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POURQUOI VEUT ON LAISSER MOURIR FRANCE-ANTILLES ?

Raphaël CONSTANT
POURQUOI VEUT ON LAISSER MOURIR FRANCE-ANTILLES ?

La disparition du journal France Antilles ne peut laisser personne indifférent et nécessite une réflexion sur sa signification.

D’un point de vue, dominant chez nos « décideurs », néo-libéral, la mort du quotidien est la simple conséquence d’une non viabilité économique. C’est la loi du marché et c’est la seule loi qui compterait. De ce point de vue, il n’y a rien à discuter ou à envisager, sinon à chercher des responsables au sein même de la société martiniquaise. Cette vision des choses est tout à la fois simpliste et tout simplement erronée.

Avant tout, posons deux préalables.

Premièrement, la disparition d’un journal qui était devenu au fil du temps un lien social, un espace d’information sur ce qui se passait en Martinique et aussi un (certes mince mais nécessaire) espace de discussion est sans nul doute une régression sociétale et démocratique.

Deuxièmement, il s’agit d’une terrible casse sociale avec, sur les trois pays, près de 300 familles touchées de plein fouet. A cet égard, la disparition de FA rejoint ces autres licenciements de masse (un tel niveau de licenciement serait inimaginable dans un pays développé !) comme Air Martinique, l’hôtel Kalenda, l’habitation Leyritz, l’AFPA etc…. Un licenciement, même avec les indemnités (payées la plupart du temps par les AGS, donc avec l’argent des autres salariés et non ceux de l’employeur concernés !), est une marginalisation sociale importante, d’autant que les chances de reconversion sont faibles sinon nulles. C’est tout à la fois une diminution du niveau de vie, une difficulté de faire face à des engagements financiers (prêt immobilier, etc…) une renonciation à certains financements (études supérieures des enfants etc…). Il s’agit d’évènements extrêmement violents pour les personnes concernées, une violence qui laisse de marbre les supposées élites et une justice aveugle aux malheurs des petits (il suffit de voir comment les magistrats accueillent positivement les demandes de condamnations des banques) etc…

Ces deux préalables étant posés, il reste une question essentielle : qui a tué FA ou qui l’a laissé mourir ?

Partons d’une certitude, l’histoire consistant à prétendre que le financement du projet d’AJR (la société de la petite fille d’Hersant qui a récupéré le journal en 2017) n’a pas été bouclé pour 1,3 millions ne peut être qu’une fable. Que ce soit l’Etat français ou la petite fille d’Hersant, trouver une telle somme n’est pas une difficulté. Que l’avant-veille de l’audience AJR indique au Tribunal qu’elle retire son projet faute de financement est un choix de mise à mort sans appel.

On peut d’autant plus se poser cette question quand on sait qu’en 2017, quand AJR a récupéré FA (pour un montant ridiculement faible en échange du fait de reprendre l’ensemble du personnel), il y avait dans la corbeille deux terrains (un en Guadeloupe et un en Martinique) estimés à l’époque à plusieurs millions, en tous les cas d’une valeur largement supérieure aux 1,3 millions recherchés ( ?) en 2020 ! Or, quelques temps après cet achat à la barre du tribunal de commerce, ces terrains sont sortis du patrimoine de la société pour aller former une SCI ! Comment expliquer une telle manœuvre et pourquoi ces terrains ne sont pas revenus à la société quand elle fut à nouveau en difficulté ?

Aude là de cette péripétie, la réalité est que « ceux qui nous dirigent » ont décidé de supprimer, ou à tout le moins laisser mourir, FA.

FA a été créé en 1964 par M. Hersant, ancien collaborateur vichyste et à ce moment député UDR et magnat de la presse, à la demande du pouvoir français, à la veille du voyage officiel du général de Gaulle en Martinique. FA bénéficia de facilité comme celle d’être logé dans des locaux gouvernementaux. Dans le même temps, le pouvoir parisien créa aussi la télévision en Martinique. L’objectif était de contrôler la scène médiatique dans toutes ses composantes. Au moins pendant une vingtaine d’années, FA fut la voix du pouvoir français contre les autonomistes, les césairistes, les communistes, les syndicalistes, les séparatistes et tous autres déviants selon l’idéologie dominante. Il s’agissait d’un organe de propagande où les opposants n’avaient pas droit de citer. FA était baptisé Fwans Manti.

Puis s’ouvrit une période où FA s’ouvra d’une part à la réalité martiniquaise et d’autre part ne fut pas uniquement le porte-parole de la préfecture.  Sur le premier point, FA rendait compte, certes à sa manière, de la quasi-totalité des évènements ayant lieu en Martinique. En le lisant, on avait un panorama du pays et chacun pouvait s’y retrouver. Sur l’aspect politique, FA n’est pas devenu patriote ou révolutionnaire. Certes, l’idéologie principalement véhiculée était toujours celle de l’origine mais elle n’était plus exclusive et d’autres voix pouvaient y être entendue.

Ceci explique-t-il que le pouvoir ait pu considérer qu’il n’y avait pas ou plus de raison de sauver FA de la liquidation. Car, sans doute aucun, si le gouvernement l’avait voulu, le financement aurait été trouvé.

On observera en passant que les promesses de Préfet, députés, collectivité en réponse aux demandes des salariés (ont-ils opté pour la bonne stratégie quand ce n’est qu’in fine qu’ils ont mis en cause la stratégie d’AJR) n’ont pas servi à grand-chose sinon à endormir ceux qui ont eu tort de les croire !

Dans ce contexte, le communiqué des ministres des colonies et de la culture regrettant la décision de liquidation est un sommet d’hypocrisie rarement atteint à un tel sommet de l’état. Il ne manque plus que les larmes de crocodiles de Macron et le cynisme sera complet.

Il y a d’autant plus hypocrisie et cynisme que le pouvoir a le moyen de contourner cette décision de liquidation en demandant à son procureur de faire appel du jugement et de faire présenter un plan financé devant la Cour d’Appel.

Autrement, il reste aux martiniquais de comprendre qu’ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour avoir une presse digne de ce nom.

Raphaël CONSTANT

Avocat et militant.

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