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Yéééé krik ! … Est-ce que la cour dort ?

Par Josiane BROCHE-JARRIN
Yéééé krik ! … Est-ce que la cour dort ?

Yééé mistrikrik !

« Mesdames et messieurs je suis venu vous raconter ce qui est arrivé à une Antique négresse qui avait pour nom Manzelle C’est-toute…..à 99 ans Mamzelle C’est-toute tomba enceinte sans jamais parvenir a savoir pour quel homme elle portait l’enfant. Comme les femmes sont pétries de courage, elle déclara que cela n’était pas grave mais elle était malheureuse comme la pierre, attendant désespérément que du limon lui pousse dessus afin de pouvoir recueillir deux petits grains de pluie en guise de boisson.

Yééé mistikrak !…….

….Plus tard lorsque le bébé vint au monde un homme d’age très avancé se présenta sur le seuil de la case de la vieille femme, tout de blanc vêtu, il l’entrevisagea longuement avant de déclarer :……Ah ! c’est donc toi, le gamin né hier matin qui est devenu si grand ! c’est toi Ti Jean C’est-Toute…… »

{{La grossesse et l’histoire.}}

Qu’entend le psychologue clinicien lorsqu’on lui parle d’enfant en difficulté ? Il entend la souffrance psychique, il entend la souffrance du tout petit ( le fœtus, le nourrisson, le bébé).

Lorsqu’on s’intéresse aux mythes, contes chansons et proverbes créoles, le bébé…. c’est une grossesse dont on ne sait rien, une naissance rapide sur laquelle il vaut mieux ne pas revenir, tant la culpabilité est grande tant le souvenir enfoui de souffrances subit est suffocant, Ti-Jean occupe l’espace, c’est un pré- adolescent, grand il naît, grand il sauve, aide et venge sa mère….. Bébé où est tu ? Au fond des océans sur un trajet infâme, dans la béance d’une terre qui t’englouti tout entier ?

La grossesse et la naissance, on le sait, c’est un temps fondamental à la fois pour la mère et l’enfant, même si tout ne se joue pas avant 6 ans, la façon dont la mère vit sa grossesse, le type de relation qu’elle installe avec son bébé, la façon dont elle le porte dans sa tête, peut marquer durablement le développement futur de l’enfant. Geneviève LETHI, « source parmi les sources », relève également un grand vide, aucun chroniqueur ( il y en a pourtant énormément) n’en parle, elle signale néanmoins, qu’après l’accouchement la jeune mère restait 40 jours avec son bébé, enfermé, sans contact avec le monde environnant, puis le 41ème jour s’en séparait pour retrouver le travail sur la plantation.

40 jours, d’une dyade, au sens WINNICOTT du terme, 40 jours d’une relation mère/bébé, mais avec quel contenu ? Que se passait-il dans cette dyade ? Quel était l’état psychologique de la jeune accouché, dépression, fusion trop intense, maladresse de jeune mère anxieuse ? 40 jours qui ne pouvaient être constructeur d’un développement harmonieux, seulement si, la jeune mère elle-même était soutenue, entourée, conseillée, en un mot porté, était-elle accompagnée lors des suites de couche par la matrone ? Bénéficiait-elle d’enveloppement ou de cataplasme de feuille ? Retrouvait-elle en la matrone une mère ancestrale ou était-elle livrée à elle-même dans un grand dénuement ?

40 jours puis une séparation, préparée ou non. De cet aménagement, là aussi dépendra le développement ultérieur du bébé, dans quelle condition se faisait la garde ? Combien d’enfant dans la « garderie », ? La rupture d’attachement laisse des séquelles dans la psyché si on n’est pas attentif aux signaux de détresse du bébé ? Etait ce possible durant la période esclavagiste permettez-moi d’en douter.

Cette absence d’enfance est une horreur dans un système ou la personne humaine, en référence au code noire était considérée comme un meuble, l’enfant comme un meuble en devenir. Il est, pour le colon, une force de travail potentiel et donc de productivité et d’enrichissement, le ventre n’est pas convoité par le maître mais le contenu sûrement, le bébé projeté dans un avenir peu valorisant pour la mère, le père et pour lui -même.Quel espoir ou quel désespoir pouvait-on mettre en lui ? .

{{La dépression du bébé}}

C’est vers les années 1950 en France , qu’on s’intéresse à la dépression des bébés, grâce aux travaux d’Anna FREUD, Dorothy BURLINGHAM, René SPITZ, Mélanie KLEIN, Margaret MALHER, John BOWLBY…. On avance à petit pas, mais ses recherches sont fondatrices de nouvelles approches, puis viendront Serge LEBOVICI, SOULE……

Léo KANNER publie à la même époque, la description de l’autisme infantile précoce, la vision du tout petit change radicalement chez les spécialistes, pensé comme un être passif, centré sur l’alimentation, le sommeil, dépendant de son entourage, on considère désormais le bébé comme plus actif, détenteur d’une véritable vie psychique, on se mets à étudier les interactions et ses compétences précoces.

