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Pour Boubacar Boris Diop le probleme de l’Afrique ce sont ses intellectuels et ses hommes politiques

Pour Boubacar Boris Diop le probleme de l’Afrique ce sont ses intellectuels et ses hommes politiques

“NOUS, INTELLECTUELS ET HOMMES POLITIQUES D’AFRIQUE FRANCOPHONE, SOMMES TOTALEMENT RESPONSABLES DE CE QUI NOUS ARRIVE”

BOUBACAR BORIS DIOP, CO-AUTEUR DE “LA GLOIRE DES IMPOSTEURS”

Boubacar Boris Diop   a présenté son dernier livre co-signé avec la Malienne Aminata Traoré au début de ce mois à la librairie Athéna. Nous avons profité de son récent passage à Dakar pour nous entretenir avec lui. Titré “La Gloire des Imposteurs”, cet ouvrage est sans concession et reflète le point de vue courageux de ces deux intellectuels qui ont choisi de véhiculer une autre image de l’Afrique et de lutter contre tous les oppresseurs.  “Le Témoin” vous livre un entretien sans tabous avec un auteur qui assume ses choix.

Le Témoin – Votre livre de correspondances avec Aminata Traoré est marqué par l’intervention française au Mali. Depuis, il y a eu une nouvelle opération militaire hexagonale en Centrafrique, qui est la cinquantième depuis les indépendances. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Boubacar Boris DIOP – Le compte est vite fait : une intervention militaire par an pendant un demi-siècle, c’est une situation unique : la Grande-Bretagne n’a jamais monté une opération dans son ex-empire colonial sous prétexte de sauver tel ou tel pays de ses démons. On peut en dire de même du Portugal et de la Belgique.

Toutes ces anciennes puissances européennes ont compris que le fait colonial a une fin et qu’il faut savoir en prendre acte. Cette exception française, le refus de décoloniser, devrait inciter les Français à se demander : “Pourquoi sommes-nous les seuls à agir de la sorte ?”

Que l’on ne me dise surtout pas que je suis en train de me défausser sur la France : je sais bien que nous sommes, nous intellectuels et hommes politiques d’Afrique francophone, totalement responsables de ce qui nous arrive. La France n’ose pas piétiner la souveraineté de ses anciennes colonies d’Afrique du Nord ou d’Asie et si elle se comporte ainsi avec nous, c’est que nous la laissons faire.

Nous revenons très souvent sur cette incroyable veulerie des élites d’Afrique francophone dans notre livre. Notre génération a failli, nous avons failli avec elle, Aminata Traoré et moi-même, mais nous avons à cœur d’aider les jeunes à prendre la mesure du lavage de cerveau qui nous a transformés en zombies et a mené nos pays à leur perte.

A votre avis les Africains sont ils prêts à s’affranchir de toutes les chapelles ?

Ce qu’on peut dire ici, c’est qu’il n’y a pas un continent où les gens sont prêts à être libres et un autre où ils ne le sont pas. Il me semble que lorsqu’on prend l’exemple de l’Amérique Latine, comme nous l’avons fait dans le livre, on peut se donner des raisons d’espérer… Il n’y a pas tellement longtemps, cette partie du monde était presque entièrement managée par la CIA…Lorsqu’on parle de l’Afrique en général, il faut se méfier. Nous prenons le mal francophone pour un mal africain…

Je dirais même un mal francophone subsaharien pour un mal continental. J’estime que les pays africains de l’espace anglophone ont tendance à beaucoup mieux se porter que nous… En tout cas, en ce qui concerne la question de la souveraineté qui ne se pose pas. Je le raconte dans le livre, l’ex-ambassadeur de Grande-Bretagne au Sénégal m’a dit que pendant les sept ans où il a été en poste au Nigeria, s’il avait fait là-bas ce qu’il a vu l’ambassadeur de France faire dans notre pays, il n’en serait pas ressorti vivant…

La Françafrique n’est plus ce qu’elle était du temps de Jacques Foccart, mais en même temps, elle n’a pas été remplacée par aucune autre politique alternative, et la France continue de jouer un jeu ambigu en intervenant en Afrique…

On n’est certes plus à l’ère des réseaux mafieux de Foccart, des putschs militaires et des mallettes d’argent “rétrocédées” aux présidents français par leurs homologues africains. La Françafrique a su évoluer intelligemment, elle s’est mis une belle cravate par souci de respectabilité mais, dans le fond, rien n’a changé.

Et pourtant chaque nouveau locataire de l’Élysée tient à annoncer solennellement que “La Françafrique, c’est fini !”. C’est en fait un aveu, une façon de reconnaître que ce système de domination est immoral et indéfendable. Si elle perd l’Afrique, la France n’a plus rien à faire au Conseil de sécurité et je la verrais au même rang que l’Italie et l’Espagne. Personne ne parlerait du “couple franco-allemand” !

Au Mali, dans la foulée de l’opération Serval, les Maliens applaudissaient l’intervention française. En Centrafrique, au mois de novembre 2013, tout le monde sur place, citoyens ordinaires et politiciens, appelait de ses vœux une intervention étrangère. N’est-ce pas troublant ?

