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Trois romanciers israéliens : Sayed KASHUA , Orly CASTEL-BLOOM et Yossi SUCARY.

Marie-Noëlle RECOQUE-DESFONTAINES
                        Trois romanciers israéliens : Sayed KASHUA , Orly CASTEL-BLOOM et Yossi SUCARY.

Yossi SUCARY, dans « Emilia et le sel de la terre », s’inspire de la discrimination subie en Israël par les Juifs sépharades dominés par les Juifs ashkénazes. Sayed KASHUA, dans « Les arabes dansent aussi » brosse le portrait paradoxal d’un Arabe palestinien, citoyen israélien.  Les deux auteurs développent le thème d’une quête identitaire problématique. Quand à  Orly Castel-Bloom, elle illustre dans « Textile » les thèmes universels que sont Le sens de la vie, la peur du vieillissement, la mort ainsi qu’un certain désenchantement, voire une angoisse générée par la société dans laquelle elle vit. Les trois ouvrages sont traduits de l’hébreu.

 

 Les arabes dansent aussi  de Sayed KASHUA

                 

Le narrateur, sans doute l’alter ego de l’auteur, est né de parents arabes sur une terre palestinienne qu’un coup de force militaire en 1948, au mépris des décisions prises par l’ONU, a fait devenir israélienne. La famille entend bien ne jamais quitter un pays qui lui appartient. Pour le Papa : « Mieux vaut mourir que fuir ». Autrefois communiste, il a soutenu les Russes et aussi Nasser ; il n’a pas accepté que l’Egypte cesse de se battre en 1973. Lui-même a été en prison, soupçonné d’avoir fait sauter une cafétéria. Enfant, le narrateur passe son temps à jouer à la guerre contre les Juifs, et pour ce faire s’inspire notamment des films libyens, algériens ou des Rambos regardés en famille. Le regard de l’enfant reste candide puisque « Chabra et Chatila » lui semble être aussi un titre de film. A l’école, les maîtres arabes maltraitent et humilient les élèves avant, le soir, de cultiver leurs champs de fraises, d’orangers et de pistaches. Les coups pleuvent, les gifles cinglent. L’enseignement laisse à désirer, les jeunes ne savent pas ce que signifie être palestinien.

 

Le récit accorde une place importante aux démêlés entre Arabes et Juifs et par ailleurs, met en scène les controverses, les conflits familiaux ou de voisinage entre Palestiniens. Le style est fluide et l’humour, présent à chaque page, édulcore le tragique des situations. De nombreuses anecdotes rendent les personnages attachants, ne serait-ce que l’épisode du concours de devinettes télévisé qui tourne au combat pour l’honneur entre les familles amies devenues de farouches rivales. Le père du héros, méprisant, regarde avec hauteur ces « jeux idiots pour abrutis », jusqu’au moment où l’une des devinettes est proposée par le directeur d’école, un ancien camarade de classe jugé « nul ». Alors, il se jette dans la bagarre…

 

Adolescent, le narrateur très bon élève est sélectionné pour continuer ses études dans un lycée de Jérusalem, il y découvre le décalage culturel existant avec ses condisciples juifs qui ne lui épargnent aucune raillerie. Il en veut à son père de le contraindre à essuyer pareilles humiliations; ce dernier le trouve capon et lui commande de s’imposer dans toutes les situations en tant qu’Arabe. Pour les siens, il devrait, sans aucun doute,  être l’inventeur de la première bombe atomique arabe…

 

Mais le temps passe et accomplit son œuvre. Notre héros apprend l’hébreu, l’histoire d’Israël.  Les maîtres ne battent pas leurs élèves, les classes sont mixtes. Le jeune homme imite les jeunes juifs, écoutent la même musique, s’éprend d’une juive. Déception sentimentale (ostracisme oblige !), dépression, le bon élève ne passe pas ses examens. Déshonneur pour la famille. Devenu garde-malade dans un hôpital, marié à Samia, une Arabe de bonne famille, « des communistes donc des amis », il est titulaire d’une carte de citoyen témoignant d’un certain degré reconnu d’intégration dans la société israélienne, et il vit dans un quartier arabe de Jérusalem.

