Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

POURQUOI LE COMITE CITOYEN DU SUD DE LA MARTINIQUE A DECIDE DE PORTER PLAINTE CONTRE LA SOCIETE MARTINIQUAISE DES EAUX ?

Raphaël CONSTANT
POURQUOI LE COMITE CITOYEN DU SUD DE LA MARTINIQUE A DECIDE DE PORTER PLAINTE CONTRE LA SOCIETE MARTINIQUAISE DES EAUX ?

La Comité Citoyen du Sud, avec certains de ses membres, a décidé de déposer plainte contre la Société Martiniquaise des Eaux pour le délit de détournement de fonds publics.

Récemment, il a tenu une conférence de presse pour rendre compte de cette plainte et l’expliquer.

En effet, le Comité a déposé cette plainte depuis le 15 mai 2020 en la faisant parvenir au Procureur de la République. Dans la procédure pénale française, un citoyen ou une association ne peut saisir (sauf en matière de délit de presse) directement un juge d’instruction. Il a l’obligation de passer par le Procureur ou en allant déposer une plainte au commissariat ou la gendarmerie (un véritable parcours du combattant qui se traduit souvent par un refus d’enregistrer la plainte) ou écrire directement au Procureur de la République (qui siège au Palais de Justice de Fort de France).

Or, suite à cette plainte déposée le 15 mai 2020, le Comité Citoyen n’a eu aucune nouvelle du Procureur. Toujours dans le droit français, rien n’oblige le procureur a donné une suite à une plainte. Cela s’appelle le principe de « l’opportunité des poursuites ».

Pour tenter de faire bouger le procureur, il faut lui écrire en le mettant en demeure de rendre compte de ce qu’il a fait ou va faire de la plainte. Si le procureur ne répond pas dans le délai de trois mois, vous pouvez déposer une nouvelle plainte auprès du Doyen des Juges d’Instruction. Là, on va vous imposer de payer une somme dite « consignation » (c’est le côté dissuasif par l’argent) pour enfin que le Procureur prenne un réquisitoire introductif. Mais le Procureur peut encore demander un délai de trois mois ou refuser de voir le dossier êtres aux mains d’un juge d’instruction. Mais dans ce dernier cas, le plaignant peut aller devant la Chambre de l’Instruction.

Dans le cas du Comité Citoyen, il se fait que son avocat a écrit le 22 décembre 2020 au Procureur pour lui demander ce qu’il allait faire de la plainte du 15 mai. Un mois après on attend toujours une réponse. La Martinique doit avoir le procureur le plus occupé de France et Navarre. Il n’a pas le temps de répondre aux citoyens martiniquais.

On aura compris que dans ce jeu procédural, selon qu’on est riche, pauvre, opposant, puissant, proche ou pistonné, on peut être traiter différemment mais cela est une autre histoire.

Revenons donc à la plainte du Comité Citoyen. Cette association est née dans le cadre d’une contestation du montant des impôts locaux (autrement dit la taxe d’habitation) et de manière générale de ce que les citoyens doivent payer pour avoir accès aux services publics pour une vie normale. Logiquement, le comité et ses membres en sont arrivés à se poser la question des factures d’eau, et ceci avant même le scandale du dernier carême.

Car s’il est un domaine où le citoyen martiniquais est bien maltraité, c’est bien sur la question de l’eau. Déjà bizarrement, en en dépit de la petitesse du territoire et des ressources d’eau, le coût de l’eau (base 120 mètres cubes) est, en Martinique, plus cher de 40% au prix moyen en France.

Il faut savoir que si l’eau est un bien public et qu’il devrait être géré par des collectivités publiques, on en arrive à la situation paradoxale où c’est une société privée qui est en charge de la distribution, de l’eau et de l’assainissement des eaux usées. On aurait pu créer une Régie. Non les collectivités (par fainéantise, intérêts, désintérêt ? etc…) ont privatisé l’exploitation de l’eau.