C’est plus que troublant, c’est très choquant. Les jeunes Maliens qui applaudissaient les soldats de Serval étaient sincères, ils venaient d’être délivrés des “jihadistes”. Mais ces vivats ne pouvaient qu’être éphémères, ce que ne semblaient pas avoir compris de nombreux journalistes français qui nous tympanisaient avec leurs cocoricos.

Je me suis un peu moqué d’eux à l’époque en disant qu’à leur place, je me serais quand même dit que la mariée est trop belle. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.Les limites, dangers et ambiguïtés de l’opération en Centrafrique devraient également alerter qui de droit. La France faisait la loi chez Bokassa et elle n’arrive même plus à faire la police à Bangui…

Il est évident que les 1 600 soldats de “Sangaris” ne pourront jamais contrôler un pays de plus de 600 000 kilomètres carrés. Ils ont juste réussi à jeter de l’huile sur le feu et chacun voit bien que la situation n’a jamais été aussi grave.D’ailleurs, dans les deux cas, Mali et Centrafrique, le tableau est presque toujours présenté de façon caricaturale : les Africains s’entretuent, comme à leur habitude, et des soldats blancs arrivent et les séparent car eux sont civilisés. C’est d’un simplisme outrancier.

Malheureusement, le rôle important des Tchadiens dans cette guerre (NDLR – sept soldats Français sont morts au Mali contre plusieurs dizaines de Tchadiens) a permis de re-légitimer Idriss Déby. On a eu le même sentiment lorsque le père Georges Vandenbeusch a été libéré au Cameroun : François Hollande a multiplié les remerciements appuyés à Paul Biya, un autre dinosaure de la Françafrique que l’on espérait voir quitter sous peu la scène.

Vous êtes d’ailleurs très critiques dans votre livre sur les intellectuels africains, qui s’adressent principalement à des publics étrangers et non à leurs concitoyens. Mais est-ce vraiment un déficit de pensée et d’idées, ou l’absence de lieux de débats publics en Afrique ?

Les lieux de débats ne manquent pas. Par exemple, deux amis écrivains et moi-même avons récemment créé une maison d’édition et repris une librairie dakaroise où on discute beaucoup, la presse est libre au Sénégal et les contre-pouvoirs, partis et syndicats, fonctionnent tant bien que mal… On ne peut cependant nier le phénomène de la fuite des cerveaux. C’est en effet à partir de l’étranger que certains de nos meilleurs intellectuels, en tout cas les plus écoutés, parlent d’une Afrique qu’ils ont parfois quittée très jeunes.

Et c’est à des étrangers qu’ils en parlent, pas à leurs compatriotes.Il faut ajouter à tout cela une information sur l’Afrique si lacunaire et orientée que les discussions restent très superficielles et vagues. C’est par exemple via RFI et France 24 que nous savons ce qui passe sur le continent, même dans les pays frontaliers. Et cela laisse forcément des traces. La balkanisation intellectuelle est telle que même si nous parlons toujours de l’Afrique comme d’un seul pays, vous ne verrez jamais un journal sénégalais titrer sur Blaise Compaoré (NDLR – le président du Burkina Faso).

Le moment de l’écriture de votre ouvrage correspond en partie à celui des printemps arabes. Je trouve que vous avez un regard très critique sur ces événements. Comment justifiez-vous cela ?

Je suis un peu réservé, oui. Je vivais en Tunisie lorsque tout cela est arrivé, et ça m’a fourni des clefs pour lire ces événements. Pendant que les télévisions occidentales s’excitaient sur le “printemps arabe”, moi, je me posais toutes sortes de questions. Il y avait dans toute cette agitation un air de déjà-vu, de déjà entendu. Je me suis souvenu qu’après le discours de La Baule de Mitterrand, il y a eu des soulèvements populaires et des conférences nationales en Afrique francophone au sud du Sahara. Des dictateurs comme Mobutu, Bongo, Eyadema ont dû composer, pour la première fois de leur vie, avec leurs peuples.

Vous notez dans votre livre que les Sud-Américains ont gardé un certain ressentiment, une méfiance instinctive à l’égard des États-Unis qui les ont dominés pendant des décennies, alors que l’Afrique francophone continue, elle, de regarder la France avec bienveillance malgré les douleurs et les méfaits de la colonisation.

Je déplore surtout notre faible capacité d’indignation. La mémoire des peuples sud-américains est riche des luttes de Sandino, de Bolivar, de Che Guevara, mais aussi des souffrances de ceux que l’on a torturés en Argentine ou du martyre d’Allende au Chili… Cette mémoire-là, elle continue à nourrir une résistance multiforme à l’impérialisme américain.

Or, qui se souvient en Afrique francophone des luttes du peuple camerounais et des terribles massacres de l’armée française en pays Bamiléké ? On parle bien sûr de Thomas Sankara, d’Amilcar Cabral et de Lumumba, mais ils ne nous servent pas autant qu’il le faudrait de repères pour la réflexion et l’action.

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