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Judes DURANTY

"SANSANN ET LE MAL DIGLOSSIQUE"

"SANSANN ET LE MAL DIGLOSSIQUE"

Livre après livre, Jude Duranty s’affirme comme un auteur créolophone de grand talent, non plus un simple « marqueur de paroles » mais un jongleur de mots. C’et que l’humour, par le biais du jeu de langue, fait partie intégrante de la manière d’écrire de notre auteur. Et dans son dernier texte, « SANSANN », le narrateur se voit diagnostiquer un « mal diglosik » par le psychologue qu’il va consulter, ce qu’il transpose immédiatement en « mal di gro sik ». De fait, c’est la langue ou plutôt le conflit des langues entre créole et français qui est l’objet même du texte. Ainsi, il nous est conté, à travers de courtes saynètes, la vie d’un certain Sansann, gamin à la tête dure qui refuse d’apprendre à lire et qui préfère la vraie vie des « razié » et des mornes. A son époque, pas question d’école maternelle. Il est donc confié, comme d’autres enfants du peuple, à Bònsè (Bonne sœur) laquelle « té konnet titak fransé » (qui connaissait un peu de français). Sur trois longues pages, J. Duranty va nous donner à lire, pour la première fois, me semble-t-il, du « français-banane » en graphie…créole. Jusqu’à ce jour, cette variété de langue était toujours transcrite par les différents auteurs en orthographe française. Ainsi le succulent « Aurélien a paré le saut », ouvrage entièrement écrit en français-banane par le Guadeloupéen Germain William, et forcément incompréhensible, dès son titre, par un non-créolophone et même par un non-guadeloupéanophone.

Or, J. Duranty préfère écrire :

« Lé zanfan, nou zalon aprann a liw ! Sé dan lé liv kè vou zalé trouvé dé solision pou sowtiw dan vot lanmizè blé, épi sèlui de vot générasion… »

Il ne s’agit pas là d’une simple coquetterie car ce français-banane est inséré dans un texte créole tout ce qu’il y a de plus créole, de plus « natif-natal » ou « fondal-natal ». J. Duranty fait, en effet, partie de cette nouvelle génération d’auteurs créolophones qui, à l’instar d’un Jean-Marc Rosier, a compris que l’on ne saurait, se contenter du parler de tous les jours et que l’une des tâches principales de qui se lance dans cette aventure, est de s’enfoncer dans les « bway » (entrailles) de la langue pour en faire jaillir les mots oubliés, les mots devenus rares ou encore pour inventer des néologismes. Si donc le français-banane placé dans un texte français prête à sourire, s’il fait grotesque, placé par contre dans un texte créole, il fait plus pathétique, il donne toute la mesure de l’effort désespéré que faisaient nos grands-parents pour s’approprier la langue de l’Autre à une époque où l’école était rare et où la radio et la télévision étaient encore peu répandus. Et si l’on en rit dans « Sansann », c’est davantage d’un rire jaune. Comme lorsque la LFB nous est présentée c’est-à-dire « Lakadémi Fransé Bannann »…

J. Duranty nous offrira donc des tranches de vie de son petit héros qui deviendra grand au fil des pages et qui se mettra à exercer le métier de bûcheron sur les hauteurs, encore bien boisées à l’époque, de Case-Navire. Dur à la tâche, expert en abattage et tronçonnage, notre héros parviendra vite à se débrouiller dans la vie, mais toujours en se tenant très à l’écart du monde français et de la langue française :

« Kalté langaj tala pa té ni asé kanman pou goj-li » (Ce genre de langage ne possédait pas suffisamment d’élégance pour sa gorge) nous précise le narrateur.

Et chez Sansann, cette créolophilie ne s’arrête pas à la langue, elle touche à tous les domaines de la réalité à commencer par le culinaire, grand amateur qu’il est de « makadanm », de « blaf » et de « donbré ». Au vestimentaire aussi lorsqu’il refuse de porter le panama à la mode pour s’entêter à conserver son « bakwa ». Bref, Sansann était ce que l’on désignait sous le vocable de « vié-neg », mal traduit généralement par « vieux nègre » puisqu’en créole, « vié », dans certains cas, ne fait aucunement référence à l’âge ou au temps, mais à la qualité ou à la manière d’être. Ainsi, unn « vié neg » peut être jeune dès l’instant où il préfère les mœurs créoles aux belles manières françaises.

Sansann est donc un survivant. Le dernier des Mohicans (ou des Caraïbes, si l’on préfère). Celui qui nous lance au visage :

« Pli ta pli tris ! » (Le pire est à venir)

Il est à souhaiter que le maximum de gens fassent l’effort de lire ce texte de Judes Duranty qui fait 53 pages. Exit l’argument du « C’est trop long ! » car l’auteur à le don, à petites touches discrètes, de nous ébranler dans nos certitudes quotidiennes et de nous rappeler que nous vivons avec des habits d’emprunts ce qu’Aimé Césaire qualifiait de « vie menteusement souriante ».

Une seule remarque cependant : il est incroyable que J. Duranty ait été contraint de publier son texte à compte d’auteur comme je le faisais il y a…30 ans. Et là, je ne jette pas la pierre aux éditeurs locaux : Ibis Rouge, les éditions Lafontaine, les éditions Jasor ou encore Caraïbéditions font d’énormes efforts pour promouvoir la littérature en langue créole. Mais leurs moyens ne sont pas illimités…Ce qu’il faudrait, c’est que soit créé par nos collectivités, comme aux Seychelles ou à la Réunion, un « Office de la Langue Créole » ou un « Institut Créole » dont l’une des fonctions serait de participer au financement des textes écrits en créole.

On peut toujours rêver…

{{Raphaël Confiant}}


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