Plus précisément, une ancienne structure, le syndicat intercommunal des communes du centre et du sud a souscrit avec une société privée appelée SME une puis un puis un autre contrat pour lui confier le soin de s’occuper de l’eau autrement dit une convention dite de délégation de service public (DSP).

Ce syndicat a été dissout par l’état (dans des conditions pour le moins opaques mais ce n’est pas le sujet de cet article) en 2017 mais la convention a continué à prospérer « au bénéfice » (on pourrait écrire « au déficit ») pour l’Espace Sud et (curieusement) Cap Nord puisque deux communes (Trinité et Robert) était membre du Syndicat mais son dans l’agglomération du Nord.

Le bénéficiaire (le vrai !) de cette convention la SME n’est pas la première venue. En dépit de son nom, Société Martiniquaise des Eaux, la SME est en réalité une filiale d’un énorme groupe industriel français ENGIE dont le ¼ du capital est contrôlé par l’état français. Nul doute que la SME ne perd pas d’argent sinon on comprendrait mal qu’elle maintienne son activité dans le domaine de l’eau qui est considérée une véritable poule aux œufs d’or. On peut aussi s’interroger sur le sérieux de sa gestion. Quand on sait que l’un des problèmes de la distribution de l’eau en Martinique est celui de la perte dans des canalisations anciennes, on sera étonné de savoir que la SME se préoccupe si peu de l’entretien de celles-ci puisqu’à son rythme du remplacement du matériel, il faudrait plus de trois siècles pour une rénovation complète !

La SME a de fait la haute main sur le marché de l’eau et on peut vraiment s’interroger sur la capacité des collectivités territoriales a contrôlé sa gestion, ce qui est pourtant le pendant obligatoire de la dite DSP selon le code des dites collectivités (particulièrement un article L1411-3).

Il se fait que le Comité Citoyen a un peu fouiné et est tombé sur des documents fort intéressants émanant de la Cour Régionale des Comptes (CRC). On peut s’interroger sur cette juridiction un peu particulière et qui a une logique néolibérale marquée. Mais, il se fait qu’elle a aussi une mission visant à vérifier les comptes des collectivités ou des sociétés privées ayant des DSP.

Et dans ses différents contrôles concernant la SME (contrôles demandés par le préfet et non les collectivités territoriales), la CRC s’interroge sur la sincérité des comptes d’administration de la SME dans ses rapports avec l’ex-syndicat intercommunal puis avec les deux agglomérations de collectivités. Elle a même refait les calculs et en a conclu que loin d’être déficitaire, la SME gagnait beaucoup d’argent.

Là où cela devient surprenant ou intéressant, c’est que les conventions de DSP prévoient qu’à compter du moment où la SME fait d’importants bénéfices, elle doit reverser aux collectivités territoriale une surtaxe. En bref, si ce qu’écrit la CRC est vrai, cela signifie que la SME s’est épargnée de payer des sommes dues aux collectivités !

Le plus étonnant est que les collectivités ont reçu les rapports de la CRC (il y en a au moins trois sur 2016 à 2018) et que cela n’a aucunement soulevé un émoi de leur part d’avoir possiblement perdu ce qu’elles auraient dû recevoir.

Le Comité Citoyen a donc décidé de s’interroger à leur place. Le Comité considère que si ce que la CRC dit est vrai, c’est l’ensemble des citoyens abonnés à la SME pour la distribution de l’eau qui ont été grugés. Voici pourquoi la plainte a été déposée pour détournement de fonds publics.

Les interrogations du Comité Citoyen du Sud de la Martinique sont à tout le moins légitimes.

On attend de voir si le procureur va oser mettre son nez dans les comptes de la SME. Sinon, il faudra que le Comité Citoyen obtienne la désignation d’un juge d’instruction pour qu’on sache la vérité.

Car si la SME a droit au bénéfice de la présomption d’innocence, le citoyen martiniquais a le droit de savoir ce qu’on fait (ou ne fait pas) de son argent.

R. CONSTANT

Avocat du Comité Citoyen

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages