en Tunisie pour travailler en tant qu'employé dans un commerce indien.

De la rue de la Commission à la villa dans le très chic Mutuelleville, voici le récit d'une des dernières familles indiennes présentes en Tunisie...

"C'est la coutume"

En raison de la misère aux Indes à l'époque, le père de Padou Baharani a rejoint son frère à Tunis à 14 ans pour travailler dans une des quatre commerces indiens déjà présents en Tunisie.

En Inde, les hommes qui se mariaient quittaient directement leur femme - restées chez leur belle-mère - pour aller travailler. Son père n'échappe pas à la règle. "Il est rentré en Inde en 1920 pour se marier. Il est ensuite revenu en Tunisie en 1922 et a décidé avec son frère d'ouvrir sa propre boutique", raconte Baharani.

Situé dans la très commerçante rue Jemaa Zitouna - anciennement rue de l'Église - le magasin de souvenirs vendait entre autres des objets provenant des Indes, du Japon ou encore de Chine. L'artère abondait déjà de boutiques tenues dans la majorité par des Djerbiens. "Nous nous différencions d'eux par notre marchandise, qui provenait de l'Extrême-Orient", explique Baharani.

Aux souvenirs des Indes

Au terme d'un voyage en Inde en 1934, le père de Padou décide de ramener sa mère ainsi que son épouse et son fils - né entre-temps - à Tunis. "Ils sont arrivés modestement. En ce temps-là, ils faisaient venir toute la nourriture des Indes. Ils n'achetaient presque que la viande en Tunisie."

En plein protectorat français, la famille apprend vite la langue et s'adapte au pays tout en gardant ses traditions. La famille emménage également dans la villa de Mutuelleville. "Il y avait des Maltais, des Israélites, des Italiens, etc., c'était un beau melting pot", se remémore-t-elle.

 
 

La grand-mère de Padou Baharani, à son arrivée en Tunisie, déambulait dans les rues de Tunis vêtue du sari, un vêtement traditionnel indien généralement porté après le mariage. "Elle portait même un diamant au nez en signe de mariage, mais elle l'a enlevé parce que tout le monde la regardait!", ironise Baharani.

Padou Baharani portera également le sari après son mariage, avant de l'enlever quelques années plus tard en même temps que l'émancipation de la femme tunisienne sous Bourguiba.


padou baharani


Padou Baharani et ses deux fils, à l'occasion de ses 80 ans.

 

"Le rêve tunisien"

Pendant la deuxième guerre mondiale, alors que les Allemands ont bombardé la Tunisie jusqu'à Gabès, la mère de Padou Baharani décide de faire entrer son frère aîné dans le business des souvenirs et il se met à travailler dans la première boutique, surnommée "Aux Souvenirs des Indes".

"Mutuelleville était très sécurisée et, pendant la guerre avec les bombes, mon père nous ordonnait de rester dans l'appartement. Alors ma mère nous disait de nous mettre dans les coins", se remémore Baharani en souriant.

Le deuxième frère de Padou voulait devenir médecin, mais héritera de la deuxième boutique - le Grand Palais Oriental - en 1953. À l'époque, les étrangers n'étaient pas autorisés à exercer la médecine. Le père de Padou Baharani enchaîne en 1959 avec le troisième et dernier magasin qu'il ouvrira: Jayanti, en hommage à un membre de la famille.

La même année, Padou Baharani se marie au Casino du Belvédère à Tunis. Son mari, venu de Tanger, appartenait également à la caste des Sindhis. En effet, il était inenvisageable pour Baharani de se marier avec un Indien d'une autre caste. La petite dernière - la boutique, Jayanti, sera donc donnée au mari de Padou.

La caste des Sindhis est considérée comme une caste économique très commerçante. "Les Sindhis sont ceux qui ont le mieux réussi dans le monde", insiste-t-elle.

Et c'est là que les affaires décollent, alors que la famille devient grossiste pour toute la Tunisie. "C'était vraiment le rêve tunisien: partir de rien et réussir à force de travail et du sens de la famille", s'exclame Baharani.

Culture et traditions

En 1956, alors que la Tunisie devient indépendante, de nombreuses familles indiennes quittent le pays. Seules deux familles, dont celle de Baharani, tiennent à rester en Tunisie. C'est également le moment que choisit l'Inde, comme bien d'autres pays, pour installer son ambassade à Tunis.

"En tant qu'étrangers, on n'a jamais eu de problèmes. D'ailleurs on a toujours gardé la nationalité indienne", explique Padou Baharani. "On a même gardé nos traditions indiennes. On ne mange pas de boeuf par exemple", poursuit-elle. Mais l'empreinte de la culture tunisienne coloniale est restée imprégnée dans le quotidien de la famille. Couscous juif le dimanche ou encore pâtes italiennes sont toujours au programme! 

 
 

La famille de Padou doit cependant faire face à quelques contraintes: "On ne peut pas incinérer les défunts en Tunisie, alors qu'au Maroc et en Algérie, c'est autorisé", fait remarquer Baharani. De même, la famille, qui parle parfaitement le tunisien, n'a jamais eu le droit de voter en raison de leur nationalité indienne.

Mais la communauté indienne a toujours été très respectée en Tunisie, assure-t-elle. "On nous a toujours très bien traités. D'ailleurs, la Tunisie s'est toujours caractérisée par son ouverture d'esprit et ça l'a été pour toutes les nationalités qui sont venues ici!", conclut Baharani.

Un siècle après

Aujourd'hui, seuls Padou Baharani et son mari ainsi que son frère et sa belle-soeur vivent encore à Mutuelleville. Ils ont vendu leur boutique car "tous les jeunes sont partis".

Les deux frères de Padou se sont également mariés avec des indiennes du Maroc. De l'autre famille qui était restée en Tunisie, un seul membre est toujours présent et possède encore une boutique de souvenirs.

"Je pense que la communauté indienne a vraiment apporté son sens du commerce à la Tunisie. Nous avions un certain mode de travail que nos employés ont appris", affirme Padou Baharani.

 
 

Contacté par la HuffPost Tunisie, Monsieur Shri Shakeel Ahmad, Chargé d'Affaires à l'ambassade d'Inde en Tunisie, a déclaré que seules deux ou trois familles vivaient actuellement en Tunisie.

Post-scriptum: 
Padou Baharani, qui vient de fêter ses 80 ans, en est l'une des dernières représentantes. Née à la Porte de France, à Tunis et dernière de la famille après deux frères - un signe de bonheur chez les Hindous - elle se souvient avoir eu une enfance modeste, dans une rue attenante à la Porte de France, "où le cafetier criait toujours”.

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