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Rencontre avec une reine créole

lemonde.fr
Rencontre avec une reine créole

L'héroïne de ce nouveau livre détonne dans la galerie des personnages qui peuplent la " Comédie créole " de Raphaël Confiant. Commencé il y a un quart de siècle, ce projet littéraire, qui consiste à traduire de manière romanesque la trajectoire historique du peuple martiniquais, depuis l'abolition de l'esclavage, en 1848, jusqu'à nos jours, a toujours accordé une large place à l'expérience collective. De l'émigration des travailleurs d'Inde du Sud, au milieu du XIXe siècle, dans La Panse du chacal (Mercure de France, 2004), aux Martiniquais partis se battre pour la France dans les tranchées (Le Bataillon créole, Mercure de France, 2013), ces romans sont nourris de l'histoire officielle et de la mémoire populaire.

Mais cette fois, c'est une " individualiste forcenée, sûre d'elle-même et de son destin ", qui fait son entrée dans la Comédie créole. Une Martiniquaise émigrée aux Etats-Unis pour devenir la reine de la loterie clandestine dans le Harlem des années 1920-1940. Et ce n'est ni dans les archives locales, ni en suivant ses traces dans la cour Fruit à pain, quartier de Fort-de-France où elle est née, que Raphaël Confiant a découvert le parcours hors norme de Stéphanie St-Clair (1886-1969).

Cette rencontre tient au plus grand des hasards. Au commencement, il y a un courriel envoyé en septembre 2012 par un ami journaliste à l'écrivain, renvoyant vers un article américain évoquant la figure de cette femme gangster. " L'article avait l'air tout ce qu'il y a de plus sérieux, explique au " Monde des livres " Raphaël Confiant, mais j'ai cru qu'il s'agissait d'un faux " : ce destin lui paraissait " invraisemblable ". Peu de temps après, la véracité de cette histoire lui est confirmée lorsqu'il voit le film Hoodlum, réalisé en 1997 par Bill Duke, dont Stéphanie St-Clair est l'un des personnages, interprété par Cicely Tyson. Stupéfait, l'écrivain fait des recherches et découvre que cette femme a affronté le Syndicat du crime. Son nom figure dans les dictionnaires de la Mafia aux côtés de ceux d'Al Capone, Lucky Luciano ou Meyer Lansky.
Voici Raphaël Confiant ferré, passionné par cette histoire qui soulève de si nombreuses questions : " Comment une jeune Martiniquaise de 26 ans, d'extraction populaire, une Négresse sans le sou et à peine éduquée décide-t-elle de quitter son île au début du XXe siècle, de se rendre en France où elle demeure un an avant d'immigrer aux Etats-Unis, pays où elle vivra toute sa vie, sans parler un traître mot d'anglais ?, s'interroge-t-il. Comment estelle parvenue à damer le pion aux diverses mafias irlandaise, italienne, juive et noire qui voulaient s'emparer du juteux business de la loterie clandestine de Harlem ? " Entrée comme par effraction dans la vie de Raphaël Confiant, la " Lady Gangster " va l'habiter pendant deux ans et demi.

En Martinique, l'écrivain part en quête de descendants de Stéphanie St-Clair. Il cherche parmi les Sainte-Claire, son vrai nom, anglicisé à son arrivée aux Etats-Unis. Personne ne se souvient d'une grand-tante devenue chef de la mafia de Harlem. Stéphanie St-Clair a tout fait pour qu'on perde sa trace, coupant les ponts avec les siens. Ce qui ne l'a pas empêchée de s'épancher dans une abondante correspondance adressée à la presse, à la justice et à la police.

Elle a même tenu une chronique dans The New York Amsterdam News, journal noir américain fondé en 1909, qui, dans les années 1940, tirait à 100 000 exemplaires. Stéphanie St-Clair y pestait contre la police qui la harcelait et arrêtait sans cesse ses hommes de main, mais elle " développait aussi un discours précurseur de celui des droits civiques, qui n'apparaîtra qu'au milieu du XXe siècle ", précise Raphaël Confiant. Si l'écrivain trouve dans ces écrits un précieux matériau pour comprendre la psychologie de " Queenie ", son surnom à Manhattan, de grandes zones d'ombre restent à combler. Qu'importe, l'écrivain s'intéresse plus " aux rêves, aux espoirs et aux déceptions des gens qu'à la reconstruction d'une époque au détail près ", explique-t-il.

Ainsi, Confiant ne décrit pas New York, où il n'est jamais allé, ni la naissance du jazz ou la Prohibition, déjà magnifiées par la littérature et le cinéma, mais il imagine les relations que son héroïne entretenait avec les mondes dans lesquels elle s'est faufilée. " Stéphanie St-Clair a été une militante de la créolité presque un siècle avant que Patrick Chamoiseau, Jean Barnabé et moi-même ne -définissions ce mouvement littéraire, affirme-t-il. Elle joue avec toutes les identités : martiniquaise, française, noire, femme, gangster, mariée au premier Black Muslim des Etats-Unis. Elle n'a jamais cherché à être une Noire américaine, ni à se fondre dans Harlem. C'est cela sa force ! C'est ce qui explique qu'elle a pu passer à travers les mailles du filet dans un monde où les différends se réglaient à coups de pistolet. "

On comprend pourquoi Raphaël Confiant a eu le coup de foudre pour cette femme énigmatique. Son prochain roman traitera de la participation des Martiniquais à la guerre du Mexique menée par Napoléon III (1862-1867). Avec Madame St-Clair, l'écrivain a fait un pas de côté, dessinant le portrait d'une Martiniquaise à la trajectoire unique. Mais l'histoire d'un peuple est aussi faite de ces étoiles filantes.
Gladys Marivat

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