Par cet aveu, tardif et attendu, Tariq Ramadan fait correspondre son image à celle d'un télévangéliste américain prônant un précepte religieux qu'il ne s'appliquait pas à lui-même. Ce qui attristera ou irritera chaque musulman qui oublie que l'homme et la femme sont avant tout des « pécheurs » qui « succombent [parfois ou souvent] aux tentations ». Mais cela fait-il de Tariq Ramadan un « violeur » ? C'est la question que la justice doit trancher et qui devrait en principe intéresser prioritairement les médias français.
Or, il est troublant de voir - dans un Hexagone qui a connu la bigamie et la double famille de François Mitterrand durant ses 14 ans d'exercice présidentiel - la plupart des médias français titrer sur les « 5 relations extra-conjuguales » avouées par Ramadan comme s'il s'agissait d'un « virage décisif » de l'enquête. C'était donc ça le sujet : le célèbre islamologue a trompé son épouse à plusieurs reprises ! Sous-entendu : il a menti - au moins par omission - et dissimulerait sûrement un sinon plusieurs viols...
En s'éloignant de ces additions stéréotypées, propres au café du commerce, ainsi que de l'idolâtrie/bigoterie déçues envers Tariq Ramadan, on peut d'abord constater une lenteur judiciaire suspecte, sinon voulue en tout cas entretenue.
Car rappelons-le, au compteur, il y a 3 magistrats (et pas 1) qui instruisent « le dossier Ramadan », il y a déjà 8 mois d'enquête judiciaire dont 4 de détention préventive pour l'accusé et, enfin, il y a 3 plaintes qui se révèlent toutes boiteuses (et largement décrédibilisées pour 2 d'entre-elles). Peu importe : le présumé coupable - judiciairement, politiquement et médiatiquement - demeure incarcéré...
Il y a ensuite cet acharnement médiatique qui n'a rien de journalistique dès le départ de «l'affaire» (1). Question d'actu : Ramadan est-il accusé de viols ou de tromper régulièrement sa femme ? La réponse est évidente, même pour le plus primaire des anti-Ramadan, mais l'est visiblement beaucoup moins pour la plupart des médias français.
Pourtant, a-t-on observé chez ces médias hexagonaux une volonté identique de jouer à « la police des moeurs » face, par exemples, aux affaires Frédéric Haziza et Eric Monier (la première, toujours en cours d'investigations judiciaires ; la seconde, classée sans suite pour « prescription ») ? D'aucuns rétorqueront qu'il s'agit, dans ces 2 cas, de plaintes pour « agression sexuelle » et non pour « viols » (2). Assurément. Mais cela explique-t-il l'absence de suivi et de questionnement médiatiques concernant ces autres cas supposés de violences faites aux femmes ? Le corporatisme comme une identification racialo-religieuse ne joueraient-ils aucun rôle dans cette absence d'intérêt médiatique pour les accusés Haziza et Monier ?
Dans une France où, du plus pertinent au plus débile des éditorialistes, on s'inquiète tous les 3 jours de « l'islamisation rampante du pays », de « l'instauration de la charia dans les territoires perdus de la République » et autres balivernes zemmouriennes, la fidélité conjugale serait devenue « une valeur républicaine » ? Difficile de ne pas éclater de rire.
On s'en abstiendra pourtant. Car, quel que soit l'angle d'observation, cette « affaire Ramadan » reste d'une extrême gravité. Et interroge nombre de citoyens comme plusieurs pays sur la capacité réelle de la France à rendre une justice impartiale lorsque l'accusé est étranger et musulman ?
Réécrivons-le : en raison de son état de santé préoccupant et du manque de crédibilité des trois plaintes françaises, Tariq Ramadan doit être libéré. Pour en finir avec ce deux poids deux mesures qui crève les yeux et rendre enfin un début de sérénité au futur procès judiciaire, censé faire éclater la vérité.
Une décision honorable qui reviendrait également à respecter ledit repère républicain, en totale perdition, qu'on appelle encore « la présomption d'innocence ». Malheureusement, on peut craindre qu'aucun éditorialiste de média traditionnel blanc ne le dise ou ne l'écrive. Par peur pour son avenir socioprofessionnel, par soumission politique, par mauvaise foi ou par haine islamophobe et arabophobe.
L'objectif rentable n'étant pas d'accompagner ou de défendre une justice impartiale ni la répression du viol et des violences faites aux femmes, mais de faire de Tariq Ramadan « un exemple »... des positions sociopolitiques à ne jamais défendre lorsqu'on est un citoyen non-blanc influent, intellectuellement brillant et de confession musulmane.
Olivier Mukuna Bruxelles, le 7 juin 2018