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Dépendance, indépendance, interdépendance

VI/ Réflexion générale sur une nouvelle approche de la dynamique du jeu politique

par Jean Bernabé
VI/ Réflexion générale sur une nouvelle approche de la dynamique du jeu politique

Dans des commentaires de journalistes ou des déclarations de simples citoyens, il arrive que l’opposition droite/gauche soit présentée comme dépassée. Je m’inscris en faux contre ce point de vue, qui découle, me semble-t-il, du climat psycho-politique, déboussolant pour beaucoup, créé par la chute du mur de Berlin. En réalité, cette opposition est indépassable, pour la simple et bonne raison qu’elle est de l’ordre de l’{{archétype}}. La droite est symbole de conservatisme réactionnaire et la gauche de progrès. Pareille vision des choses, pour être archétypale, n’en est pas moins inscrite dans et générée par une réalité socio-historique particulière. C’est en effet le discours dominant de la gauche prophétique, issu de la Révolution française de 1789, qui est porteur de la stigmatisation des valeurs de la droite et de l’exaltation de celles de la gauche. Rien que de plus normal !

L’hégémonie idéologique de la Révolution française reste telle que les valeurs intellectuelles positives sont tout uniment référées à la gauche. Les « vrais » intellectuels ne peuvent être que de « gôche ». Cela dit, l’histoire nous enseigne que toute conservation n’est pas forcément synonyme de régression et que tout changement ne correspond pas nécessairement à un progrès. Soyons clair : ce qui, dans l’attitude des conservateurs, devrait conduire à les considérer comme réactionnaires, c’est leur fermeture à la justice sociale, au nom du maintien intransigeant de valeurs traditionnelles. Inversement, ce qui chez les adeptes du changement pourrait convaincre de la pertinence de leur posture, c’est également leur aspiration à la justice sociale en liaison avec l’impact supposé positif de leur volonté de changement sur cette même justice qu’ils sont censés rechercher. Même si nul n’est capable de deviner quel sera l’effet dans l’avenir de telle ou telle décision politique, une vérité doit être admise : il n’est de progrès ou de régression que de l’Homme, considéré dans sa dimension sociale et individuelle. C’est d’ailleurs la boussole qui guide ma réflexion.

La réalité des comportements sociopolitiques s’avère complexe. Des femmes ou des hommes politiques catalogués de gauche, peuvent avoir des initiatives ou des réactions droitières et, vice versa. En effet, quand les archétypes s’incarnent, ils ne le font jamais que dans des êtres de chair, plus ou moins englués dans l’opacité du réel. Un exemple : Martine AUBRY, sous l’impulsion du Premier ministre Lionel JOSPIN, est parvenue à imposer les 35heures. On pourrait résumer son argumentation par le slogan : « Travailler moins pour vivre mieux ». Cette vision des choses peut apparaître comme intégralement et authentiquement de gauche, surtout si on la compare à celle d’Adolphe THIERS : « enrichissez-vous ! » ou encore à celle de SARKOZY : « Travailler plus pour gagner plus », dont la courbe croissante du chômage aura démontré l’efficacité sociale. Il apparaît avec évidence que la position sarkozienne est de droite parce qu’elle s’inscrit dans une magnification de l’Avoir capitaliste au détriment de l’Etre humaniste.

Il n’en reste pas moins que la philosophie de JOSPIN-AUBRY, si elle a un objectif identifiable comme étant de gauche, comporte des prémisses droitières, en raison de la dimension quantitative qui transparaît sous le « travailler moins » (35h au lieu de 40h), là où le progrès social exigerait : « travailler mieux », c'est-à-dire, une prise en compte secteur par secteur des conditions de pénibilité des métiers et non pas un abaissement égalitariste et généralisé de la charge horaire. Un tel exemple nous conduit à rappeler qu’il n’existe pas UNE gauche et UNE droite, mais DES gauches et DES droites. Cela dit, quelque soit le type de gauche auquel se rattache l’égalitarisme, ce qui dans la conception JOSPIN-AUBRY rattache cette dernière à la philosophie droitière, c’est le critère quantitatif en lieu et place de l’exigence qualitative. Leur décision politique relative à la durée du travail relève d’un amalgame droite-gauche. La complexité et la diversité des enjeux sociaux et politiques est en grande partie cause de ces phénomènes d’hybridation, sans que pour autant on puisse considérer que les « fondamentaux » historiques de la gauche et de la droite s’en trouvent pour autant subvertis.

