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LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT SARKOZY

SUR L'ECHANGE HUMANITAIRE DE PRISONNIERS POLITIQUES EN COLOMBIE ET AUX ETATS-UNIS

par James Petras
SUR L'ECHANGE HUMANITAIRE DE PRISONNIERS POLITIQUES EN COLOMBIE ET AUX ETATS-UNIS

J'ai lu avec grand intérêt la lettre que vous avez écrite à Manuel Marulanda, le dirigeant des FARC. Je partage avec vous cet élan humanitaire pour mettre fin à l'emprisonnement des prisonniers politiques en Colombie. Cependant, soyons clairs sur les principes et soyons réalistes à ce sujet : La liberté des prisonniers politiques détenus par les FARC dépend d'une contrepartie : la libération des combattants de la résistance des FARC, emprisonnés dans les geoles de l'Etat colombien.

Votre intervention spectaculaire et hautement médiatisée a concentré l’attention de l'opinion publique mondiale sur les prisonniers détenus par les FARC, mais vous avez omis de mentionner la situation désespérée des prisonniers politiques détenus par le gouvernement colombien, lesquels sont torturés et brutalisés par un Président dont les nombreux et très proches associés au Congrès attendent leur procès pour leurs liens de longue date avec les escadrons de la mort paramilitaires et avec les narcotrafiquants.

Repartons de zéro, Monsieur le Président. Si vous voulez être un médiateur honnête ou un dirigeant humanitaire important, vous devez agir avec impartialité et dans un esprit de réciprocité. Jusqu'à présent, vous avez agi de façon partiale, ce qui n'est pas favorable à une résolution positive d'échange de prisonniers. Dans vos courts appels, hautement médiatisés, vous n'avez pas agi de bonne foi ni avec équité.

Par exemple, début décembre, vous avez appelé 'solennellement' les FARC (spécifiquement leur Secrétaire, Manuel Marulanda) à libérer unilatéralement leurs prisonniers, dont Ingrid Betancourt, sans aucun appel parallèle au Président Uribe de libérer ses prisonniers et ceux détenus aux Etats-Unis. Votre appel ressemble plus à un coup de pub sans substance de 'solennité' théâtrale. Pensez-vous que le dirigeant légendaire, le plus astucieux de la guérilla latino-américaine, puisse être intimidé par votre rhétorique plaçant la responsabilité de la vie d'Ingrid Betancourt sur les épaules de Marulanda ? Votre moralité coloniale duale n'a convaincu personne et n'a certainement pas fait avancer le processus des négociations. Votre posture éthique a peut-être régalé, à Paris, quelques anciens maoïstes quinquagénaires devenus des philosophes à la petite semaine, mais elle n'a aucune place pour traiter avec des révolutionnaires sérieux et compétents.

Permettez-moi de vous suggérer, puisque vous avez formé une telle relation charnelle avec votre 'bon ami' le Président Bush, que vous retourniez vos charmes sur lui et que vous lui disiez de renvoyer en Colombie les deux dirigeants FARC qu'il détient, en échange des trois agents contre-insurrection, prisonniers dans une geôle des FARC et comme partie d'un échange global de prisonniers. La réciprocité, Monsieur, est le sine qua non de toute négociation entre partenaires égaux.

Deuxièmement : vous avez formulé publiquement votre désaccord sur les 'méthodes' et les 'objectifs' des FARC, mais vous n’avez rien dit des méthodes d'Uribe. Ce n'est certainement pas une façon de commencer des négociations. Cela donne l'apparence qu'Uribe est un homme politique démocrate, ce qui est à l'opposé de tous les rapports des Nations-Unies, de la Colombie, de l'Organisation des Etats Américains, de l'Organisation Internationale du Travail, des Droits de l'Homme, qui montrent, documents à l'appui, que la Colombie est l'endroit le plus dangereux du monde pour les journalistes, les syndicalistes, les avocats des droits de l'homme et les leaders paysans, à cause du terrorisme soutenu par l'Etat. Il est audacieux de votre part, Monsieur le Président, de mettre en doute les qualifications morales des FARC alors que vous-même et votre Ministre des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner, avez donné à l'Etat d'Israël votre soutien sans condition malgré le fait qu'ils détient plus de 10.000 prisonniers politiques dont la plupart ont été brutalement torturés et dont beaucoup n'ont jamais été mis officiellement en accusation ou jugés. Un régime comme le vôtre, dont les ministres des affaires étrangères donnent leur aval à l'étranglement économique de tout le peuple de Gaza (en coupant la nourriture, les médicaments, l'eau et l'électricité) et au bain de sang étasunien en Irak, n'a aucune autorité morale pour donner des leçons sur les 'méthodes' et les 'objectifs'.