 

Arabe israélien, il se trouve déchiré entre les deux identités dont il est irrémédiablement imprégné et qu’il ne peut pas concilier. Aucune des deux sociétés dont il est issu ne le reconnaît comme un de ses membres. Pour les Palestiniens, il est un renégat, traître à leur cause qui vend son âme en échange de quelques avantages matériels et pour les Juifs, il n’est pas un compatriote à part entière, il est l’Arabe dont il faut toujours se méfier.

Le narrateur choisit d’essayer de passer pour un Juif au prix du reniement de ses origines, il y parvient le plus souvent mais cette aliénation culturelle délibérée, on s’en doute, n’est pas la solution à son mal être.

 

L’auteur Sayed KASHUA, Arabe galiléen, est né en 1975, à Tira un village devenu israélien depuis 1948. Après des études secondaires à Tel-Aviv et universitaire dans un établissement hébraïque, il est devenu journaliste et critique de télévision. Il vit à Beit Safafa, un village à la frontière cisjordanienne, aux environs de Jérusalem. Il a écrit en hébreu son premier roman « Les Arabes dansent aussi ». Il est considéré comme représentatif d’une nouvelle génération d’écrivains israéliens et pour le préfacier de ce roman attachant, il s’avère qu’ « avec Kashua, l’humour juif devient la politesse du désespoir arabe. »

 

     Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

 

 

Textile d’Orly CASTEL-BLOOM

 

Le roman a pour cadre un quartier neuf et résidentiel dans la banlieue de Tel-Aviv. Irad Gruber, un chercheur, s’envole pour les Etats-Unis. Son épouse Mandy profite de cette absence pour, en cachette, entrer dans une clinique afin d’y subir une opération de chirurgie esthétique. Mandy dirige une entreprise héritée de sa mère dans laquelle on confectionne des pyjamas en coton destinés exclusivement aux juifs ultra-orthodoxes, dont on est sûr qu’ils ne céderont pas aux caprices de la mode. L’opération que doit subir Mandy est originale, elle consiste en la restauration de l’aspect saillant de ses omoplates affaissées avec l’âge. Ce n’est pas sa première intervention chirurgicale et on la voit souvent se rendre à son usine, filant à toute allure dans sa voiture américaine, le visage complètement bandé.

 

Un thème du roman est celui du vieillissement lié à celui de la mort. Mandy raconte « le processus d’extinction » de sa mère et sa propre obsession de la décrépitude contre laquelle elle s’efforce de lutter, il est beaucoup question de crèmes de beauté, de massages, de jacuzzi, de régime végétarien. Mais on comprend au fil des pages que si Mandy passe son temps à subir des opérations de chirurgie esthétique, c’est aussi pour se trouver le plus souvent possible anesthésiée, elle veut ne pas penser à son fils soldat, dont la vie est toujours menacée. L’angoisse est aussi présente chez ce dernier appelé Da’el qui se drogue à la cocaïne, indépendamment du fait qu’on lui ait appris comment tuer sans états d’âme. Dans ce roman la mort rôde et Orly Castel-Bloom relie les angoisses existentielles de ses personnages à celles générées par le contexte politique de leur pays, évoqué en toile de fond. La tenue de protection parfaite à laquelle travaille Irad son mari chercheur est le symbole d’une hantise sécuritaire prouvant que cette peur de la mort risque de ne pas être neutralisée de si tôt. Sauf pour l’héroïne qui ne réchappera pas de son opération et mourra abrutie de morphine.