Les hommes et femmes politiques les plus réfléchis, une fois lancés dans l’action, n’ont pas toujours la possibilité de puiser dans les matrices idéologiques et philosophiques qui fondent leurs choix politiques. Ce n’est pas non plus toujours facile, compte tenu de l’évolution des sociétés et de la complexification des problèmes qu’elles posent. Cet entremêlement des valeurs tient autant à la dimension archétypale de l’opposition gauche-droite qu’à ses modes d’incarnation. Cette opposition transcende jusqu’à la notion de lutte de classe. On peut en effet trouver dans une même famille (donc dans une même classe sociale) des frères et/ou des sœurs qui ont des options politiques différentes, voire radicalement opposées. Cela signifie que la relation à tel ou tel positionnement politique trouve aussi sa justification dans des choix qui relèvent du caractère de l’individu, de l’éthique, de l’histoire personnelle. Ce relativisme des options politiques est particulièrement à l’œuvre dans les classes moyennes : qu’est-ce qui fait, par exemple, que Jacques CHIRAC et Philippe SEGUIN ont fait leur carrière politique à droite tandis que Jack LANG et Dominique STRAUSS-KHAN l’on faite à gauche ?

Avec le reflux de l’idéologie marxiste, on trouve aussi de plus en plus, dans les milieux prolétariens et/ou paysans cette même variation ambivalente gauche-droite. Qu’un ouvrier vote LE PEN ne saurait s’expliquer par seule théorie marxiste de l’aliénation. Et qu’il existe des PDG qui se disent de gauche n’a rien d’invraisemblable. L’ensemble de ces remarques nous amène donc à comprendre que l’opposition gauche-droite, pour être indépassable, n’en comporte pas moins une {{dimension abstraite}} et qu’il serait imprudent de ne pas chercher à en analyser les réalisations concrètes dans le tissu de la vie politique non seulement d’une nation, mais aussi au plan géopolitique planétaire.

Les notions de droite et de gauche, même correspondant à des réalités diamétralement opposées et irréductibles l’une à l’autre (quand bien même elles se trouvent amalgamées), doivent donc être maniées avec vigilance pour caractériser une action politique, que cette dernière soit individuelle ou encore qu’elle concerne un parti ou bien un régime donné. Il arrive même que des régimes (auto)-étiquetés de gauche affichent des comportements qui les assimilent objectivement à la droite, ainsi qu’en témoignent les avatars actuels de la Chine. Voilà un pays qui continue à se déclarer communiste (il existe encore un Parti Communiste Chinois !) et qui excelle dans un capitalisme d’Etat coordonné à des pratiques économiques oligarchiques de plus en plus prononcées, y compris, au plan géopolitique, avec le pillage cynique des ressources du Tiers-Monde. Il semble que, dans ce cas, l’amalgame soit non pas entre droite et gauche, mais entre affichage idéologique et pratique socio-économique.

La complexité de la vie politique restera un obstacle irréductible à toute clarification tant que l’analyste n’aura pas à cœur de l’observer dans sa réalité {{dynamique}} et non pas seulement dans son {{apparence statique}}. « Et pourtant, elle tourne ! », disait l’autre. Cette exclamation vaut aussi mutatis mutandis pour la vie politique. De même qu’un énoncé a un sens donné mais qu’il ne trouve sa signification réelle que dans son utilisation dans un contexte communicatif précis, de même, les notions de droite et de gauche, quoique ayant des sens opposés, n’acquièrent leur signification véritable que dans le contexte multidimensionnel de l’action politique. Le passage de la statique à la dynamique est une ardente nécessité. Il ne peut, me semble-t-il, s’opérer si on ne prend pas conscience du fait que droite et gauche trouvent leur articulation autour d’une réalité tierce, que mon propos n’a pas encore évoquée : {{le centre}}.

