Lecteur non-martiniquais, vous avez bien lu le titre de l'article que vous êtes en train de lire : il ne s'agit pas de 3.000 (trois mille), mais bien de 30.000 (trente-mille). Sur une population de 380.000 personnes et si l'on exclut enfants et mineurs, cela fait quasiment un Martiniquais adulte sur 5 !!! Comment a-t-on pu en arriver à pareille aberration ? Comment tant de gens issus d'une population majoritairement non-blanche a-t-elle pu mettre un bulletin dans l'urne pour une raciste et une xénophobe telle que le leader du Front National ? Pourquoi des personnes qui avaient envahi l'aéroport du Lamentin afin d'empêcher l'avion de Jean-Marie LE PEN d'atterrir, il y a une quinzaine d'années de cela, peuvent-elles aujourd'hui pencher du côté de sa fille ?
Au soir du scrutin, sur les plateaux-télé, on a pu voir les politiciens martiniquais de toutes obédiences (sauf le MIM et la plupart des partis du GRAN SANBLE qui étaient absents) se livrer à des explications larmoyantes sur "un vote dû à la désespérance, à la misère et non à la xénophobie". Soudain, tout le monde des Républicains au PPM, des Socialistes au Macronistes de dernière minute, semble avoir découvert que derrière le clinquant de notre société de consommation coloniale, il y a a tout un pan de notre société qui est exclu, privé de tout avenir et qui a la rage au ventre. Extraordinaire découverte, n'est-ce pas ?
Aucun de ces politiciens n'a cherché à analyser vraiment la signification de ces 30.195 votants pour Marine LE PEN. D'abord, ils n'ont pas souligné que, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas du tout dans les communes comportant une forte communauté "métro" (Diamant, Trois-Ilets, Sainte-Luce, Saint-Anne etc.) que l'on a voté Front National, mais bien dans les commune du Nord, notamment à Saint-Pierre et au Prêcheur. Le mythe du vote "métro" pro-FN a donc volé en éclats. Ensuite, ils n'ont pas relevé que dans cette région Nord, qui est tout de même la plus riche au plan agricole de l'île, ce sont bien souvent des étrangers, en l'occurrence des immigrés caribéens qui travaillent non seulement dans les grandes bananeraies ou cannaies, mais qui sont aussi employés par des petits ou moyens propriétaires terriens. Tout ce beau monde, békés comme nègres martiniquais, se sert sans vergogne d'une main d'œuvre haïtienne travailleuse et bon marché. Ce qui veut dire que ces derniers ne volent le travail de personne. Ils accomplissent des tâches que les Martiniquais, surtout les jeunes, ne veulent plus faire.
Il y a donc un deuxième mythe à déconstruire. Aux élections européennes de 2002 était apparu le mythe du vote "métro" pro-LE PEN. Aux élections présidentielles de 2017, voici que surgit un nouveau mythe : celui du Martiniquais pauvre, exclu, déboussolé qui, de colère, vote LE PEN. S'il est indéniable que parmi ces 30.195 votants, il y a ce type de personne, sur quoi se fonde-t-on pour affirmer qu'ils sont majoritaires ? Sur rien du tout ! Nos grands journalistes, sondeurs, blogueurs, nos politiciens de tous bords, n'ont diligenté aucune étude pour tenter de comprendre ce phénomène, cela ni en 2002 ni aujourd'hui en 2017. Tout ce beau monde se contente d'affirmations péremptoires, d'approximations, d'envolées sur les plateaux-télé, cherchant, consciemment ou inconsciemment, à dédouaner le Martiniquais moyen. On l'avait déjà dédouané en 2002 en rejetant le votre FN sur les "Métros" ; aujourd'hui, on récidive en rejetant ce même vote sur les "exclus de la société et les pauvres".
En fait, il suffit d'écouter autour de soi, de poser des questions à tel ou tel, de se rendre dans telle ou telle commune pour se rendre compte d'une évidence : ces 30.195 votants sont "Monsieur-tout-le-monde". Pas seulement les exclus dont d'ailleurs beaucoup on voté Jean-Luc MELENCHON au premier tour et se sont abstenus au second. Monsieur-tout-le-monde c'est-à-dire l'instituteur, l'infirmière, le facteur, le garagiste, le chauffeur de bus, l'agriculteur, le marin-pêcheur etc..., bref des gens qui, même s'ils ne roulent pas sur l'or, possèdent un travail et sont intégrés à la société. A partir du moment où l'on se rend compte de cette réalité, il faut chercher d'autres explications pour ce vote que la simple misère ou exclusion sociale.
Au boulot, messieurs les politologues, sociologues, anthropologues et autres journalistes et blogueurs !...