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Viet Than Nguyen : “Hollywood est raciste”

Viet Than Nguyen : “Hollywood est raciste”

Avec "le Sympathisant", le prix Pulitzer 2016 publie un roman férocement drôle sur la Guerre du Vietnam. Entretien.

Les Vietnamiens vivent avec les fantômes, j’en sais quelque chose. A la porte de la maison des parents de Viet Thanh Nguyen, Américano-Vietnamien, il y avait, comme devant celles de tous les Vietnamiens de la planète, un petit miroir, pour écarter les spectres malfaisants. Dans son roman foisonnant, «le Sympathisant», qui a obtenu le prix Pulitzer, il y a aussi toute une cohorte de fantômes. Les morts de la guerre. Les exilés, aussi, qui bien souvent ne sont que des fantômes d’eux-mêmes, vivant bloqués au rythme de leurs montres, indiquant pour toujours l’heure de Saïgon.

Rien de nostalgique chez Nguyen, pourtant: «le Sympathisant», roman épique sur la Guerre du Vietnam, est férocement drôle. Voici donc la confession d’un agent double, envoyé aux Etats-Unis après la chute de Saigon – pardon, la libération –, pour s’infiltrer parmi la cohorte des réfugiés. Il sera embauché au cœur de l’American Dream, sur le tournage d’un film qui ressemble fort à «Apocalypse Now», comme «consultant en authenticité».

« Les Vietnamiens morts, prenez votre place !». Morceau de bravoure du livre, ces pages hilarantes racontant le tournage, où des bataillons de figurants vietnamiens sont appelés à mourir plusieurs fois devant la caméra, en tenant dans leurs mains des saucisses crues qui représentent leurs intestins. Puis dans une débauche d’effets spéciaux, un cimetière de cinéma est mis en flamme, bouleversant le narrateur, comme si, une nouvelle fois, étaient tués ses morts… «Les guerres se livrent deux fois, une fois sur le champ de bataille, une deuxième fois dans la mémoire», écrit Nguyen. C’est si vrai. Entretien avec l’auteur.

BibliObs. Votre roman, c’est l’anti-«Apocalypse Now»…

Viet Thanh Nguyen. « Apocalypse Now », ça été un grand traumatisme pour moi. J’avais  dix ans quand j’ai vu ce film, en cassette, et je me souviens encore de la colère et de la frustration que j’ai ressenties. J’avais l’impression qu’on nous avait volé notre voix, à moi, aux miens. La guerre du Vietnam a été un sujet amplement traité aux Etats Unis, ressassé, même. Mais elle n’a été racontée que du côté des Américains. Et cela n’avait rien à voir avec ce que, moi, j’avais entendu sur le Vietnam.

Le récit familial, la voix des miens, tout cela, c’était inaudible. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment les Vietnamiens sont représentés dans ces films de guerre. Des pantins, des animaux, presque, qu’on ne comprend pas: parfois, dans les séries B, ils ne parlent même pas vietnamien, mais une espèce de charabia incompréhensible…

Il paraît d’ailleurs que «le Retour du Jedi» est une allégorie de la guerre du Vietnam et que les ewoks sont censés représenter les Vietcongs. Je ne sais pas si c’est flatteur…

Quand vous êtes gosse, vous avez envie d’être du côté des héros. Mais si vous êtes à la fois américain et vietnamien, vous ne pouvez vous identifier à personne. Vous n’avez pas envie d’être du côté des petits bonshommes qui se font napalmer, tombent comme des mouches et meurent, sans visage, et sans voix. Je pense que j’ai gardé cette colère en moi, et que j’ai eu envie moi aussi, avec ce roman, de me réapproprier cette voix, qui nous avait été dérobée.

En paraphrasant Marx, vous écrivez d’ailleurs, en substance: ne pas posséder les moyens de production, c’est une aliénation, mais ne pas posséder les moyens de représentations, bref les moyens, de se représenter soi-même, c’est pire, c’est une autre forme de mort.