J’ai rappelé dans un précédent article de cette chronique qu’en pays colonial la gauche se compose surtout de l’ensemble de ceux qui se battent pour la libération nationale (indépendamment de la libération sociale), tandis que la droite rassemble les autres. En situation coloniale, seule vaut l’opposition binaire gauche-droite. La notion de centre, qui pourrait être appliquée à des gens qui seraient autonomistes et qu’on pourrait placer en position intermédiaire (ni indépendantistes, ni partisans du statu quo) n’y trouve pas de place. Cette notion n’y fait d’ailleurs l’objet d’aucune formulation. Personne aujourd’hui n’est d’ailleurs en mesure d’indiquer quel parti occuperait à la Martinique le centre, sauf à faire une projection des partis métropolitains sur leurs filiales locales, ce qui, comme on le verra ultérieurement, s’avèrerait particulièrement aventureux. Et ce, d’autant que nombre des partis ne sont pas des sections de partis hexagonaux.

D’une manière générale, après le processus de libération (pacifique ou militaire), au lendemain de l’indépendance, de nouveaux clivages apparaissent notamment sur des bases sociales, jusque là masquées ou désamorcées par l’urgence de la lutte de libération. Il n’est pas rare alors que des militants précédemment de gauche se positionnent à droite et vice-versa. On peut alors voir émerger le positionnement d’un centre, comme cela se fait traditionnellement dans la plupart des pays souverains. Le centre, dans sa conception traditionnelle, est un positionnement qui résulte des représentations que se font des gens qui, allergiques aux excès, veulent se situer à distance des extrêmes de gauche ou de l’extrême. En réalité, si le centre statique est une pure {{fiction}}, il n’est pas rivé à la subjectivité individuelle. Il relève de la représentation intersubjective (et non pas objective) d’un état de la société et il se matérialise dans une approche de type {{géométrique}}. Mais cette représentation est statique, parce qu’elle prend forme à partir d’un imaginaire de l’étiquetage et non pas en fonction d’une véritable analyse des forces politiques réelles qui agitent la société en question.

On comprend aisément que le terme de centriste est de nature à caractériser un tempérament, un caractère. Il est alors relié non seulement à la notion de pondération, de mesure, de sens du compromis mais aussi à l’aptitude au glissement dans les compromissions. Mais le centriste peut aussi être une personne s’inscrivant dans un espace de synthèse. En conséquence, il peut alors se raccorder à un gisement d’énergie et de créativité, qui, s’alimentant aux sources du divers n’est pas stérilisé par la « pensée unique » de gauche ou de droite. En un mot, on ne peut faire l’économie de l’ambivalence du centre. La nouveauté de mon point de vue réside dans le fait que le centre, en termes véritablement politiques, relève non pas de la {{géométrie}}, mais de la {{physique}}.

Le centre n’est pas un point géométrique abstrait, mais {{l’espace}} où se rencontrent des forces contraires auxquelles il assure un équilibre pas toujours stable. Bref, le centre n’existe pas comme donnée fixe et immédiatement repérable, mais comme un phénomène mobile, perpétuellement à découvrir. Cela dit, dans la vision traditionnellement statique du centre, il y a une toute petite part de vérité, en ce sens dans la représentation courante qu’elle produit du paysage politique, on voit inévitablement apparaître le clivage gauche-droite. Ne parle-t-on pas de {{centre gauche}} et de {{centre droit}} ? Ce binarisme obligé qui transparaît dans le discours des politologues et des hommes politiques eux-mêmes n’est-il pas précisément l’indice que gauche et droite sont en définitive les seules réalités, les seules références possibles ? Assurément ! Et cela prouve bien que le centre, dans sa version courante n’est qu’un {{épiphénomène}}, parce qu’abusivement confondu avec un {{phénomène authentique}}. Le centre, dans sa conception traditionnelle, est l’expression, construite de façon fantasmatique et rassurante, d’un équilibre donné une fois pour toutes entre les forces contraires que constituent gauche et droite. Cela dit, comme on le verra ultérieurement au cours de cette chronique, pour être de l’ordre de l’épiphénomène, l’existence du centre statique est un révélateur de {{l’autonomie du jeu politique interne}} dans un pays donné. Je montrerai précisément que la représentation statique du centre n’existe pas dans un pays colonisé, parce que le jeu politique interne, y fonctionne de manière hétéronome, avec, éventuellement, des espaces autonomes très limités.

