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La Fête de la Vache en Turquie

TRAVAIL DE MEMOIRE SUR LA TRAITE DES ESCLAVES AFRICAINS SOUS L’EMPIRE OTTOMAN

Nil Delahaye http://www.africananetwork.com/
TRAVAIL DE MEMOIRE SUR LA TRAITE DES ESCLAVES AFRICAINS SOUS L’EMPIRE OTTOMAN

Les études sur la traite des noirs sous l’Empire Ottoman sont tellement peu nombreuses qu’on ne sait toujours pas exactement combien d’êtres humains étaient capturés et vendus pour être faits esclaves, ni d’où ils venaient (le fait qu’ils soient regroupés et vendus depuis le Soudan n’éclaire en rien la question de leurs origines géographiques et culturelles), ni même qui sont les responsables, si ce n’est l’État en y participant et en autorisant ce trafic, qui sont ceux qui capturaient, vendaient, achetaient, revendaient et enfin réduisaient à la servitude ces personnes pour leur propre profit. 

Certains travaux d’une haute importance comme L’Esclavage en Terre d’Islam de Malek Chebel mais aussi et surtout The Ottoman Slave Trade and Its Suppression, 1840- 1890 et As If Silent and Absent : Bonds of Enslavement in the Islamic Middle East d’Ehud Toledano sont comme des pierres précieuses dans ce terrain déserté par la curiosité. Enfin, l’UNESCO tente désormais de soutenir la recherche sur l’Histoire de l’esclavage et de retrouver les traces de l’héritage africain éparpillé dans le monde. La raison en est cette amnésie propre au monde arabo-musulman et au pourtour de l’océan Indien.

Donc en Turquie, oui, il y a des Africains, et non, ça n’est malheureusement pas une surprise. Quelques rares études parlent de leur difficulté à trouver une place et affirmer une identité surtout après la période de construction de l’identité nationale et de l’invention du citoyen modèle. Les Africains sont peu à peu convaincus que leur origine n’a pas d’importance, que la couleur de leur peau est un hasard. Jusqu’au jour où en 2002, Mustafa Olpak, un ouvrier d’Ayvalık, petite ville de la côte Egéenne, décide de ne plus se taire, et de reconnaître, d’abord pour lui et ensuite pour les autres qu’effectivement, il est noir et Turc. Olpak décide donc en 2006 de monter une association de solidarité et d’entre-aide entre les Africains de Turquie pour aider chacun à sortir de l’ombre, à ne plus avoir honte de sa différence. Ainsi, entre autres projets de recherche et activités culturelles, la plus importante est l’annuelle Fête de la Vache.

Selon certaines sources, cette fête était propre aux Africains d’Izmir, selon d’autres, on la retrouve sous des noms différents dans toutes les grandes villes ottomanes. Celle qu’on raconte à Izmir est documentée par des articles de journaux et des romans réalistes de la fin de la période ottomane. Selon ces sources écrites par des blancs donc, une vache était achetée, puis décorée et promenée dans toute la ville, et finalement tuée en offrande pendant une cérémonie dansante et musicale. Cette fête annuelle était surtout un moyen pour les esclaves africains de se retrouver, d’échanger entre eux, de se donner des nouvelles sur les membres de leurs familles et peut-être aussi d’oublier un peu la misère. Personne ne sait aujourd’hui combien d’Africains étaient présents à Izmir puisque ceux-ci étaient recensés parmi la population musulmane et que les études ne parlent pour l’instant d’aucun nombre.

En 2012, il ne s’agit plus de sacrifier des animaux, mais assurément de se retrouver et de former un groupe uni et solidaire, après tant de temps et de drames. Un large pique-nique était organisé dans le parc du tout petit village de Çırpı mis à disposition par la mairie de Bayındır dans la localité d’Izmir. Tout le monde à pu se retrouver là, se reconnaître et se souvenir. Ensuite, le groupe de musique et de danse congolais One Love s’est emparé de la scène. Tout le monde a dansé dans un esprit de bal du village sur les rythmes africains que certains immigrés ont apporté dans leur voyage, que d’autres locaux tentent de réapprendre pour retrouver le mémoire.

Sur place, l’un des contributeurs de l’association, Cihan İletmiş me parle de la vision qu’il a de cette initiative dont il fait partie ; selon lui, il vaut mieux laisser la politique et les idéaux de côté, même parfois l’Histoire elle-même et juste se concentrer sur ce que cette association apporte de concret dans la vie de tous les jours des noirs de Turquie. Il pense que la fraternité qui peut naître de cette association est plus importante que tout le reste.

A Istanbul, d’autres voix ont pu se faire entendre. A l’occasion de la Fête de la Vache, la même association organisait un panel sur les africains de Turquie le 2 juin qui suivait. Durant sa courageuse intervention, la journaliste afro-turque Alev Karakartal parlait alors de certaines réalités qui échappent souvent aux Turcs. Victimes de racisme dès le plus jeune âge, laissés pour compte par le dénis de leur présence, marginalisés et appauvris, non éduqués, en majorité au chômage, dans des familles décomposées, la dure réalité de la vie des noirs de Turquie est selon Alev la première raison de leur silence. La journaliste affirme même que leurs parents avaient honte d’être esclaves et descendants d’esclaves dans un pays qui a oublié, qui ne répond pas à leurs questions. « On nous a volé notre langage, vous nous avez poussé à disparaître en se métissant » dit-elle en prenant les auditeurs à partie.

Quant à Mustafa Olpak, il nous a raconté l’une des indénombrables routes par lesquelles les Africains étaient déportés vers ce qui est aujourd’hui la Turquie. Lorsqu’un individu allait au pèlerinage, il ramenait de la Mecque un enfant noir comme preuve de son voyage, car beaucoup d’esclaves étaient déjà captifs dans cette région. Mustafa pense que c’est pour cette raison que les Turcs confondent « noir » et « arabe » dans la langue courante. Comme preuve, il dit que les registres de la localité de Torbalı près d’Izmir repertoriaient en 1904 une population mystérieusement originaire de la « Péninsule Arabique ». Olpak est bien conscient que leur présence est une embuche pour l’Histoire officielle de la nation mais il est bien décidé à continuer sa lutte et à crier son indignation. « Les Afro-turcs auront bientôt une chaise à la table du travail de mémoire de l’Etat », dit-il. « Grâce à la 6e Fête de la Vache qu’il a lui même organisée, une famille morcelée a pu retrouver les membres de sa famille après tant d’années, c’est l’une des raisons pour laquelle il faut continuer ce rassemblement ». Mais Olpak va plus loin, il compte faire de cette fête un festival culturel international. Grâce à lui, un jour les noirs de Turquie pourront être fiers de vouloir retrouver leurs racines. Une phrase touchante et bouleversante qu’il a prononcée : « ils nous ont tout pris, il ne nous reste plus que la couleur de notre peau ».

 

Nil Delahaye

Source : Turquie européenne.

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