Accueil
Aimé CESAIRE
Frantz FANON
Paulette NARDAL
René MENIL
Edouard GLISSANT
Suzanne CESAIRE
Jean BERNABE
Guy CABORT MASSON
Vincent PLACOLY
Derek WALCOTT
Price MARS
Jacques ROUMAIN
Guy TIROLIEN
Jacques-Stephen ALEXIS
Sonny RUPAIRE
Georges GRATIANT
Marie VIEUX-CHAUVET
Léon-Gontran DAMAS
Firmin ANTENOR
Edouard Jacques MAUNICK
Saint-John PERSE
Maximilien LAROCHE
Aude-Emmanuelle HOAREAU
Georges MAUVOIS
Marcel MANVILLE
Daniel HONORE
Alain ANSELIN
Jacques COURSIL

Résister ? Oui mais il nous faut surtout exister !

Steve Gadet
Résister ? Oui mais il nous faut surtout exister !

 Voici le symbole de la présence des gendarmes chez nous en Juillet 2020. La violence, l’uniforme et la loi d’un côté. Nos corps, nos voix et nos consciences de l’autre.

 Qu’on m’accuse de partialité, j’accepte. Cette photo, je l’ai prise malgré moi. Hier, j’appuyais de manière aléatoire sur le déclencheur de mon téléphone pour immortaliser notre mobilisation et le gaz est arrivé en plein visage de notre sœur Alexanne juste au moment d’une prise d’image. Comme bien d’autres avant, elle a morflé mais s’est relevée. 

 

J’ai grandi en Guadeloupe, l’endroit où on les appelle “Babylone”. En créole, la génération de mon feu père les appelle “Manblo”. Depuis tout petit, instinctivement, les gendarmes aux Antilles ne m’inspirent pas confiance. En découvrant mon histoire, j’ai compris pourquoi. A chaque fois que nos gens ont eu à se mettre debout pour résister à l’oppression, ils se sont retrouvés face à eux. La question raciale s’est systématiquement invitée dans la confrontation, les militant.e.s se retrouvant très souvent face à des personnes blanches qui ignoraient, méprisaient leur culture et leur histoire, face aux représentants et aux gardiens du système de domination. Cette confrontation est au coeur de la construction et du malaise de nos pays. La violence y a souvent été convoquée. La présence des gendarmes en Guadeloupe et en Martinique est rouge, une présence pleine de sang, une présence couverte de beaux uniformes mais sale dans ses actes, une présence qui sème la violence sans JAMAIS avoir eu à répondre de ses crimes. 

 

Il y a cinq semaines, le monde entier, y compris nous, avait les yeux rivés sur les Noirs aux Etats-Unis. Nombreux sont ceux qui ont défilé, se sont mis à genou pour dire non à la mort du frère George. On aime beaucoup la révolution des autres mais quand la contestation se lève chez nous pour les mêmes injustices, trop de gens sont tièdes dans le meilleur des cas, fatalistes dans d’autres ou pire, méprisants vis-à-vis de ceux qui se mobilisent. On verse des larmes pour les Noirs américains. On parsème des hashtag sur les réseaux. On change nos photos de profil pour dire #BlackLivesMatter. On organise des marches de soutien. Les grands médias français font des unes. Mais oui, on le sait depuis longtemps : la protestation des Noirs aux Etats-Unis est tellement plus sexy que la nôtre, Noirs aux Antilles ou Noirs de France. 

 

Aujourd’hui, j’en ai marre ! Ici aussi les gendarmes sèment du racisme en veux-tu en voilà ! Des individus débarquent sur nos terres pendant quelques mois ou quelques années et bénéficient d’un statut privilégié. Ces néo-colons nous insultent, balancent des coups de pied dans l’instrument de nos luttes, le tambour. Les forces du désordre nous crachent à la figure et on doit rentrer chez nous et la fermer ?! Jusqu’où ces dérives devront aller avant que nos rues, que le boulevard Général de Gaulle soient noires de monde ? ? A quel moment leur dira t-on “STOP” tous ensemble ?

 

Je le répète, l’histoire de la présence des gendarmes français chez nous est une histoire pleine de sang. Ces gens tuent, tirent à balles réelles, battent, frappent, gazent, arrêtent, mentent sans JAMAIS être inquiétés, sans qu’ils soient questionnés, mis en examen, jugés ou arrêtés. Comment ne pas penser que l’appareil judiciaire en place est de leur côté ? Comment ne pas arriver à la conclusion qu’il nous faut un autre système ? Ils ont semé la terreur durant des années. Ils ont été couverts par leur hiérarchie de l’époque. Leurs méfaits sont consignés dans des rapports qui sont exhumés de temps en temps par des historiens. Lorsque cette violence est autopsiée, auscultée, le sang a déjà séché, les blessures physiques ont cicatrisées, les victimes sont mortes, les témoins aussi… Aucun.e Guadeloupéen.ne, aucun.e Martiniquais.e bien conscient.e de son histoire n’a oublié les coups de feu dans les rues de Pointe-à-Pitre en Mai 67. Personne n’a oublié les meurtres impunis d’Ilmany et Marie-Louise en février 74 à Chalvet. Personne n’a oublié les émeutes de décembre 1959 marquant la fin des jours de trois jeunes Martiniquais. Personne n’a oublié le massacre de la Saint-Valentin au Moule en février 1952 : 14 blessés. 4 guadeloupéens tuées par des CRS. Assassinés par les gendarmes français couverts par une série de personnes pour soi-disant ne pas créer le chaos au pays. Qui a été inquiété ? 

