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Enquête

POURQUOI LES JAPONAISES NE FONT PLUS L’AMOUR ?

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POURQUOI LES JAPONAISES NE FONT PLUS L’AMOUR ?

Des geishas sensuelles au sulfureux « empire des sens », le film de nagisa oshima, le Japon, vu de loin, a l’air d’un paradis érotique. De près, les choses sont nettement plus complexes. Ces dernières années, c’est même la débandade, le pays du Soleil-Levant semblant virer au pays du pénis couchant. Selon certains, c’est au Japon qu’on ferait le moins l’amour, avec 48 rapports sexuels par an contre 164 pour les Grecs et 120 pour les Français (1).


Les Japonais seraient-ils moins vantards que les Européens ? Peut-être, mais d’autres chiffres montrent un désintérêt de plus en plus marqué des Japonais, mariés ou célibataires, pour les relations sexuelles. Au point de préoccuper le gouvernement nippon qui craint de voir le taux de natalité s’effondrer. Stagnation économique, crise des valeurs masculines, boom des mondes virtuels… Les explications sont nombreuses du côté des hommes. Mais, pour les femmes, cela reste flou.

 

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Ce qui émeut les Japonaises ? Les escort boys, doux et féminins. © Grégoire Kalt

La ville de Tokyo est une fourmilière. S’il y a foule dans le métro ou sur les trottoirs, les individus se frôlent sans jamais se toucher ni même se croiser du regard. On ne s’enlace pas en public. À peine à l’aéroport voit-on des jeunes mariés s’appuyer l’un contre l’autre. Le soir, filles et garçons sortent en bandes, séparément. Sociologue française vivant au Japon depuis plus de quarante ans, auteure de «Confidences du Japon » (éd. Elytis), Muriel Jolivet ne s’en étonne pas: «Ici, on se tient à distance les uns des autres. Avoir un contact avec quelqu’un est vu comme une intrusion. D’ailleurs, on ne se serre jamais la main.» Si les écoles publiques sont mixtes, la société maintient une distinction nette entre filles et garçons. Activités différentes, rôles séparés, de l’enfance à l’âge adulte, hommes et femmes s’observent sans se comprendre. « Le Japon est un pays taillé pour les hommes, poursuit Muriel Jolivet. Ayant tous les avantages, ils n’ont aucune envie de céder leur pouvoir. Le hic, c’est que les femmes se sont réveillées et supportent de moins en moins d’être cantonnées aux rôles d’épouses soumises et de mères dévouées. Elles veulent qu’ils évoluent et eux refusent de le faire, leur opposant une inertie folle.» Certes, l’immense majorité des Japonaises rêve encore de se marier. Mais, elles ont du mal à faire coïncider leurs aspirations de liberté et d’autonomie avec la réalité de mâles machistes.

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Les boys bands créent l'hystérie chez les femmes de 15 à 65 ans. © Grégoire Kalt