Le centre statique est une {{virtualité}}, tandis que le centre dynamique est une {{réalité}}. C’est parce qu’il est de l’ordre de la représentation que le centre statique sert d’étalon à la mesure du spectre politique. Il constitue une référence immédiate, populaire et non soumise à la logique scientifique. Mais si, pour cette raison, c’est par lui que passe la {{ligne imaginaire}} où se déplace le curseur qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite et inversement, c’est, en revanche, à partir du centre dynamique que s’évalue véritablement une situation politique donnée. Compte tenu de ce qui vient d’être dit du centre, un homme politique étiqueté « centriste » peut parfaitement être porteur, à un moment donné, d’un message politique qui le conduit vers la sphère gauche ou vers la sphère droite. Il n’est pas non plus impossible (quoique le phénomène soit rare) qu’une personne d’extrême gauche devienne, dans un contexte donné, porteuse d’un message d’extrême droite et vice versa, encore que la tendance du glissement vers la droite soit plus fréquente que l’inverse. Le cas du communiste Doriot devenant à la fin des années 1930 adepte du pétainisme en constitue le triste témoignage !

Je pense avoir montré par ces propos que les partis qualifiés de {{centristes}} ont de fortes chances de correspondre à une représentation intersubjective faussée de la dynamique politique. Faussée, parce que réifiée, chosifiée : le centre devient une chose, alors qu’il est une résultante. Il n’est pas pensable qu’une personnalité politique soit rivée à une position fixe, comme s’il était un automate, programmé pour réagir à une vie politique dépourvue de tout événement et coulée dans une répétition infinie d’elle-même. Il ne saurait donc y avoir un « {{extrême centre}} », sauf si, précisément, le centre de gravité des forces à l’œuvre devait se situer à l’extrême gauche ou à l’extrême droite, auquel cas, on serait inévitablement dans un régime totalitaire. Je prétends, en effet, qu’aujourd’hui, le curseur qui indique le centre de la politique chinoise se situe à l’extrême droite tant d’un point de vue national (problème de la colonisation du Tibet, de l’exploitation des ouvriers et des paysans parles classes supérieures et émergentes, répression féroce des intellectuels dissidents) qu’international (participation accrue au pillage des ressources du Tiers-Monde, pollution de la planète, par un productivisme égoïste). Le fait que la Chine se pense depuis des millénaires comme « Empire du milieu » est-il sans rapport avec ce totalitarisme où précisément s’est toujours inscrit le {{centre de gravité}} de sa politique ? La question vaut d’être posée.

Cette approche « politologique » nouvelle mais sauvage (voire marronne) que je propose du centre, comme point aveugle, il convient d’en étudier les effets non seulement sur le jeu politique français, mais encore sur celui de la Martinique, que j’ai précédemment annoncé comme ouvert, depuis les consultations du 10 et 24 janvier 2010, à d’insoupçonnées mutations. Ce sera l’objet des prochains articles. Il est très important de ne pas observer et/ou pratiquer la vie politique en se contentant des étiquettes politiques, certes commodes car faciles à manipuler, mais trompeuses, parce que, correspondant à une {{vision statique}} des choses, cette dernière fût-elle ancrée dans l’imaginaire populaire. L’important, en définitive, n’est-il pas de mettre en évidence la {{dynamique véritable}} des projets et des actions politiques ainsi que leurs enjeux ? Le prochain article sera consacré à la situation de la France métropolitaine.

{{Prochain article :}}

Dépendance, indépendance, interdépendance

{VII/ Centre statique et centre dynamique : étude du cas de la France métropolitaine}

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