 

En revanche, la liste des procès des Guadeloupéens et des Martiniquais est longue comme un jour sans pain, mais comme disait Eugène Mona, leurs corps a servi de fumier pour que des jeunes comme Keziah, comme Denzel, comme Jay Asani, comme Alexanne, comme Dalsim grandissent plein.e.s de hardiesse malgré la domination politique et économique. Trois forces nous arrachent les boyaux au pays : Le pouvoir économique et l’influence de la caste béké, le silence et l’influence de certaines institutions religieuses, et l’incohérence de certaines institutions au pays. 

 

Le sang de Keziah, c’est le sang de son père et de sa mère, c’est celui de ses grand-parents et de ses arrières-grands-parents. Ce sang, même si vous l’avez “nettoyé”, il est là et demande JUSTICE. A l’heure où j’écris, ce sang coule encore dans ses veines remplies de vie et de soif de dignité. Martin Luther King disait que l’Univers se penche toujours du côté de la justice donc aucune miette d’injustice ne sera laissée par terre. Vous paierez toutes les factures jusqu’au dernier centime. Les criminels qui ont violenté Keziah, Alexanne et tous les autres doivent rendre des comptes et être punis à la hauteur de ce qu’ils ont fait ! Pour ma part, le fatalisme est mort. La résignation aussi est décédée. Il n’y aura plus jamais d’acceptation de ces saletés. Manman é papa, si timoun a zòt ka goumé pou péyi-la, lésé yo goumé paskè levé tèt pa fasil men a ki biten sa ka sèvi dè viv tromatizé san di ayen adan on sistèm ki ka piléw tou lé jou ? 

 

Je ne demanderai pas de retour au calme. On en marre de tout ce vomi d’injustice, de racisme, d’ignorance et d’arrogance. Donc non, je n’appelle pas au calme. Comme André Aliker, je demande JUSTICE sans me faire d’illusion sur leurs tribunaux ! Faites reculer l’injustice, la corruption, et vous aurez le calme que vous souhaitez tant. Pas de justice, pas de paix. La violence que vous avez dans les rues du pays est le fruit d’une violence institutionnelle réelle. Réelle parce qu’elle nous fait mal dans nos corps, dans nos têtes et dans nos coeurs. Elle passe à travers le cordon ombilical de nos mères. 

 

Je veux applaudir le courage des femmes, de nos soeurs qui sont présentes systématiquement devant les barrières, devant les magasins des profiteurs, dans la rue, celles qui nous informent sur les réseaux sociaux d’une manière ou d’une autre. Elles sont sur le chantier du pays depuis nanni nannan. Je les revois en 1870 avec Madeleine Clem. Je les revois avec Solitude. Je les revois avec Jane Lero. Leurs descendantes continuent d’être animées du même esprit en 2020 dans le pays Martinique et dans le pays Guadeloupe. A leur époque, elles n’étaient pas forcément populaires parce qu’elles étaient à contre-courant mais on sait déjà comment ça marche dans notre pays : vous ne devenez quelqu’un.e qu’à votre mort. Seulement, nous sommes beaucoup à ne pas attendre leur décès pour reconnaître leur force et leur dévouement pour le pays. Dèpi fanm doubout é lib, péyi la ké rété doubout ! Woulo bravo !

 

Quant à ceux et celles qui ne seront pas d’accord avec tout ce que j’ai écrit, c’est votre droit mais si je devais me soucier de vous à chaque fois, je ne prendrais presque jamais la parole. Fè ta zòt, an ké fè tan mwen. Dans mon logiciel, contestation va avec construction. Je ne veux pas passer ma vie à me battre seulement contre... toujours contre… C’est un piège. Je veux aussi me battre pour un projet politique. Celui que je soutiens est en faveur d'une prise en main de notre cuisine économique, notre cuisine fiscale, notre cuisine juridique, de notre Zone Economique Exclusive, de nos contenus scolaires, etc. Comme la langue est piégée, je ne mettrai pas de nom dessus. Je refuse d’agiter le fanion de la mobilisation sans perspective politique, sans alternative. Nous ne devons pas seulement résister. Nous devons surtout exister…

 

Ne les laissons pas nous enfermer. Ce n’est pas qu’un problème Martiniquais. C’est aussi un combat Guadeloupéen. C’est un combat Guyanais, un combat Réunionnais, Haïtien, pour plus de maitrise de notre destin, de respect de nos terres et de nos gens. C’est un combat contre une présence et des pratiques violentes dans notre pays. Nous ne les acceptons plus. C’est un combat pour l’humanité des femmes, des hommes et des enfants de nos pays paskè nou sav kè nou sé moun

-- 
  Steve Gadet alias Fola
  Enseignant-Chercheur en civilisation américaine
  Université des Antilles, Campus de Schoelcher
  Fondateur de l'association Faire Une Différence et de Café Noir Editions.

 

Image: 

Connexion utilisateur

CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain afin d'éviter les soumissions automatisées spam.

Pages