Avoir un mec, séduiredraguerentretenir une relation ? C’est «mendokusai», fatigant pour bien des jeunes Japonaises. Manami, 27ans, est de celles-là. Elle a bien eu un petit copain à la fac, il y a six ans. Depuis, rien. A-t-elle envie de se marier ? « Oui, un jour. » S’ennuie-t-elle? « Non, je sors, je voyage, je vois mes amies, je fais du shopping, je joue du piano… » Est-elle frustrée sexuellement ? Étonnement de sa part : « Non, pas du tout. Je n’aime pas les contacts physiques avec quelqu’un.» Utilise-t-elle des sex toys ? «Jamais! Ça ne m’intéresse pas du tout.» Bizarre ? Non, de plus en plus courant. En 2014, 65,8% des femmes de 16 à 19 ans se disaient « non intéressées» ou « ayant une aversion » pour les rapports sexuels(2). Pour les 20 à 24ans, ce taux était de 39,2% et de 36,1% pour les 30 à 34ans, des chiffres en nette croissance depuis dix ans. Se touche-t-on au moins dans l’intimité ? Pas beaucoup. « Parler de sexe est considéré comme vulgaire et, à l’école, c’est interdit, souligne Asuka Someya, fondatrice de l’association Pilcon qui milite pour des cours d’éducation sexuelle. La seule source d’information, c’est la pornographie qui donne une vision complètement fausse de la sexualité. De plus, les Japonaises ne connaissent pas leur sexe et se masturbent peu. Elles sortent déçues, parfois traumatisées, de leurspremiers rapports sexuels généralement initiés par les garçons.» Au Japon, on n’exprime ni son désir, ni ses émotions, ni ses sentiments, surtout lorsqu’on est une femme. Les hommes s’en plaignent d’ailleurs, qualifiant les filles de « maguro » [ou thon, allusion aux poissons congelés du marché de Tsukiji à Tokyo, ndlr]. Difficile dès lors d’exprimer son ressenti ou d’imposer ses envies à un partenaire. Yoko, célibataire de 40 ans, précise : «Les hommes japonais ont une vision très stéréotypée de l’amour. Cela dure dix à quinze minutes avec toujours les mêmes positions. Pour eux, la sexualité n’est pas un moyen de communication.» Certains Japonais vont encore plus loin, tels les « soshoku danshi », ou « garçons herbivores», qui ne manifestent aucun désir pour le sexe, prennent soin d’eux, sont proches de leur mère et n’ont pas d’ambition professionnelle. En 2010, 40,5% des hommes de 20 à 24ans se disaient encore vierges (3), tandis que d’autres, échaudés par une séparation, préfèrent se retirer du marché de l’amour. Dans ces conditions, pas simple de s’envoyer en l’air !

« À LA DEMANDE DE MON MARI, NOUS DORMONS DANS DES CHAMBRES SÉPARÉES DEPUIS LA NAISSANCE DE NOTRE FILS. SEUL POINT POSITIF : JE SUIS ILLUSTRATRICE ET MA FRUSTRATION NOURRIT MES PROJETS DE LIVRES SUR LES COUPLES... » NAOKO, 36 ANS

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Cela irait-il mieux chez les couples mariés ? Pas vraiment. D’abord, on se marie souvent vite dans un pays où moins de 3% des couples vivent en concubinage (4). Et le mariage n’y rime pas avec épanouissement sexuel. « Pour les Japonais, il sert à fonder une famille, explique le Dr Kunio Kitamura, président du Planning familial japonais, et, jusqu’aux années 70, les unions étaient arrangées. Aujourd’hui encore, en l’absence de crèches, de nounous et d’allocations familiales, le mariage signifie souvent homme au travail et femme au foyer. Durant la grossesse, les médecins conseillent l’abstinence. Et, dès la naissance du premier enfant, les couples font chambre à part ou dorment avec les enfants jusqu’à l’adolescence. Les rapports de couple se transforment en relation quasi fraternelle. » S’y ajoute la fatigue chronique des maris, épuisés par les transports et les journées de travail à rallonge. « J’ai un époux fantôme, présent moins d’une heure par jour, et toujours fatigué, témoigne Kimiko, 45 ans. Voilà près de dix ans que nous ne faisons l’amour que deux ou trois fois par an.» Le corps exultant tout de même, la sexualité s’exprime ailleurs. Beaucoup d’hommes vont voir les prostituées, regardent des films pornos, se soulagent à l’aide de poupées ou de vagins en silicone, lisent des mangas X, fréquentent des « maid cafés » (où des jeunes femmes vêtues de jupettes en dentelle chantent et dansent), se passionnent pour des amoureuses virtuelles comme celles de l’appli Love +. Dans le quartier d’Akihabara, fief des « otaku », les geeks locaux, l’offre pléthorique s’affiche sans complexes. « C’est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas au Japon de notion de péché autour du sexe, précise la féministe Tanaka Kimiko qui a écrit, dans les années 80, un best-seller sur le sexe. Ces quarante dernières années, le sexe s’est libéré mais, dans le même temps, il est de moins en moins partagé entre les individus. »

