Les chiffres sont enfin connus ! Ils n’émanent pas d’élucubrations de tel ou tel, mais bien d’un organisme français très officiel et fort sérieux appelé l’INSEE. Les voici :
- la Martinique est tombé à 1,8 enfant par femme alors que le taux de renouvellement normal d’une population est fixé à 2,1 selon les normes internationales (par comparaison, la France affiche un taux de 2 enfants par femme, le meilleur de toute l’Europe de l’Ouest).
- en 2012, 37% des Martiniquais auront 60 ans ou plus (par comparaison, à la même date, ce chiffre sera de 31% en France).
Les conséquences de ces phénomènes se mesurent déjà depuis plusieurs années au niveau scolaire : les grandes et belles écoles en béton construites dans nos campagnes et nos bourgs à la fin des années 60 sont aujourd’hui à un quart ou à moitié vides. Ce qui signifie en clair qu’un quart ou une moitié des classes ont dû être fermées faute d’élèves. Et, réaction en chaîne oblige, cette baisse dramatique de la natalité a ensuite affecté les collèges, puis les lycées et enfin, à compter de cette année, l’Université des Antilles et de la Guyane. Selon l’étude récente d’un géographe, nous vivons cette année « le dernier pic démographique » de la société martiniquaise, à partir de l’an prochain, ce sera la chute libre et cela sans recours possible.
Faut-il rester les bras croisés devant une situation qui, là encore, ne semble pas trop préoccuper nos hommes politiques ? Certes, il n’est pas question de demander aux femmes de recommencer à faire 5 ou 6 enfants comme leurs mères. D’ailleurs, le fameux million d’anciens francs offert, à l’époque, par Giscard d’Estaing pour toute personne qui ferait un 3è enfant n’a jamais vraiment marché aux Antilles. Les contempteurs de nos pays, à l’instar de Philippe de Baleine, ont beau s’indigner ce que qu’ils nomment « l’argent-braguette », les chiffres sont là, incontestables : la prime-Giscard n’a provoqué aucune remontée significative de la natalité antillaise. Il faut dire que l’émigration massive mise en place par le BUMIDOM, puis l’ANT, d’hommes jeunes et en pleine force de l’âge y est aussi pour quelque chose. Certes, là encore, les derniers chiffres sont étonnants puisque le solde migratoire (différence entre les départs et les entrées d’originaires de la Martinique) est devenu positif dans notre pays depuis environ 5 ans. Ce qui signifie qu’il y a davantage de Martiniquais qui rentrent au pays que de Martiniquais qui émigrent. Toutefois, cette tendance est bien trop récente pour contrebalancer le demi-siècle de ponction humaine qu’a subi notre société. Cette dernière a été dévitalisée pendant toute cette période et pourtant l’Etat français, dont l’argument principal était de faire baisser la pression sur le marché du travail, n’a mis en place aucun système économique ayant le moindre début de viabilité. Au contraire notre dépendance n’a fait que se renforcer d’année en année avec des chiffres terrifiants : l’autonomie alimentaire de la Martinique, par exemple, est d’une semaine car 93% des biens de consommation courante sont importés de France et d’Europe, alors que l’autonomie alimentaire de la France est de…6 mois, silos à grains obligent. On imagine ce qui se passerait pour nous en cas de crise internationale grave ou tout simplement de blocage total de la France comme ce fut le cas pendant un mois entier en mai 68. A l’époque, la Martinique s’était serrée la ceinture ; aujourd’hui, plus de trente après, il y aurait carrément des émeutes dans les rues.