Dans la société post esclavagiste, penser la souffrance psychique chez le tout petit n’est pas à l’ordre du jour.

Le bébé n’existe pas, c’est-à-dire n’est pas reconnu comme une personne, sa psyché n’existe pas et donc sa souffrance psychique n’est pas pris en compte, la dépression du bébé ? Quelle histoire !!!….Pour toutes sortes de raisons, politiquement correcte, on a alors normalisé la souffrance, la dépression chez l’enfant, c’est un sujet d’ailleurs qui, dans une certaine mesure reste encore tabou.

La dépression de l’enfant diffère de celle de l’adulte, les modes d’expression de cette souffrance sont autres. C’est avec son corps que l’enfant exprime sa tristesse, son mal être intérieur, il l’exprime aussi par une cassure dans son développement, par des problèmes de pois notamment.

La lecture de compte rendu des médecins de l’époque montre comment cette dépression était le quotidien des populations, bien présente chez ses enfants chétifs et maladifs la seule raison avancé étant la malnutrition dû à la misère économique, mais la dépression accompagne toujours l’enfant dans les troubles lié à la nourriture. Pour le bébé les manifestations des troubles profond apparaissent par une grande indifférence, l’enfant est souvent amorphe, ne pleure pas, ne réagit pas en présence de sa mère.

La façon dont la grossesse serra vécue, la solitude, le rejet de ses propres valeurs, la qualité des premières relations mère/père/famille/bébé, les perturbations familiale, sont autant de causes d’installation de la dépression chez l’enfant. Les conditions pour mener une grossesse épanouie n’était pas réunies ni pendant l’esclavage, ni après d’ailleurs, seul…. Peut- être…. les rituelles de protections et de prises en charges thérapeutiques traditionnelles pouvaient permettre un éloignement d’éventuelles pathologies précoces.

{{L’appareil à penser d’un bébé ?}}

Historiquement et occidentalement parlant, cette question est restée dans l’ombre, on considérait l’enfant comme n’ayant ni souvenir, ni opinion, ni émotion, ni perception, comment pouvait-on donc subodorer une souffrance psychique, une approche thérapeutique. ?

La pédopsychiatrie ( ou plutôt l’accueil des enfants) s’installe en Martinique avec Colson, mais la thérapeutique traditionnelle reste très présente dans la clinique sur le terrain, il s’agit de la nier, en a-t-on peur ? Banalisons la donc !. Il s’agit de deux mondes, il s’agit de deux peuples, il s’agit en réalité, fondamentalement, du même but, soulager l’autre dans sa souffrance.

Pédopsychiatrie et psychologie de l’enfant reste infiltré de la subjectivité de celui qui l’établit. En occident deux courants, explicatif ont coexisté, FREUD et PIAGET, courrant- psychanalytique et courrant cognitiviste.

PIAGET a montré l’importance du développement des compétences pour acquérir un savoir-faire permettant à l’individu de s’intégrer dans le milieu.

FREUD a montré que c’est à travers la gestion des pulsions que se fait l’investissement de la pensée.

Ces théories ont été complétées par les successeurs tels que, BRAZELTON LEBOVICI et les éthologistes qui ont mis l’accent sur le rôle des interactions fantasmatique, la transmission d’inconscients à inconscients , le psychisme du bébé devient alors indissociables de celui de sa mère.

{{Quelles réponses ont été apporté face à la souffrance des bébés ?}}

La souffrance fait sens, malaise, somatisation et agitation dans la société, chez le bébé les choses ne sont pas si simple, c’est bruyant parfois comme un cyclone et sa tourbillonne et détruit tout, mais c’est également l’oeil, silence total, comme une eau qui coule, à bas bruit. Le bébé qui régurgite, celui qui dort trop ou pas assez, l’enfant qui ne pleure pas, celui qui ne joue pas, celui qui mord mais également celui qui est toujours mordu…..L’enfant souffre, il est en difficulté de vivre.

Pour les enfants plus grands, les Ti-Jean comme j’aime à dire, lorsque l’on parle de difficultés on pense au refus scolaire , aux troubles des apprentissages, on pense à l’enfant « ababa », à l’arriération mentale, c’est ainsi, le plus souvent, qu’il va exprimer son mal être , le savoir s’étaie sur le désir d’apprendre d’un enfant, l’intelligence s’articule à l’affectif, au culturel et au groupal, ses mécanismes d’adaptation se tissent grâce aux liens d’attachements de bonne qualité crée avec son groupe d’appartenance.

