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Quand Jean Bernabé analysait une fable créole de François Marbot (1844)...

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES
Quand Jean Bernabé analysait une fable créole de François Marbot (1844)...

« Ecrire la domination » sous la direction de Gerry L’Etang et Corinne Mencé-Caster

Caraïbéditions-Université, 2016

 

Dans cet ouvrage collectif daté de 2016, les auteurs développent une réflexion scientifique sur différents modes de domination. Ils inscrivent leurs travaux dans le cadre des études décoloniales, lesquelles se différencient des études postcoloniales propres aux Etats Unis, dans la mesure où elles intègrent des penseurs caribéens comme Fanon ou Glissant. Corinne Mencé-Caster attire l’attention sur le fait que l’entreprise est difficile car « il n’est guère possible dans une telle démarche, de faire fi de la posture du sujet écrivant ». Les chercheurs sont à la fois ceux qui utilisent des savoirs et des concepts acquis auprès du « dominant » pour  déconstruire des discours, dont ils seraient à même de percevoir la dimension de « domination », sans cesser de se reconnaître eux-mêmes, de manière plus ou moins explicite, comme « dominés ». Parmi les auteurs ayant relevé le défi, on trouve l’universitaire, essayiste et linguiste martiniquais Jean Bernabé, décédé au mois d’avril 2017. Sa contribution s’intitule : « Les avatars de la domination coloniale et la formation des personnalités collectives guadeloupéenne, guyanaise et martiniquaise : contentieux et contrastes. »

L’auteur s’intéresse dans un premier temps à une fable créole « Les deux cafié » publiée en 1860 par Paul Baudot, un « Blanc-pays » guadeloupéen, Créole de la première génération (ses parents étant originaires de la Nièvre). Deux caféiers se rencontrent, l’un originaire de la Martinique, l’autre de la Guadeloupe. Ce dernier s’indigne car il fournit un excellent café vendu sous le label martiniquais considéré à tort,  en métropole, comme plus prestigieux. Pour Jean Bernabé « cette fable constitue une des premières attestations écrites de clivage Guadeloupe-Martinique ». Le Guadeloupéen y représente l’Etre et le Martiniquais, le Paraître. L’auteur explique les raisons historiques de cette opposition et après avoir analysé, par comparaison, les fables du Béké martiniquais Marbot, il note que ces dernières se révèlent autocentrées : « La Guadeloupe voit et nomme la Martinique pour la fustiger tandis que la Martinique ne semble pas accorder d’attention à l’île prétendue sœur ».

L’auteur brasse ensuite un certain nombre de concepts et notions qui interpellent. Il précise la différence entre l’identité « caractéristique immuable de l’individu » et la personnalité « attribut évolutif quoique spécifique » et dans cet ordre d’idée, il invite à substituer à la notion de « l’identité collective » celle de la « personnalité collective ». L’individu et le peuple ne doivent en rien être confondus, nous dit-il, au risque de verser dans le communautarisme et l’intégrisme.

Jean Bernabé revient alors sur une conception qu’il a initiée  quant aux distinctions à effectuer de nos jours entre un colon et un colonisateur/ colonialiste. « Ainsi, explique-t-il, un musulman qui, poussé par la misère, quitte son pays pour migrer en Europe est, selon ma terminologie, un colon, mais il n’est pas pour autant un colonisateur. Cela dit, si sa migration coïncide avec une volonté de conquête, sur la base par exemple d’un islamisme radical, le colon-migrant qu’il est devient ipso facto un colonisateur et un colonialiste. » (Lire : La chronique littéraire de Jean Bernabé : « Repenser le concept de colonisation » sur www.potomitan.info/bernabe/chronique12).

Jean Bernabé interroge aussi le lien existant entre « la dynamique de la créolisation » et « la quête de la souveraineté » notamment en Amérique latine, au XIXe siècle, initiée par des colons comme Bolivar ou Marti et il note que « les esclaves des Antilles françaises et leurs descendants, ont mis un certain temps à passer de la créolisation fonctionnelle à la créolisation symbolique, c'est-à-dire à s’inscrire dans une quête d’ « autochtonisation, délai qui s’explique par le caractère tragique des vicissitudes subies ».  A savoir que la « créolisation fonctionnelle » correspond à celle vécue par les Africains déportés et coupés de leurs traditions tandis que la « créolisation symbolique » chez leurs descendants notamment n’implique pas une rupture avec les origines culturelles.

Pour en revenir au texte de Baudot, Jean Bernabé insiste sur le fait que ce « Blanc-pays », Créole de la première génération,  en critiquant l’ostracisme de la métropole envers la Guadeloupe témoigne que « la réalité historique est bien plus complexe que ne veulent la concevoir les adeptes des idéologies simplistes, réductrices et marquées par des mythologies identitaristes, forcément factices et délétères ».

Dans la dernière partie de son article, l’auteur pratique une « extension à la Guyane de la problématique mise en évidence par la fable de Baudot », le clivage devenant celui opposant les Antilles (Guadeloupe-Martinique) à la Guyane. Le linguiste spécialiste de la langue créole, qu’il est, note au passage que « la Guyane présente la particularité d’être le seul territoire de l’Outre-Mer de statut français où toutes les langues créoles se trouvent représentées de façon significative. » L’auteur n’oublie pas que nombre de ses compatriotes martiniquais  après l’éruption de la montagne Pelée se sont installés en Guyane. Il sait que cette immigration n’a pas forcément été bien vécue par les autochtones car il dit que les Martiniquais (mais aussi les autres) ne sont pas forcément des colonisateurs et de préciser : « Ils ne sont pas forcément plus aliénés et asservis au pouvoir colonial que nombre de Guyanais, légitimés comme tels par la vox populi. Ils ne le sont pas moins non plus. » Pour finir Jean Bernabé rappelle que « le rôle des chercheurs est de contribuer à éclairer le chemin qui conduit, /…/, vers une meilleure compréhension partagée du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique qui constituent la vie des peuples. »

              Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES

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