Quand votre histoire est niée, qu’elle n’existe ni dans les livres, ni dans les films, c’est la pire des morts qu’on puisse vous infliger. Il existe beaucoup des auteurs vietnamiens qui ont écrit sur la guerre du Vietnam. Côté vietnamien, je pense par exemple au «Chagrin de la guerre», le chef d’œuvre de Bao Ninh, mais ces œuvres sont peu connues du grand public. Je suis triste, chaque fois qu’on me dit: votre livre, c’est le premier livre sur la Guerre du Vietnam vue par un Vietnamien… L’Amérique a perdu militairement la guerre au Vietnam, mais culturellement, elle a gagné. En inscrivant dans les mémoires sa version de l’Histoire, grâce à Hollywood.

"Apocalypse Now", de Francis Ford Coppola. / ©Kong/Sipa

Alors, ce roman, c’est une revanche ?

Un peu. D’ailleurs, beaucoup de critiques ont été surpris par la tonalité du livre, qu’ils trouvaient plein de colère. Ce livre,  je ne l’ai pas écrit pour plaire, je l’ai envoyé à une quinzaine d’éditeurs, et il avait été quasiment refusé par tous. Peut-être parce qu’il est trop critique envers l’Amérique… Peut-être aussi parce que cette critique du système provient non pas d’un blanc Wasp, mais d’un immigré.

Quand vous êtes immigré, d’origine vietnamienne, on attend de vous que vous soyez reconnaissant. Et silencieux. C’est le cliché de la minorité asiatique modèle, tranquille. Alors évidemment, c’est une transgression si vous vous mettez à écrire des livres. Et encore plus, si vous osez critiquer! J’ai reçu des «hate mails», après le Pulitzer. Je me souviens d’un lecteur, très éduqué, un dentiste, pro-Trump, qui m’a reproché de ne pas être assez reconnaissant envers l’Amérique. Et d’être pro-communiste…

En fait, dans votre critique d’«Apocalypse Now» ou de la façon qu’a eu Hollywood de représenter la guerre du Vietnam, vous faites le procès de l’appropriation culturelle, non? Récemment, Kathryn Bigelow a été violemment critiquée aussi pour vouloir, elle, une blanche, raconter les émeutes de Detroit. Vous pensez que des blancs ne peuvent pas raconter la réalité des minorités qu’on dit visibles?

L’artiste a tous les droits. Et Bigelow a bien entendu le droit de raconter Detroit. Mais qu’elle soit critiquée, c’est inévitable ! Hollywood est raciste et a laissé trop peu de place aux minorités qui font pourtant l’Amérique. Alors c’est bien normal que ceux, à qui on a trop longtemps volé la voix, protestent. Les auteurs, acteurs, écrivains, issus des minorités existent, ils veulent être entendus. Ils se révoltent de façon légitime quand leur histoire est «confisquée» pour des raisons de business par des blancs. Mais évidemment, ce discours gêne car l’Amérique a du mal à admettre que oui, elle est encore profondément raciste. Le racisme est pourtant enraciné dans sa culture et son histoire même: les Etats-Unis se sont construits sur l’esclavage et le génocide. Vous en France, c’est différent. Le racisme, présent également, l’est de façon plus détournée.

En quoi la France diffère-t-elle des Etats Unis, question racisme?

Votre histoire est tellement différente !  Chez vous, tout revient toujours à la colonisation. Avec cette idée paternaliste, que la France a «aidé» les indigènes. Je suis en train d’écrire une suite au «Sympathisant»,  et ça va se passer en France. Car cela m’intéresse  de raconter aussi la diaspora vietnamienne en France, de revenir sur la colonisation… Je suis par exemple très intrigué par la fascination romantique de la France pour  l’Indochine. Nous, aux Etats-Unis, pour parler du Vietnam, on a fait des films de guerre, avec du sang et de la violence: «Apocalypse Now», «Full Metal Jacket», «Platoon», tant de séries B. Vous en France, vous faites des films d’amour. «Indochine», «l’Amant». Que des histoires romantiques, avec des rizières en décor. Chez vous, la guerre d’Indochine, aujourd’hui, elle a le visage de Catherine Deneuve, la star ultime, qui représente la France, comme une espèce de madone sacrificielle. Bizarre, non?

Propos recueillis par Doan Bui

Le Sympathisant, par Viet Than Nguyen,
traduit de l'américain par Clément Baude,
Belfond, 486 p., 23,50 euros.

 

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