Période troublée, au sortir de l’esclavage, « psychologie du mal », « traumatisme intentionnel » remodelage d’une société, misère, angoisse, agressivité, peur et méchanceté ! Dans une telle société, les enfants, comme toujours, sont en première ligne, nié, malmené, non reconnu dans leur statut de personne à part entière, parlant des victimes de la torture, Françoise SIRONI dit : « leurs contenus de pensée sont atteints par ce traumatisme intentionnel des fragments de négativité ont été introduit, les séquelles de ce traumatisme sont : hyperméfiance, agressivité incontrolée, les troubles somatique ».

En regard de tant de maux et mots, que va-t-on mettre en place pour prendre en charge les difficultés des enfants ? Que vont faire les parents ?

Les parents avec une sorte de sagesse populaire pour répondre aux enfants en souffrance vont jouer sur deux tableaux, en visant le bien être : grille d’analyse de la médecine occidentale pour le corps (pouvoir d ‘Etat), prise de médicament, grille d’analyse traditionnelle, ( pouvoir du peuple) Les séanciers, les guérisseurs et guérisseuses d’enfants, pour l’esprit, la souffrance psychique étant vécu comme une interaction avec les invisibles.

{{Comment travail le séancier ?}}

Le séanciers refait du lien, quand il n’y en n’a plus, ou défait le lien lorsqu’il est pathologique.

Face aux troubles qui apparaissent sur le corps, face a la « bles » cachée, révélatrice de malaise chez le bébé, face au « tet fann », et autre danger d’être capté ou pénétré par les esprits malveillants , le séanciers mets du lien.

Le corps et les soins aux corps sont privilégié, les bains préparés par le parent dont l’enfant ne quitte pas la psyché, les paroles répétitives de prière et de phrases porteuses de guérison, inscrivent le bébé et l’enfant en souffrance dans son univers magico- religieux, le séancier soustrait l’enfant de l’errance et le réinscrit dans sa culture, le corps exprimant la dépression est traité par la pression des mains, par des massages qui sont des messages, par des enveloppements de feuilles, de sables, par des aspersion d’eau dans un bain de parole, parole créole, parole fondatrice.

Le séancier fait le lien, l’ écoute est le maître mot, il écoute le parent, il observe l’enfant il « apprend » comme il se doit, à la mère et à la famille, à porter l’enfant.

Soins restructurant, n’est -ce -pas là une autre façon de naître ?.

On parle alors d’ensorcellement, de possession, d’invisible et d’esprit, une autre façon de penser et panser autrement la dépression, l’angoisse, la pathologie, le malaise. Monde d’influences, d’interdit, de sacré, de symboles qui doit être connu, écouté, prise en compte, car on ne peut soigner vraiment en méconnaissant sa langue et sa culture.

La recherche se développe encore et encore, sur le tout petit en Martinique, quelle représentation de la souffrance psychique ? comment pensons- nous nos bébés, quelles soins traditionnels thérapeutiques sont mise en œuvre ? nous nous devons d’approfondir ces aspects de la clinique, il est pour nous vital de résister aux pensées banales.

François LAPLANTINE, note sur les représentations de la maladie : « nous sommes en fait confrontés à deux groupes de représentations dont il convient de souligner que l’une n’est pas en « avance » ou en retard par rapport à l’autre et surtout que l’une n’est pas la vérité par rapport à l’autre qui serait l’erreur ; ainsi selon les sociétés, les époques et les individus ( ou plus précisément d’une culture à un autre, d’une culture à elle-même dans le temps, d’un individu à un autre mais aussi à lui-même) nous rencontrons soit l’alternance de plusieurs systèmes de représentation de la maladie, soit leur enchevêtrement, soit leur coexistence le plus souvent conflictuelle ; ».

Crack ! la cour dort.

Post-scriptum: 
Bibliographie. - CONFIANT R., « Ti Jean le Magicien », Contes créoles des Amériques, Paris, Stock, 1995. - LAPLANTINE F., « Des représentations de la maladie et de la guérison à la construction de modèles étiologiques et thérapeutiques. », in LAURENTIN, Etiologie et perception de la maladie, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 289- 309. - NATHAN T., « tuer l’autre ou tuer la vie qui est en l’autre. Ethnopsychanalyse des crimes contre l’humanité », Nouvelle Revue d’ethnopsychiatrie, 19, 1992, p.37-55. - SIRONI F., bourreaux et victimes, psychologie de la torture, Paris, Odile Jacob, 1999.

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