Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

REFORMER LES INSTITUTIONS CAR LA DIGNITE PASSE AUSSI PAR LA RESPONSABILITE

de Pierre SUEDILE Secrétaire général adjoint du RDM
REFORMER LES INSTITUTIONS CAR  LA DIGNITE PASSE AUSSI PAR LA RESPONSABILITE

La plénière du 18 décembre du Congrès des élus régionaux et départementaux a consacré la demande d’une évolution institutionnelle de la Martinique au sein de la République.

C’est la Constitution qui en offre l’opportunité, étant entendu que la République, depuis 1946, a abandonné toute volonté d’être « une », pour ne conserver que son « indivisibilité », qui définit le Parlement comme exclusive source de la loi. La France est donc toujours un Etat « unitaire » mais n’est pas une République « une ».

En 1958, la nouvelle mouture de la Constitution initiée par le général de Gaulle, se plaçant dans le sillage de celle de 1946, a alors proposé aux populations, le libre choix du régime juridique leur paraissant le plus adapté à leur situation. Ainsi aujourd’hui, l’île de France, la Corse, la Martinique, Saint-Pierre et Miquelon, la Polynésie, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, par exemple, sont autant de régimes distincts au sein de la République.

Le principe républicain de l’égalité entre tous les citoyens continue à s’appliquer très normalement en chaque point de l’ensemble français et la République ne saurait être animée de quelque volonté de revanche à l’endroit des uns ou des autres. Les apprentis sorciers qui laissent entendre qu’une simple modification des institutions provoquerait le courroux de la République lui font alors un procès qui ne peut trouver ses attaches dans une démocratie, mais plutôt dans des cerveaux formatés par des espaces à l’écart de la pensée démocratique et moderne.

Dans le même ordre d’idées, en matière d’organisation administrative, deuxième volet d’un statut accompagnant le régime juridique, la République invite les territoires à se doter à leur guise d’une ou plusieurs collectivités territoriales permettant de répartir et d’exercer efficacement les compétences dévolues par la loi.

La Martinique en possède trois, la commune chargée des actions de proximité tels l’urbanisme et l’école, le département responsable de la solidarité envers les personnes âgées, les handicapés ou la petite enfance, et la région en charge du développement, de la formation professionnelle et de la planification.

En clair, ce n’est pas la création du département, outil administratif, par la loi du 19 mars 1946, qui a permis à la Martinique d’obtenir l’extension de lois démocratiques et sociales, cette option n’a représenté que le volet secondaire de la réforme, notamment en ce que la collectivité territoriale communale existait déjà. Par contre, la loi de 1946 a plongé la Martinique dans la République et lui a affecté l’un des régimes juridiques qu’elle offrait, à savoir celui de l’ « applicabilité de plein droit des lois et règlements », encore désigné par certains sous le vocable « régime de l’assimilation », « régime de droit commun » ou « régime de l’identité législative ».

La confusion qui consiste à parler de «départementalisation» et à mettre l’accent sur un simple outil de gestion administrative, le département, est née du fait qu’A. Césaire, rapporteur de ladite loi, refusant l’expression avilissante d’assimilation fort usitée, a eu le génie de créer en ses lieu et place, le concept de départementalisation.

Etre doté du régime d’assimilation signifie que les lois et règlements de la France continentale s’appliquent, moyennant des arrangements qui ne peuvent représenter que l’exception. L’Etat a donc toujours considéré comme une entorse à l’identité législative et comme une manifestation d’irresponsabilité, la voie des décrets d’application pour tenir compte des particularités de la Martinique, ainsi que la possibilité de présenter dès 1960 des propositions de loi ou de règlement. Cette procédure a toujours été refusée par les gouvernements qui jamais n’ont inscrit les textes proposés par les Martiniquais, à l’ordre du jour des sessions parlementaires. Le message est évident : si vous voulez que vos particularités soient considérées, prenez vos responsabilités en choisissant le régime qui le permet.

Il faut donc retenir que les « acquis démocratiques et sociaux » ont été le résultat de :
• l’introduction de l’île dans la République, conférant aux femmes et aux hommes, à partir de 1946, une citoyenneté pleine et entière en droit,
• le régime de l’applicabilité de plein droit des lois et règlements, qui va permettre l’extension à la Martinique de la législation passée et future de la France continentale
• l’intense et longue lutte des Martiniquais pour arracher ce qu’il convient d’appeler l’égalité sociale.

Aux termes de la Constitution, l’autre régime juridique de la spécialité législative n’impose pas le droit commun et l’extension des lois n’est pas systématique. Les particularités du territoire sont prises en compte préalablement, par une saisine pour avis de la collectivité chargée de gérer les compétences.

