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Précis de fusion créole Roman. Avec Nuée ardente, Raphaël Confiant trempe sa langue à la forge de la montagne Pelée.

Michel GUILLOUX (in "L'HUMANITE")
Précis de fusion créole Roman. Avec Nuée ardente, Raphaël Confiant trempe sa langue à la forge de la montagne Pelée.

" Il y a la mélodie des rues, cette eau limpide et frénétique par endroits qui dévale de toutes les failles de la montagne et qui jamais ne tarit, même au plus fort du carême, quand juin pare les flamboyants d'une si scandaleuse belleté qu'on s'imagine que le monde ne finira jamais. " Ainsi débute Nuée ardente, dernier roman de l'écrivain martiniquais Raphaël Confiant. Mais si l'incipit vaut programme de l'ouvre à naître, cette première phrase, lue en regard du titre, ne laisse d'inquiéter, par sa fluidité même. Tout l'enjeu d'écriture semble résider dans la tension qui va naître entre cette apparente nonchalance du langage et quelque chose de plus sourd qui va la contredire ou plutôt l'éclairer d'un autre jour.

Saint-Pierre de la Martinique, en cette année 1902, est baignée de lumière. On croise dans ces premières pages l'essentiel des personnages qui vont peupler le récit, au milieu d'une humanité riche en couleur. Il y a le bordel, fréquenté par une bohème locale, inspirée par les poètes du Parnasse. D'un trio de jeunes artistes croqués en chiens fous émerge Pierre-Marie Danglemont, professeur de philosophie, romantique en diable, et amateur aussi bien de Diderot que de Kleist. Métisse, il est aussi répétiteur des blonds rejetons d'un hobereau, Louis de Saint-Josse, qui contemple à la lunette le spectacle du volcan " éteint ", théorisant sur les éruptions concomitantes aux ruptures politiques insulaires, à commencer par l'abolition de l'esclavage, un demi-siècle plus tôt. Les deux figures paraissent aux antipodes, quand elles deviendront, par glissements successifs, symétriques l'une de l'autre. Entre ces deux pôles, on croisera aussi bien le béké, chef de clan à la race dans le sang, que Marie-Égyptienne, plantureuse lavandière violée à loisir par le premier, le voleur Syparis que la mystérieuse Edmée, idéal féminin inaccessible au jeune poète philosophe. On y verra les descendants des esclavagistes fin de race disserter à l'envi sur l'inégalité mesurée à l'aune de la boîte crânienne, tandis qu'une vie bien plus palpitante bat dans les rues et les bouges de la ville jusqu'à prendre le pouvoir le temps d'un carnaval. Nous étions dans le Temps de la doucine quand Nuée ardente part à la recherche d'un monde condamné avant d'être perdu, l'explorant en autant de chapitres que de cercles d'un enfer annoncé : " Temps de l'intranquillité ", " Temps de l'apocalypse " puis, enfin, " Temps de l'inconsolation ". Tels sont les quatre actes de ce qu'il faut bien nommer tragédie.

Mais l'apparente linéarité de la chose est brisée dans le cour même de la narration. Le volcan sommeille, chacun le sait mais feint de l'ignorer d'où les sens exacerbés par un vivre vite. De même que se multiplient les signes annonciateurs de la catastrophe à venir, la peinture de ce monde ressuscité se craquelle au fil de digressions particulières. Insérées dans le corps du texte, elles viennent noircir le tableau ou en révéler des facettes obscures. On découvrira, par exemple, le cauchemar d'un descendant d'esclave, esclave lui-même en son enfance, au nom qui se passe de commentaire, Lafrique-Guinée, et à la mémoire nourrie du martyre des ancêtres.

On aura compris que le roman se veut moins chronique documentée de l'éruption de la montagne Pelée que métaphore de la disparition d'un monde, de l'enfouissement de ses espoirs et illusions, et de l'annonce d'autre chose, en ce mitan quasiment d'entre 1848 et 1948, soit l'abolition de l'esclavage et la naissance de la Martinique moderne et de sa créolité littéraire.

Raphaël Confiant définit la culture créole comme une " culture du détour, du masque, du voile ". Une bonne part de son ouvre a revisité l'histoire contemporaine de la Martinique, alternant épisodes clefs de celle-ci et récits d'enfance. La truculence, voire la grivoiserie toute rabelaisienne dont il le nourrit ne sont que les masques posés sur des failles autrement plus profondes, des mentalités néo-esclavagistes au racisme ordinaire qui n'épargne aucune couche de la population. Qui aime bien... Avec Nuée ardente, l'écrivain fouaille la contradiction tant qu'il peut, et avec une rare intensité. En ce début de siècle, on trouve dans ce Saint-Pierre selon Confiant une ligne de partage souterraine entre ceux qui paraissent condamnés et ceux à qui l'avenir appartiendra, ce qui va disparaître et ce qui peut advenir de neuf. On suit l'arrivée de nouveaux migrants qui participent d'une redistribution des cartes de la division posée jusque-là, entre Noirs et Blancs, Chinois ou Indiens qui subissent le sort que connaîtront en métropole Italiens, Espagnols ou Arméniens. Les mulâtres accèdent au statut de couche intermédiaire de la IIIe République sous le soleil des Antilles, tandis que d'autres se mettent à apprendre aux ouvriers un drôle de chant. Mais du point de vue de l'art, faut-il chercher une adaptation locale aux courants nés des Lumières et portés jusqu'à Hugo ? Ou bien est-il possible d'inventer autre chose ? Réponse donnée tant par les parcours croisés du philosophe Danglemont et de Saint-Josse que par l'érotisme et une boussole du désir du jeune homme aiguillée entre une Edmée, transposition évanescente de la Muse, et une Marie-Égyptienne appelant à d'autres voies. Le passé n'est jamais passé et la table rase qu'impose l'éruption finale met à jour tous ces courants dont la fusion n'en finit pas, aujourd'hui.

Michel Guilloux

Nuée ardente, de Raphaël Confiant, Mercure de France, 322 pages, 18,50 euros.

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