Monsieur le Président, je m'en tiendrai à ce sujet : Les FARC ne détiennent pas 10.000 prisonniers politiques, à l'instar de votre allié, l'Etat juif ; il n'envahit pas non plus, ni ne colonise des pays indépendants comme le fait votre 'bon ami', le Président Bush.

Maintenant que j'ai levé le voile sur l'hypocrisie gauloise, tournons-nous vers quelques-unes des vraies questions dont dépend l'ouverture des négociations.

Le lieu des négociations.

L'insistance des FARC sur un lieu spécifique n'est pas un choix de feuillage ou de faune, mais une garantie de leur sécurité face aux nombreux accords que le régime d'Uribe a rompus. Monsieur Sarkozy, votre insistance, oui, votre exigence, pour une 'preuve photographique' montrant qu'Ingrid Betancourt est en vie a conduit au tout dernier exemple qu'Uribe n'est pas digne de la moindre confiance : Les émissaires qui transportaient ces 'preuves' vers vous, par l'intermédiaire du Venezuela, ont été arrêtés et emprisonnés, violant ainsi ouvertement l'entente implicite de sauf-conduit entre vous-même, le Président Uribe et le Président Chavez.

Entre 1984 et 1990, les FARC ont réussi à se mettre d'accord avec les Présidents Betancourt et Gaviria pour donner une chance au processus électoral. Un grand nombre d'anciens membres des FARC ont formé l' «Union Patriotique », (UP), avec d'autres personnalités progressistes et des groupes de gauche. Au cours des 5 années suivantes, plus de 5.500 membres de l'UP ont été assassinés, dont deux candidats à la présidence, détruisant ces méthodes électorales si chères à votre cœur.

Monsieur le Président Sarkozy, je soumets ces événements à votre attention au cas où vos conseillers auraient omis de vous informer sur les dangers et les écueils auxquels est confrontée toute négociation des FARC avec le gouvernement colombien.

En outre, l'insistance des FARC pour un lieu de négociation est destinée à protéger ses dirigeants et ses négociateurs de toute manœuvre soudaine d'Uribe pour rompre les négociations et capturer ou tuer les dirigeants des FARC.

Vous devriez avoir conscience qu'Uribe a joint à son appel pour une zone démilitarisée réduite une récompense de 100 millions des dollars pour les membres des FARC qui assassineraient leurs dirigeants ou qui les livreraient à l'armée colombienne.

L'imposition unilatérale de conditions par Uribe

Monsieur le Président Sarkozy, comme vous le savez parfaitement, pour entrer dans toute négociation, un camp ne peut pas imposer unilatéralement et arbitrairement des conditions qui nuisent au camp opposé comme Uribe l'a fait. Le Président 'paramilitaire' a non seulement décidé de la localisation, mais aussi de la longueur et de la largeur de la zone démilitarisée, du temps limité imparti pour un règlement, de l'attitude ultérieure des combattants de la résistance libérés et d'une visite de la Croix-Rouge à la prison clandestine des FARC, tout en insistant sur la caractérisation diffamatoire de ses partenaires de négociation.

La taille réduite de la région démilitarisée (de même que son choix sur le temps imparti) soulève une suspicion profonde sur les motivations du gouvernement [colombien]. Une zone démilitarisée plus petite rend plus facile pour le régime d'Uribe d'envahir et de capturer les négociateurs des FARC. Une zone démilitarisée plus grande n'affecte pas les questions d'importance qui doivent être négociées ; elle faciliterait les négociations en accroissant la sécurité des négociateurs.