L’une des solutions à cette désertification démographique annoncée me semble être l’appel à la population martiniquaise émigrée pour qu’elle rentre au pays. Cet appel ne peut émaner que de nos collectivités locales et ne doit surtout pas être une simple « pawol an bouch ». {{Il faut la création d’un Bureau de Réinsertion de l’Emigration.}} Une sorte de guichet où tout Martiniquais désireux de se réinstaller au pays puisse trouver des interlocuteurs prêts à l’aider à concrétiser son vœu. Et là, il ne s’agira pas de s’intéresser seulement aux personnes porteuses d’un projet de création d’entreprise, mais aussi à ceux qui veulent exercer dans le secteur libéral d’une part et la fonction publique (d’état ou territoriale) de l’autre. En fait, il ne faudrait opérer aucune sélection, aucune discrimination entre entrepreneurs, libéraux et fonctionnaires. Pour prendre l’exemple du libéral, si nous n’y prenons garde d’ici à quelques années, il n’y aura plus qu’une poignée de médecins martiniquais exerçant dans notre pays. Il faudrait proposer à nos praticiens travaillant à l’extérieur des conditions d’installation favorables et cela d’abord dans les zones à faible couverture médicale. Notre pays n’est pas si grand qu’un médecin ne puisse pas habiter Fort-de-France ou Schoelcher et exercer durant la journée à Ajoupa-Bouillon ou Macouba. Quant au secteur du fonctionnariat, on sait bien que plus de vingt-mille personnes, en particulier des enseignants, partiront à la retraite à compter de 2010. Nous ne pourrons jamais les remplacer si nous ne faisons pas appel à notre émigration.
Quand je dis « faire appel à l’émigration », je pense évidemment à tous ces Martiniquais qui crèvent d’envie de revenir vivre au pays. Je ne parle pas de ceux qui sont bien installés en France ou en Europe, qui s’y sentent à l’aise et qui ne se voient pas revenir au pays autrement qu’en vacances. C’est leur droit le plus absolu de choisir le mode de vie et le lieu de résidence qui leur conviennent le mieux. Mais cela ne doit pas occulter le fait que beaucoup de nos compatriotes ne se sentent pas à l’aise en Europe et qu’ils attendent de nous, de nos politiques, une parole, un geste, la mise sur pied d’une structure qui leur permettraient d’exposer leur projet de retour et de solliciter l’appui nécessaire à la réalisation de ce dernier. On constate, en effet, que malheureusement, un grand nombre de tentatives de réinsertion au pays se terminent par un échec et par un retour (amer) à la case départ, c’est-à-dire en France ou en Europe. Cela est dû non seulement à l’impréparation de ces tentatives, mais surtout au manque de soutien trouvé sur place, en Martinique, quand ce ne sont pas les bâtons mis dans les roues du « Négropolitain » ou considéré comme tel parce qu’il a pris un peu d’accent métro.
Il faut donc d’un guichet-départ à Paris et d’un guichet-arrivée en Martinique pour que le projet de retour puisse trouver les meilleures conditions de réalisation. Nos compatriotes partis à l’extérieur y ont acquis un savoir-faire, une expérience, une ouverture d’esprit que beaucoup d’entre nous qui n’ont jamais quitté la Martinique ou qui ne l’ont quitté que le temps de faire un stage ou des études, ne possèdent pas. C’est une réalité que nous devons admettre. L’insularité a ses charmes, indéniables, mais elle a aussi ses défauts. Si bien que le retour progressif de nos émigrés serait une bonne chose pour tout le monde :
- pour eux d’abord, parce qu’enfin, en se levant le matin, ils pourront respirer l’air du pays et iront au travail le cœur gai.
- pour nous ensuite, parce que nous bénéficierons de leur savoir-faire et de leur expérience.
- pour notre pays tout entier car leur arrivée permettra de contrebalancer la chute dramatique de notre natalité et le vieillissement accéléré de notre société qui sont les deux mamelles de notre déclin démographique.
Je voudrais qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas juste d’une proposition en l’air. Je voudrais qu’on comprenne qu’il y a urgence. Si nous attendons 2010 ou 2012, il sera trop tard. Ne dit-on pas que « gouverner c’est prévoir » ? La débauche d’énergie et d’argent que l’on dépense en Martinique pour ce que l’on appelle pudiquement « le troisième âge », est, à n’en pas douter une excellente chose en soi, mais elle devient dangereuse si, dans le même temps, elle ne s’accompagne pas d’une campagne tout aussi vigoureuse envers nos compatriotes vivant à l’étranger pour qu’ils rentrent progressivement au pays.
{{Nous avons besoins de nos émigrés et ils ont besoin de nous. Donnons-nous donc la main « avan two ta baré nou » !}}
{{ {Raphaël Confiant} }}
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