"PRESQU’ÎLE"
Je me méfie de tous les isthmes,
bandes de terre, langues de sable (parfois de bois !)
rattachant une île à la terre et la rendant presque…
Colonial isthme égale île désinsularisée,
Moi, je suis pour les libertés insulaires,
pour les indépendances identitaires
flottant, nomades écumes océanes poussées par l’alizé d’une pensée libre d’entraves
jetant l’encre où bon lui semble,
quand bon lui semble…
À l’aube de cette seizième année du troisième millénaire
suivant la fin de ce monde annoncée,
je réclame
la commisération pour ces temps de misère,
un peu de compassion avant de retourner poussière,
et puis la volonté
de refuser cette facilité du vol honteux
ou de la mendicité par l’assistanat institutionnalisée.
Réinventer le vent de la vie
pour qu’il souffle à son aise son alizé
sur nos îles désinsularisées,
départ-et-mentalisées,
parle-menteurisées…
Je pleure à chaudes armes
sur le sort de nos valeurs volées,
de notre âme violée,
de notre mawonnaj assimilé,
dissous sans fierté dans la fièvre de ce paludisme à la puanteur fade
de la non-culture mondialiste yankee !
À quand, à quand ton jaillissement magnifique et rouge de lotus
hors de la vase nauséabonde de ce marais-cage
qui retient nos Antilles prisonnières ?
À quand, à quand cette évasion spectaculaire
hors de sa chrysalide, l’envol de ton papillon de splendeur ?
Et à quand, à quand ô ma terre,
ton heure identitaire !…
Ces lieux,
habités par les ossements blanchis de nos ancêtres.
Ces lieux où ils ont vécu…
Les esprits de ces dieux par eux jadis invoqués.
Ces arbres sacrés
dont la sève est la sueur et le sang mêlés de nos ancêtres.
Ces lieux où nous sommes nés
mais qu’hélas, nous n’habitons plus…
Ces lieux dont à la surface nous ne faisons qu’errer,
fantômes de nous-mêmes aliénés
en quête d’une improbable identité…
Ces lieux aujourd’hui à peine effleurés,
il nous en faut d’urgence réapproprier
le sens, l’essence et la profondeur,
y engravant corps et âme notre nom secret,
ce souffle qui anime et ne fait qu’un,
abolissant le temps, la distance et la différence
par le truchement de la transe de la danse,
ce battement insistant de nos sangs
au tambour de nos cœurs
abolissant la peur…
Martèlement des pieds nus
synchrones de la terre mère,
instantané de mémoire collective héréditaire.
Un rêve placentaire,
légendaire
d’ombilic…
Lève-toi, peuple issu du viol codifié de l’Afrique !
Il est temps pour toi de récupérer la terre
ensemencée par la sueur et le sang du Nègre,
par les ossements blanchis de tes ancêtres,
arrosée par les larmes amères versées de leurs yeux.
Cette terre d’exil qui désormais t’appartient du droit inaliénable
du sang répandu comme un engrais précieux,
la légitimité du travail et de ta misère.
Et le feu prend dans la canne et consume la grand-case,
purificateur et rénovateur
et le phénix-liberté renaît de leurs cendres et déploie ses ailes,
le sang coule sur l’autel des loas
et leur force est en toi,
soulevant ta colère au rythme du tam-tam !
Car voici que vient une ère nouvelle pour le peuple de Cham
et l’injustice passée doit être réparée !
L’heure du nègre a sonné à l’horloge de l’Histoire
afin qu’à jamais soit effacé des mémoires
le temps honni du joug et de l’esclave.
L’heure de nous-mêmes…
Lève-toi et marche, debout et fier
pour regarder demain…
Patrick MATHELIÉ-GUINLET