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RE-ENCHANTER LE REEL MARTINIQUAIS

Serghe Kéclard
RE-ENCHANTER LE REEL MARTINIQUAIS

    Transposition libre en français de "OBIDJOUL PEYI-A" en hommage à un ami, Hugues DRAPIN, qui a rejoint "le Pays sans chapeau ce lundi 05 novembre. «Recréer  sa vie, recréer la vie. / Je ne connais qu'un seul récit  solennel : /celui qui lève la tête, remarque le plafond, / mais invente le nuage. / Défi, ton défi aux forces calamiteuses. //» in Ferments d'ombre, paroles de roman (1979), Joël Beuze  

 Ré-enchanter le réel martiniquais passe par un changement radical du regard que nous portons, traditionnellement,  sur la réalité du pays. 

  Non point, pour occulter ses miasmes, ses ombres, sa violence et ses stratégies d’évitement, (aveuglement, par exemple, de certains d’entre nous devant cette entreprise génocidaire par Chlordécone, en particulier et pesticides, en général). 

   Non point, pour signifier complaisance encore moins indifférence devant les conduites erratiques (l'affaire du Céregmia), les souffrances et les injustices bien réelles, conséquences entre autres, d'une histoire non ou mal élucidée. 

   Non point, enfin, pour prétendre ne créer des œuvres fortes qu’avec de bons sentiments (notre histoire littéraire nous fournit d’indiscutables  contre-exemples : La Rue Cases-Nègres de J. Zobel, Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, Tant de solitudes de F.Kanor, Le Nègre et l’Amiral de R. Confiant, La matière de l'absence de P. Chamoiseau ou encore Les ténèbres intérieures de J.M.Rosier, Cartel Comédie de S. Kéclard, Farizet Léranski, Létidjan de Romain Bellay, Ti Chal de H. Barthéléry  voire La fin de Mame Baby de G. Octavia ou An bonnè asou karné krédi de Térèz Léotin). 

   Mais pour refuser  que notre vision de nous-mêmes ne soit surdéterminée par celle de l’Autre, et jeter alors, courageusement, une lumière autrement positive, bienveillante et spirituelle (non religieuse) sur l’Ici-là, sur ses éclats et ses indéniables beautés. Au-delà  de cette contemporaine image réifiée de notre entour faite que de dystopie1 transmutée, néanmoins, avec talent à travers : Bord-de-Canal, Les villes assassines d’Alfred Alexandre, Noirs néons de J.M. Rosier, pour ne citer que les œuvres les plus représentatives de « la littérature de l’Incertain ». Au-delà, aussi, de l'idée selon laquelle notre pays n'est que bamboche et lafèt... 

   Une telle attitude, (rejeter cette vision surdéterminée) nouvelle en apparence, vaut haute exigence, mais nullement diktat - nous ne savons que trop combien les stratégies transgressives habitent les conduites humaines ! -  pour le simple quidam ainsi que pour  les créateurs, les créatrices, les artistes, en général, et les écrivain-e-s, (en langue créole et en langue française) en particulier. 

   Exigence haute si nous ne voulons  donner raison aux Autres (ainsi qu’à Nous-mêmes, quelquefois, malheureusement !) qui pensent que nous ne sommes, en fait, qu’un tragique émiettement culturel et avec Hawaï, pour citer Edouard Glissant dans Le Discours antillais, « le seul exemple de « colonisation réussie » de l’Histoire. » Et, comme nous appellent les Saint-Luciens : «gason fwansé» (mineurs et même pas martiniquais)... 