Ensuite, les négociations ne peuvent pas être arbitrairement décidées au cours d'un seul mois, alors qu'il y a de nombreuses questions de grande complexité qui ont besoin d'être résolues : Tout d'abord, l'inclusion des deux dirigeants FARC emprisonnés aux Etats-Unis, grâce à leur transfert arbitraire sur ordre d’Uribe.

Aucun moyen au monde ne pourra obliger les FARC à accepter qu’une délégation de la Croix-Rouge puisse rencontrer les prisonniers politiques qu'ils détiennent, car cela permettrait aux conseillers étasuniens d'Uribe qui disposent d'une haute technologie de détecter et d’attaquer le campement des FARC. L'obsession maladive d'Uribe d'annihiler physiquement les FARC, comme le montre sa dernière colère, devrait plaider pour qu'il renonce à son exigence d'une assistance humanitaire de la Croix-Rouge.

Il est inutile de dire que la demande d'Uribe à ce que l'Eglise 'impartiale' assiste aux négociations est une blague de mauvais goût : L'Eglise a été l'apologiste sans réserve d'Uribe, de son organisation politique et de ses Sénateurs et Députés, membres des escadrons de la mort aujourd’hui en prison (trente en tout). Il y a plusieurs groupes colombiens de défense des Droits de l'Homme, internationalement reconnus pour leur courage et leur impartialité, y compris 'Justice et Paix' et 'Reiciniar', qui peuvent mieux servir comme intermédiaires.

Monsieur le Président Sarkozy, malgré vos limites et votre posture morale prévisible, vous avez réussi à révéler la politique dangereuse d'Uribe qui ne marche pas, consistant à 'libérer' par la force les prisonniers détenus pas les FARC. Vous avez, au moyen de promesses et de menaces, amené Uribe à accepter partiellement l'exigence raisonnable des FARC d'une zone démilitarisée pour les négociations. Cependant, les concessions apportées par Uribe sont insaisissables : ce qu'il donne d'une main, il le reprend de l'autre ; il multiplie les conditions inacceptables, précisément pour saper les négociations. Parce que c'est dans les détails que le processus avancera.

A présent, voici le danger, Monsieur le Président. Votre geste d'ouverture et, mieux même : la pression que vous avez exercée en demandant de sécuriser une zone pour les négociations vous a gagné le soutien d'un grand nombre de citoyens français profondément engagés en faveur de la libération de leur compatriote, Ingrid. Je ne vous le reprocherai pas ; vous vous êtes intéressé, vous avez parlé, vous avez agi, mais vous n'avez pas encore réussi.

Pour commencer ne serait-ce que les négociations, vous devez, une fois encore, convaincre Uribe d'être raisonnable (au moins à la face du reste du monde), d'oublier ses projets secrets, d'accéder à la demande d'une zone sûre et démilitarisée de dimensions adéquates et de donner aux négociateurs le temps approprié pour résoudre leurs divergences. Dans des circonstances normales, Monsieur le Président, vous devez admettre que ce sont des exigences raisonnables. Mais comme vous devez le savoir, Uribe n'est pas un négociateur de bonne foiet il n’est pas disposé à aboutir à un règlement équitable. Vous faites la Une des médias. Vous disposez d'un large soutien national et international. Vous disposez de toute la crédibilité politique (et du pouvoir) pour persuader, pour faire pression sur Uribe et l’amener à la table des négociations pour libérer Ingrid et les autres, de même que les 500 prisonniers FARC qui pourrissent dans les cachots tuberculeux de Colombie et des Etats-Unis.

La réussite ou l'échec se trouve désormais entre vos mains.

Vous avez assumé le devoir solennel de libérer Ingrid.

Espérons que vous serez fidèle à votre responsabilité.

Fraternellement,

James Petras

James Petras est Professeur Emérite de Sociologie à l’Université Binghamton de New-York. Il participe depuis 50 ans à la lutte des classes et il est conseiller juridique des Sans-terre au Brésil et en Argentine.

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]

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