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Quand le navire négrier affrontait une tempête et déviait de sa route...

Raphaël CONFIANT
Quand le navire négrier affrontait une tempête et déviait de sa route...

   Au temps jadis, quand il n'y avait pas moyen de faire des alertes jaunes, oranges et rouges, quand les capitaines des bateaux et leurs équipages devaient se fier à la place des étoiles et au déplacement des planètes dans le vaste firmament dont le silence terrifiait Pascal, il suffisait d'une tempête pour que tel bateau négrier à destination de tel endroit dans les Antilles et les Amériques en général débarque sa cargaison de bois d'ébène en un autre lieu.

   Le bois d'ébène n'a pas de nationalité.

   Il n'est même pas reconnu comme un être humain. C'est une bête. Une bête de somme. Que les colonisateurs ont jetés dans les champs de café, de coton, de canne à sucre de ce nouveau continent qu'ils ont souvent rebaptisé avec les noms de l'ancien : Nouvelle-Angleterre, Nouvelle-France, Nouvelle-Ecosse, Nouvelle Grenade et tutti quanti.

   Dans ces contrées où l'autochtone amérindien a été génocidé ou marginalisé, le bois d'ébène, au mitan de mille et mille souffrances, s'enracine, se met à pousser, à grandir. A se reconstruire, dirait-on en langage d'aujourd'hui. Il ne se considère pas comme d'une île ou d'un pays en particulier. Toussaint-Louverture est certes né à l'île de Grenade et le colonel Louis Delgrès à l'île de la Martinique, mais ils se sont battus d'abord et avant tout pour des causes, pas pour des territoires. Et la grande cause de leur époque était la destruction du système esclavagiste.

   Il a fallu le XXe siècle pour que les Noirs des Amériques en arrivent à se considérer comme étant de tel pays en particulier et à développer des comportements xénophobes à l'égard d'autres descendants de bois d'ébène. Le nationalisme des bois d'ébène est grotesque. Il n'est qu'une médiocre imitation du nationalisme européen. C'est le mulâtre dominicain Trujillo faisant massacrer 30.000 Haïtiens en 1930 ; c'est le nègre guadeloupéen Ibo Simon et une bande de nervis armés organisant, dans les années 80, un pogrom contre les Dominiquais au quartier Boissard, à Pointe-à-Pitre ; ce sont tous ces Martiniquais qui apposent des graffitis "Ayisien déwò !" sur les murs ; c'est ce parti politique de gauche guyanais qui s'élève contre "l'haïtianisation de la ville de Cayenne". C'est le gouvernement des Bahamas qui enferme les "boat-people" haïtiens dans des cages etc... Mais pas d'angélisme pro-haïtien non plus ! C'est le général AURIER, commandant de la ville de Santo-Domingo lors de l'occupation (1820) par les Haïtiens et le général BOYER de ce qui n'était pas encore la République Dominicaine, qui utilise l'Université de Santo-Domingo, la plus ancienne du Nouveau-Monde, comme...écuries. C'est la constitution haïtienne qui interdit à quelqu'un dont le père n'est pas haïtien de se présenter à l'élection présidentielle. A ce propos, François DUVALIER a failli être recalé car son père était...Martiniquais ou d'origine martiniquaise.

   Les descendants de bois d'ébène, au lieu de s'épauler, ont multiplié les obstacles à toute forme d'unité au nom d'un nationalisme étroit. Et, autre exemple, c'est la Fédération des West-Indies qui rassemblait 15 pays anglophones de la Caraïbe, de la Jamaïque à Trinidad, qui vole en éclats. A une échelle moindre, c'est l'Université des Antilles et de la Guyane qui se scinde en deux et qui est menacée de finir en trois morceaux (miettes ?). Le plus hallucinant est que ce sont les mêmes qui développent un "noirisme" virulent, qui n'ont que le mot "Nègre" ou "Black" à la bouche qui sont les plus virulemment anti-haïtiens, anti-martiniquais, anti-dominiquais, anti-saint-luciens etc...

   Or, au lieu de s'épuiser à se battre pour des réparations qui ne viendront jamais, pourquoi ne pourrait-on pas défendre l'idée que tout descendant de bois d'ébène est partout chez lui aux Amériques ? Et qu'en conséquence, il devrait avoir le droit imprescriptible de s'y déplacer comme il le veut. On me rétorquera qu'il s'agit là d'une idée utopique, que chaque pays a désormais son drapeau, son hymne national, son passeport, son équipe de foot nationale etc. et que des sentiments nationaux s'y sont développés. Je suis Barbadien ! Je suis Guadeloupéen ! Je suis Haïtien ! Je suis Cubain etc...

   Ouais...

   Sauf que moi, descendant de bois d'ébène un peu mélangé de Blanc et de Chinois, je me sens partout chez moi aux Amériques et pas seulement dans ma Martinique natale et que j'interdis à un bois d'ébène d'une autre île ou d'un autre pays de la terre ferme de me dire "Tu n'es pas chez toi !" ou "Rentre chez toi !". Qu'on me lance ça à la figure en Europe, en Afrique, en Asie ou en Océanie, je veux bien ! Ou plutôt, passe encore.

   MAIS PAS AUX AMERIQUES !

   Car quand le navire négrier affrontait une tempête...

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