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UN DIMANCHE AU CACHOT

De Patrick Chamoiseau
UN DIMANCHE AU CACHOT

Si Patrick Chamoiseau est à coup sûr l’un des plus considérables romanciers de langue française, il est aussi l’un de ceux qui portent l’écriture au vif de plaies jamais refermées. La force de son imaginaire et la puissance de son verbe apparaissent en effet indissociables d’un lieu, la Martinique, et de l’histoire qui l’a façonnée, celle du colonialisme et de l’esclavage. Chacun de ses livres en porte les empreintes. Mais c’est le tout dernier d’entre eux qui propose la vision peut-être la plus saisissante de la permanence de la blessure et de ses effets. Et dans le même mouvement invite à une réflexion sur la posture de l’écrivain face à une histoire qui jamais ne se trouva écrite. À celle-ci, il donne aujourd’hui forme symbolique à partir d’un épisode de son quotidien d’éducateur à Fort-de-France. Cela se déroule un dimanche. La pluie tombe. Le portable sonne : un ami de permanence dans un foyer pour adolescents en difficulté appelle à la rescousse. L’une des pensionnaires est allée se rencogner dans l’obscurité étroite d’un vieil édicule de pierre et paraît n’en vouloir plus sortir.

Il faut renouer le contact avec elle et l’on compte pour cela sur sa pratique hors norme de la parole. Le voici donc à son tour accroupi dans le minuscule réduit, au côté de la jeune mutique. Dans ces ténèbres inquiétantes, peuplées peut-être de quelque dangereuse « bête longue », la mécanique mentale se met immédiatement en marche. Un flux de conscience tel que chez Faulkner, libère une coulée mélangée de représentations du passé, de réminiscences de lectures, de savoirs divers et de réflexions.

Et sous la voûte de pierre se fait jour l’intuition d’une survivance. L’éducateur écrivain dans le parage de la recluse se figure alors une autre scène, dans une semblable construction, à un siècle et demi de distance. Il imagine une autre femme, esclave sur une plantation, qui vient d’être enfermée là par le propriétaire et se trouve condamnée à y mourir. De faim et de soif, ou encore de la morsure d’un serpent. Entre l’histoire en train d’être vécue et celle qui resurgit, s’inscrit l’épaisseur impalpable d’une mémoire collective. Ces remémorations et cette vision prennent forme orale. Dans le désordre de son jaillissement, une parole se tend vers la jeune fille. Le roman établit alors une passerelle, littéralement fabuleuse, entre le présent et le passé. Construisant le récit d’un ancien enfermement, qui se rejoue aujourd’hui sous une forme mimétique. L’esclavage relève effet de « l’intransmissible » et de « l’inpensé » historique.

Les générations successives sont condamnées à le revivre.

La réflexion de Marx dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte trouve ici, sous les dehors de l’invention romanesque, une pertinence renouvelée. Patrick Chamoiseau revisite donc ce temps du « crime sans châtiment ». Il raconte l’horreur de la claustration dans un cachot identique. Et la résistance de l’esclave, dont celle-ci puise en grande partie la ressource dans un imaginaire alimenté par la langue et les légendes créoles. Il évoque la sorte d’aura qui rayonne de la jeune femme, faisant taire le molosse couché devant sa porte et médusant son maître. Le texte déploie ici les beautés langagières d’une épopée légendaire, sous les auspices revendiqués de Faulkner, Saint-John Perse, Aimé Césaire et Édouard Glissant. On peut même voir s’arrêter devant la cellule un représentant en porcelaine venu de la métropole négocier ses produits, un certain Victor Schoelcher. Pour donner sens au réel, il faut inventer et métamorphoser.

Tandis que la pluie continue, que l’écran du portable ne cesse d’afficher des messages, le récit de l’écrivain commence enfin de stimuler une conscience qui avait désiré s’endormir. Et contre toute attente, fait vibrer une mémoire lointaine qu’on avait pu croire effacée chez la farouche jeune fille. Elle avait pourtant rejoint d’elle-même l’ancien cachot, en un geste inconscient de filiation. L’esclavage, lové au plus profond, l’avait bel et bien constituée. C’est une oeuvre superbe et subtile, donnant une représentation éblouissante du travail caché de l’histoire, que nous propose aujourd’hui celui qui se présente comme un simple « marqueur de paroles ».

de {{Jean-Claude Lebrun}} (in "L'HUMANITE")

[{{(Source)}}->http://www.humanite.fr/2007-10-25_Cultures_L-esclavage-en-memoire]

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