Il faut affirmer d’abord que le socle de droit commun représenté par les grands principes républicains, dont celui de l’égalité entre les citoyens, s’applique automatiquement. Il est enrichi des dispositions relatives aux matières que se réserve l’Etat (la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral.). Dans tous les cas de figure, il est à noter cependant qu’une obligation de saisine pour avis de la collectivité, ne contraint nullement le Parlement et le gouvernement, qui demeurent libres de tenir ou de ne pas tenir compte de l’avis sollicité.

Quant aux textes pouvant être pris, si elle le demande et l’obtient, par la collectivité martiniquaise, dans le domaine de la loi regroupant les questions les plus fondamentales aux termes de la Constitution, il faut souligner qu’il ne pourrait s’agir de lois, étant entendu que dans la République « indivisible », dans la France « unitaire », seul le Parlement peut édicter la loi.

Ceci étant dit, il convient de souligner immédiatement que Le Congrès des élus régionaux et départementaux énumérera de façon complète les domaines que la nouvelle collectivité voudra gérer conformément au régime de la spécialité (art. 74 de la Constitution), au nom du respect des particularités martiniquaises.

Ce régime fait inutilement couler beaucoup d’encre, aussi, affirmons avec force que :
• Il est obligatoire pour le Congrès des élus de faire connaitre tous les domaines dans lesquels les Martiniquais veulent que s’applique la spécialité législative régie par l’article 74 de la Constitution.
• Il est obligatoire pour le Congrès des élus de faire connaître tous les domaines de la loi dans lesquels la Collectivité nouvelle sollicite le pouvoir de produire des textes.
• Le Parlement de la France n’accordera pas le régime de la spécialité, régi par l’article 74 de la Constitution, à des domaines qui n’auront pas été énumérés par le Congrès des élus. Les esprits qui le prétendent relèvent d’une vision bananière et revancharde de la République française.
• Tous les domaines qui n’auront pas été retenus par les élus ou qui n’auront pas été acceptés par le Parlement, resteront du domaine de l’identité législative (article 73 de la Constitution), c’est-à-dire de l’applicabilité de plein droit des lois et règlements. Ils seront très nombreux, d’autant que le Parlement refusera certainement, comme à son habitude, de satisfaire totalement la demande des élus.
• Le Parlement refusera notamment tout ce qui lui paraîtra s’opposer au droit européen comme il l’a fait pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin (production de textes relatifs à l’accès à l’emploi et à l’activité professionnelle)
• Si les Martiniquais, par un vote positif, mesurent avec hauteur la nécessité d’aller à plus de responsabilité, pour que la dignité soit un jour pleinement au rendez-vous, le Parlement arrêtera une loi organique. Quel que soit le changement d’institutions la procédure passe par une loi organique qui n’est pas un « chatt dans sac » si l’on reconnait la hiérarchie des institutions de la République ainsi que l’intégrité de ses artisans. Elle s’inspirera exclusivement de la proposition du Congrès des élus, de l’indivisibilité de la République, du principe de la libre circulation des hommes, des capitaux, des marchandises et des services dans l’Union européenne, ainsi que du fer de lance de son système capitaliste que représente la libre concurrence.

Tous les autres commentaires à propos de l’évolution institutionnelle relèvent du calcul politique, de l’obscurantisme ou du refus délibéré de considérer qu’il existe sur notre planète une communauté de Martiniquais qui est un peuple.

Si ceux qui ne reconnaissent pas l’existence du peuple martiniquais se mettent d’emblée hors jeu, ceux qui remettent en question la philosophie d’Aimé Césaire, chantre de la stratégie des pas à gagner et à conserver, de l’histoire à construire, de la responsabilité à adosser à la liberté et à l’égalité pour que germe la dignité, portent en eux la mort des enseignements qui nous ont été légués.

Sachant que la République ignore la qualité de peuple des Martiniquais, les efforts à fournir sur soi-même doivent être décuplés, car il y a un pays à construire, des activités économiques et des emplois à faire émerger d’initiatives individuelles et collectives, une autre forme de gouvernance et des rapports nouveaux à établir avec l’Etat.

La démarche vers la responsabilité n’a de sens que si le Martiniquais considère que sa communauté constitue un peuple, doté d’une identité, d’intérêts propres et d’une aspiration à la dignité, à la pérennité de son identité et à la cohésion. Cette condition ne s’impose en effet qu’à ceux qui croient au territoire, au patrimoine commun, aux grandes luttes émancipatrices, à la vocation de s’inscrire pleinement dans le milieu géographique caribéen et au sentiment actif d’appartenir à une même communauté.