 

Orly Castel-Bloom est née à Tel Aviv, dans une famille de juifs séfarades égyptiens francophones. Dans ses livres elle évoque son désenchantement face à l’avenir incertain de son pays hautement militarisé, en conflit sans fin avec les Palestiniens. Ce qui ne l’empêche pas de s’engager à l’occasion pour une bonne cause. En 2018, elle a cosigné (avec notamment Amos Oz) une lettre au gouvernement demandant le non-renvoi des personnes originaires de l’Erythrée  et du Soudan. Elle décrit aussi une société sans cohésion interne, minée par l’égoïsme. » Dans son roman Textile, on note une grande indifférence des membres de la famille les uns par rapport aux autres.  « Cet égoïsme, dit-elle, c'est la tendance aujourd'hui en Israël. Les gens en ont marre de la situation, de vivre dans un si petit pays, un pays sans frontière. Alors ils s'occupent d'eux-mêmes. Beaucoup font du sport, de la marche à pied, du footing. Moi je fais du yoga, pour me calmer. » Elle est considérée comme représentative d’une génération désenchantée voire même désespérée.

 

       Marie-Noëlle Recoque Desfontaines

 

                                                           

« Emilia et le sel de la terre » de Yossi SUCCARY

 

Emilia vit en Israël. Elle est juive mais ses racines culturelles sont libyennes, donc arabes. Rescapée des camps nazis, elle a été contrainte de s’installer dans « le foyer national juif », pays dans lequel elle ne se reconnaît aucunement, d’autant plus qu’elle s’y trouve comme tous les autres Sépharades dominée par une classe dirigeante d’origine européenne, les Ashkénazes. Aux yeux de ces derniers, les Juifs orientaux sont expansifs, naïfs, peu doués pour affronter les réalités telles qu’elles sont et ils baragouinent l’hébreu. Emilia s’offusque de ces stéréotypes, elle-même est froide, méfiante, perspicace et elle parle un hébreu impeccable.

 

Dans son pays natal, la Libye, Emilia a entretenu avec ses compatriotes de bons rapports et c’est une voisine arabe qui a caché ses enfants afin de les soustraire à une rafle allemande. Nul doute, pour elle, que les Arabes ne peuvent que s’entendre avec les Sépharades, d’où sa vision sans complaisance des Juifs ashkénazes: ils perpétuent, pensent-elle, le conflit avec les Arabes de peur d’être dominés à leur tour en cas de paix.

 

En Israël, elle fait de la résistance pour surtout ne pas renier ses origines. C’est un combat dans lequel elle entraîne son petit-fils en le sommant de quitter plus tard cet endroit et donc de ne pas s’adapter pour ne rien avoir à regretter. Mais l’enfant, lui, est né en Israël. Il va se trouver tiraillé entre deux discours, celui de l’institutrice pour qui les Arabes sont des ennemis démoniaques et celui d’Emilia proclamant être plus proche des Arabes que des juifs européens. Confrontée à l’enseignante, Emilia lui déclarera : «  En Libye, Juifs et Arabes étaient comme des frères siamois, avant d’être séparés par les sionistes. » Par ailleurs, le narrateur souffrira de ne pas parvenir à se construire une identité clairement définie, il est attaché à Israël mais la discrimination subie semble donner raison à sa grand-mère qui rejette la société mise en place par les Juifs européens au détriment des Orientaux. Il est donc étranger à son pays natal, à ses coreligionnaires et à lui-même.

 

La discrimination est réelle. Ainsi à l’armée, Yossi (car c’est bien de l’auteur qu’il s’agit) fait une excellente impression aux gradés jusqu’au jour où ils apprennent que Sucary ne correspond pas au nom juif Zuckerman hébraïsé mais se révèle être un nom de famille authentiquement algérien. Alors il est affecté aux cuisines avec d’autres Sépharades.

Le narrateur souffre de ne pas trouver la sérénité, partagé entre la culpabilité de trahir sa grand-mère quand il tente de se fondre dans « l’entité sioniste ashkénaze » et le désarroi de ne pas être reconnu comme un Israélien à part entière. Il voudrait être « a-communautaire » mais n’y parvient pas.

 

Yossi SUCARY se confesse dans  ce premier ouvrage. S’il n’a pas réussi à faire fi des injonctions quasi-testamentaires de sa grand-mère quant au regard à porter sur la société dans laquelle il vit, il ne lui a pourtant pas obéi puisqu’il vit toujours là où il est né.  

 

    Marie-Noëlle RECOQUE  DESFONTAINES

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