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Un geste rare de tendresse en public. © Grégoire Kalt

Les Japonaises ont appris à gérer leurs pulsions. « Certaines surinvestissent leurs enfants, d’autres ont des vies personnelles très remplies, multipliant les activités, du crochet au pachinko, sorte de machine à sous, en passant par le tai-chi, les voyages et le shopping, véritable passion nationale », explique Akiko, 40 ans, consultante fraîchement divorcée. «Les Japonaises sont à la croisée des chemins, estime Kaoru Kikuchi, journaliste au “Sunday Mainichi”. Autrefois, elles souffraient en silence de l’absence d’intérêt sexuel de leurs maris. À présent, elles sont de plus en plus actrices de leur asexualité ou de leur sexualité souvent vécue en dehors du couple.» Dans les rues de Kabukicho, le quartier chaud de Tokyo, les femmes se laissent séduire par les jolis garçons efféminés des « host clubs», admirent les boys bands, rejoignent leurs amants dans les love hotels et, nouveauté, osent divorcer. À 36 ans, Naoko l’envisage : « Nous voulons un deuxième enfant, mais mon mari refuse de faire l’amour alors que je suis des traitements contre l’infertilité. Je l’ai prévenu que si ça ne s’arrangeait pas je prendrais un amant ou je divorcerais. Sa mère m’a présenté des excuses pour avoir un fils trop passif sexuellement, et lui m’a dit qu’il allait faire des efforts. Résultat, nous faisons l’amour une fois par mois, à ma demande. » Écrivaine et auteure de nombreux essais sur le couple, Sanae Kameyama a quant à elle une vision positive du couple asexué. « Contrairement à l’Occident qui valorise l’épanouissement sexuel des individus, le Japon ne considère pas le sexe comme important, assure-t-elle. Ici, un couple qui manifesterait son désir sexuel serait embarrassant pour les autres. Le “sexless” pose peut-être des problèmes en termes de natalité, mais il est plutôt libérateur. Il n’y a pas d’obligation de désir réciproque et, comme la passion n’entre pas en jeu, les couples sont plus stables. »

« LES ENFANTS JAPONAIS GRANDISSENT SANS EXEMPLE DE TENDRESSE, DE SENSUALITÉ OU D’INTIMITÉ ENTRE LEURS PARENTS. DIFFICILE ENSUITE D’INVENTER D’AUTRES RAPPORTS DE COUPLE. » AKIKO, 40 ANS

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Le sexe a-t-il de l’avenir au Japon ? Paradoxalement, ce pays voit coexister les schémas traditionnels et le boom de l’indépendance féminine, une offre sexuelle omniprésente et l’éloignement des individus. Dans cette société exigeante, la satisfaction rapide, solitaire et accessoirisée des pulsions est en passe de devenir la norme, et vivre seul, un choix, surtout pour les femmes. Triste de nos points de vue d’Occidentaux, cette asexualité choisie ou subie ne semble pas choquer ici. Peut-être ne s’agit-il que d’une étape… Le succès inattendu de « Shunga » au musée Eisei Bunko à Tokyo, première exposition d’estampes grivoises où plus de la moitié des spectateurs sont des spectatrices, pourrait indiquer une évolution des mœurs. Après la libération économique, les Japonaises vont-elles oser la libération sexuelle, renouant avec la flamboyance érotique de la période Edo ? Cela rejoindrait en tout cas le mythe fondateur du pays, né de la copulation de deux divinités, mâle et femelle. Différents, égaux et complémentaires.

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A Akihabara, quartier geek, les adresses sexy s'affichent. © Grégoire Kalt

1. Etude Durex, 2008.
2. Etude de la Japan family parenthood association (planning familial au Japon), 2014.
3. Ipss (national Institute of population and social security research, l’Insee au Japon).
4. Masayo aihara, auteure de la thèse « mariage “en plus” : particularité du mariage au Japon et conceptualisation de la maternité », 2011.


 

Post-scriptum: 
© Grégoire Kalt

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