Ceux qui n’adhèrent pas à ces revendications formulées par la rue, en la forme explicite ou implicite, dans ses propos ou dans ses actes, ignorent alors toutes les problématiques qui en découlent et ne retiennent que celles du quotidien attachées aux compétences conférées actuellement aux collectivités territoriales. Les problématiques ne sont pas toutes du même rang, il y en a qui relèvent de la gestion des dossiers du quotidien et celles qui n’existent qu’en raison de la reconnaissance du peuple martiniquais et de ses intérêts à défendre.

Les premières peuvent se résoudre facilement par les institutions d’aujourd’hui et les politiques municipales, départementales ou régionales témoignent d’une hardiesse certaine qui peut se mesurer à l’aune des équipements et services publics qui fleurissent, nonobstant l’étroitesse des budgets, la complexité des procédures et le non respect de la chose publique par certains citoyens. En clair, les politiques locales n’ont rien à envier à celles des collectivités publiques d’autres lieux, et les statistiques des organismes de l’Etat chargés d’en rendre compte, le soulignent manifestement. L’unique reproche qu’il convient de faire doit relever du choix quasi exclusif d’équiper en infrastructures, aux dépens du financement direct de l’activité économique. La Martinique, issue du transfert effectif des compétences et des moyens de la deuxième moitié des années 1980, s’est métamorphosée en un peu plus de vingt ans.

Les élus, quelle que soit leur couleur politique, ont aménagé les littoraux des villes, rebâti et équipé le parc de collèges et de lycées, canalisé les eaux vers les égouts et les stations d’épuration, rénové les routes communales, départementales et régionales, développé les équipements culturels, sociaux et scientifiques, participé à la construction de près de dix mille logements HLM, aidé à la modernisation de tous les hôpitaux, éliminé des quartiers insalubres, construit des appontements autour de l’île, développé un site propre qui accueillera bientôt un tramway, multiplié les grands rendez-vous fédérateurs dans les domaines de la culture et du sport. Les Martiniquais qui reviennent au pays en sont les meilleurs témoins car ils disent ce qu’ils voient.

Hors cette sphère des compétences locales relevant des institutions actuelles, il existe cependant des problématiques strictement liées et fondées sur l’acceptation du peuple martiniquais. Le régime de l’identité les ignore, celui de la spécialité permet de faire un premier pas vers cette responsabilité tant indispensable à la dignité.

A ce titre, l’histoire semble rattraper ceux et celles qui en 1946 ont préféré assurer les conditions de l’égalité, tout en sachant que le régime de l’applicabilité de plein droit des lois et règlements de la France, portait en germe la négation du peuple en tant qu’entité agissante. Aimé CESAIRE, rapporteur de la loi du 19 mars 1946 savait qu’il s’agissait d’aller à l’assimilation, au droit commun, au régime juridique de l’identité législative. Il a opté pour la satisfaction des immenses besoins que son peuple lui lançait à la figure et pour cause, la colonisation niait le colonisé en le plaçant hors l’espace de l’entière citoyenneté dans laquelle existent les droits et les devoirs. Le résultat s’observait, en cases livrées au vent et aux inondations, en vêtements fabriqués de toile de sacs enfilés à la hâte, en régime alimentaire vecteur d’avitaminoses de tous genres (rougeurs des yeux, gerçures aux lèvres, champignons sous les coudes, « envies »…), et en une misère noire dans les champs de cannes où l’exploitation des usiniers ignorait les droits de l’homme, à la retraite, à une couverture sociale, à la protection contre les accidents du travail, au respect des horaires et à un salaire décent.

A. CESAIRE a délibérément choisi les droits fondamentaux et les hommes, se réservant pour plus tard le combat pour le peuple. Nous y sommes. Nous y sommes car se côtoient aujourd’hui la Mercédès et le chômeur, la villa et le sans domicile fixe, les cours de danse classique et la délinquance des coins de rue, les anniversaires fêtés au champagne et les fouilles dans les poubelles, l’inactivité de Martiniquais et la multiplication d’activités pour d’autres, les astronomiques profits bancaires et le refus du financement des entreprises martiniquaises, les transnationales accaparant les marchés publics et les entrepreneurs en faillite, les hypermarchés et les vendeurs des bas-côtés des routes, les cadres venus d’ailleurs et les subalternes indigènes, les lotissements flambant neufs et les prix du foncier hors de portée des jeunes couples.

Bref ! Rappelons-nous que le peuple n’a d’existence que dans la dignité et que celle-ci dépend certes de la liberté et de l’égalité mais également de la responsabilité. Soyons convaincus que la responsabilité c’est avant tout la création d’activités, pour l’emploi et la manifestation de la créativité, dans des conditions juridiques, économiques, sociales et culturelles qu’il convient de conquérir.

Pierre SUEDILE
Secrétaire général adjoint du RDM

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages