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PAYSAGE POUR FILMS DE PASSAGE OU PAYS DE CRÉATEURS ?

Frantz Succab
   PAYSAGE POUR FILMS DE PASSAGE OU PAYS DE CRÉATEURS ?

   Monsieur le Président,

   Peu après votre élection, vous m’avez fait l’honneur de m’inviter à devenir membre bénévole du Comité de Lecture qui anime le Fonds de coopération cinématographique et audiovisuel. De quoi s’agit-il ?

   Ce fonds alimenté conjointement par la Région et le Centre National du Cinéma (l’Etat donc), a pour objectif de soutenir les films (fictions ou documentaires) ainsi que les œuvres audiovisuelles de qualité qui concernent la Guadeloupe. L’utilité d’une telle mission résidait, à mon sens, dans l’intention de Changer d’Avenir, pour parler simplement : pointer ce qui n’allait pas avant, pour faire mieux demain. Aujourd’hui, plus d’un an s’est écoulé, et je vous écris.

   Certes, vos services ont développé une intense communication autour de divers événements cinématographiques (festivals, tournages, avant-premières, etc..) et l’ont fait avec application. Tout va-t-il, cependant, pour le mieux au royaume des images ? Non, derrière ce qui brille, il y a de vastes zones d’ombres grouillant de questions dérangeantes. Mais pour qui ? J’aime à croire, pour votre honneur, que vous les sous-estimez de bonne foi. Eh bien, voulant être loyal jusqu’au bout, mais jamais complice, je vais vous en parler à haute voix, pour vous en avoir déjà avisé et parce qu’il ne m’est revenu que silence !

   Pourtant, il y a des questions de fond qui résonnent fortement :

   1) La politique régionale de soutien à l’audiovisuel et au cinéma fonctionne-t-elle véritablement de manière impartiale et irréprochable ?

   2) Les créateurs de Guadeloupe en sont-ils vraiment bénéficiaires ?

   3) S’assure-t-on de les soutenir en futurs acteurs majeurs de la filière ou veut-on les cantonner au rôle de servants des tournages de passage ?

   A mon arrivée, je pensais, tout comme les autres nouvellement nommés, que notre commission allait pouvoir travailler dans un contexte normalisé et assaini. Au contraire de la logique de prébendes et des incohérences qui, sous l’ancienne mandature, avaient fini par étouffer, jusqu’à l’éteindre, le système des aides. Ma vigilance s’est réveillée lorsque j’ai découvert que notre commission pouvait servir de paravent, voire d’alibi, à un étrange dispositif : l'existence d'un 2 ème Fonds régional de soutien au cinéma et à l’audiovisuel, dont les objectifs étaient semblables à ceux pour lesquels nous étions missionnés.

   Problème majeur : ce deuxième Fonds - que je qualifierai de gris de par son opacité - fort mieux loti financièrement que le premier, a fonctionné au pas de charge, mais sans l'intervention d'aucune commission d'experts indépendants. De fait, des administratifs, adossés à quelques élus, s’instauraient juge et partie, distribuant l'agent public sans la garantie d'impartialité et d’équité requise en pareil cas. Les pratiques d’avant persistaient-elles à ce point ?

   Première conséquence, certains postulants - souvent émanant de projets extérieurs à la Guadeloupe - ont pu ainsi bénéficier d'une générosité répétée et sans égale. Durant 3 ans, de 2015 à 2017, le Fonds CNC-Etat-Région a bénéficié d'un budget de près d'1 million d'Euros. Apport de la région : 660.000 Euros. Dans la même période, le fameux 2ème Fonds gris a disposé, lui, de près de 3 millions d'Euros entièrement à charge de la région. À titre d’exemple, une société britannique a pu rafler 1,9 Million d'Euros avec la compréhension très appuyée de certains au sein de l'institution régionale. Le prétexte : l’intérêt touristique d'une série, Death in Paradise, sans justifier de sa qualité et notamment de son intérêt à l'égard de la culture guadeloupéenne. Cette production a écumé durant cette période les 2/3 du budget de ce 2ème Fonds gris. En 2017, toujours dans l'opacité décisionnelle, ce même fonds a distribué près de 700.000 Euros. Part attribué aux acteurs de la filière audiovisuelle guadeloupéenne : 0,7% du budget total !!! C'est à dire 5.000 Euros…

   Comment ne pas voir combien de tels choix dévitalisent et assujettissent le potentiel créatif de la filière audiovisuelle guadeloupéenne en la transformant en quémandeuse de troisième rang ! Et l’on s'étonne de l'état de nos créateurs ; et on les vilipende pour leurs lacunes pendant qu'on les tient par le collet. Alors que nous constatons, à la lumière des projets qui nous parviennent à la Commission CNC-Etat-Région, un vrai potentiel d’écriture chez nombre de jeunes auteurs, mais avec des moyens résiduels pour les encourager. De plus, ligotés par une mesure, dénoncée dès notre arrivée : la transformation de l’aide à l’écriture en aide à la réécriture, barrage inexplicable qui, à la faveur d’une variante sémantique d’apparence anodine, exclut nos auteurs débutants de tout soutien.

   D’autre part, dans ce domaine où l’inventivité d’un pays ne dépend ni de la surface ni des ressources de son sol ni de la beauté de ses paysages, c’est aberrant que l’intention touristique pèse tant sur l’intention culturelle. Les 300 000 Euros dédiés récemment à All Inclusive, et la propagande autour, n’ont pas d’autre argument.

   Dernier paradoxe que je ne m’explique pas : une 2ème nuance de gris avec ce Fonds RégionCanal +, même pas à parité d’apport (300 K€ Région/200 K€ Canal), avec tous les bénéfices de la Com’ pour ce diffuseur privé. Cependant qu’il n’y a pas un début d’effort mutuel et contraint de partenariat avec le diffuseur public Guadeloupe la 1ère, afin de domicilier davantage ses programmes culturels vers la création guadeloupéenne, conformément à l’une de vos promesses.

   Monsieur le Président, vous aurez compris que ce n’est ni vous protéger ni vous avantager que de laisser ces questions dans le secret d’un cabinet. Je vous sais assailli, comme le pays même, par des urgences de tous ordres. Néanmoins, nos jeunes continuent d’étudier, de s’éduquer, de se former, pour espérer être les acteurs de l’Avenir. Le pays s’émerveille encore de son propre imaginaire. En vérité, la culture ne saurait être le parent pauvre des défis à relever. C’est notre parent riche, qui contient tout pour nous éviter d’être un pays mort, de mort cérébrale, continuant sous perfusion une existence végétative, sous de beaux paysages.

   Pointe-à-Pitre, le 20 octobre 2018

   Frantz Succab

   Membre du Comité de Lecture (Commission CNC-Etat-Région)

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