   Man LaPopo - dont j’ai essayé de dessiner, dans un ouvrage collectif, Chroniques des îles du vent, Guadeloupe et Martinique, les linéaments d’une chronique, certes des saveurs et des délices pâtissières - symbolise le type de résistance silencieuse, discrète mais ô combien efficiente qui ré-enchante le paysage martiniquais ; comme en poésie, Joël Beuze, Ferments d'ombre, J.M. Rosier Walé monté danma lanmou ; au théâtre, G.E.Mauvois ; ainsi qu'en peinture, Germain Tiquant, Alexandre Bertrand ou Patricia Donatien ; en Wòtay, Eric Seguin-Cadiche, Romain Brulu, commandeurs ; musique-racines, l'AM4; ou en musique urbaine  traditionnelle, Mano Césaire, compositeur et violoniste ; au cinéma, Khris Burton, le réalisateur … Avec d’autres, comme Isambert  Duriveau, pour Lasòtè ; en musique progressive contemporaine, Claude Césaire, Philippe Burdy et José Zébina d'Aléliwon et le groupe Bwakoré …, cette femme représente autant de lucioles en noria qui grandissent en boucans de vie…

   Durant plus de quarante ans, en effet, la Dame du Lamentin propose, sans discours flamboyant sur la nécessité de sauvegarder notre héritage culturel gastronomique – matrimonial et patrimonial – des recettes antimondialisation en confectionnant inlassablement des douceurs d’Ici-là  afin de garder «  ferveur intacte pour cette transmutation jubilatoire du palais ! » et maintenir relation épi Tout-Moun (avec le Tout-Monde). Elle distille sans relâche une parole de sédition qui marronne, sans grand-vent, le sourire aux lèvres et la main ouverte, le wélélé (vacarme, confusion) confortable d'aujourd'hui, dans une volonté néanmoins têtue de préserver ce que nous sommes.  

   D’aucuns verraient dans cette démarche  misonéisme effréné et mortifère ou insupportable naïveté. Que nenni !  Cet optimisme raisonné nous aidera, j’en suis intimement convaincu, plus sûrement que ces vaticinations épuisantes, à changer aussi notre monde. À le ré-enchanter, lui et ses imaginaires !

   Quel plus beau défi que de refuser de croire que maintenir certaines traditions, c’est s’enfermer dans un ghetto. Que célébrer le Créole, la Poésie (ce n’est pas sûr que la poésie soit si déconnectée que cela de la science, de la technique et de la métaphysique), la Folie, la Fête, exalter la Beauté en nous, autour de nous, relève de l'amblyopie2 voire de la cécité, alors que c’est l’exact contraire : c'est s’ouvrir à la diversité d'un monde, du monde, à sa complexité, c'est inventer, dans nos traditions, les futurs !  

   Néanmoins pour parvenir à ré-enchanter le réel martiniquais (et pourquoi pas le monde) il importe, d'une part, de sortir d'un imaginaire qui ne fonctionne que pour le Marché, un imaginaire euro-centré, et d'autre part, de déconstruire un certain discours français, occidentalisé ; celui qui, depuis nanni-nannan, nomme, classifie, organise, voue aux gémonies ou détruit telle partie du monde ou célèbre telle autre, à partir de ses propres critères  pour ses  intérêts uniques. 

   Il s'agit, en définitive, d'être aussi du côté des étoiles et de décoloniser notre corps, notre esprit, notre rapport à Mère-Nature (Réapproprions-nous la sagesse Kalinago !), notre regard et notre vision du monde, en les ré-enchantant, avec Nous, Tout-Nous ... De chercher derrière les apparences, derrière les masques. C’est pourquoi je suis assez circonspect concernant la formule volontiers provocatrice de Raphaël Confiant : « On est colonisé parce qu’on est colonisable. » Si on le demeure, oui ! Mais le «Nous», comment l'appréhender dans ce monde imprédictible, de plus en plus ouvert et globalisé, qui exalte l'Errance ?

   1 Dystopie (‡ utopie) : on peut penser qu'il y a aujourd'hui un recours systématique à la thématique de la dystopie voire une certaine délectation à l'évoquer lorsqu'on décrit notre réalité sociale contemporaine. Cependant si son existence  ne peut être niée,  on a trop tendance à réduire le pays à elle, à l'instar des poètes dits «doudouistes» pour l'isotopie du Paradis. Il s'agit ni plus ni moins, en l'occurrence, d'une nouvelle «carte postale»..

              «Ré-enchanter le réel martiniquais», Serghe Kéclard (nov.2018

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