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1848, année de l'abolition : Schoelcher, Bissette et le 22 mai, trois mythes pour une République

Yves-Léopold Monthieux
1848, année de l'abolition : Schoelcher, Bissette et le 22 mai, trois mythes pour une République

 Je n’oublierai pas la phrase de l’un des médecins qui ont rédigé le rapport d’autopsie de la seconde victime de février 1974, le jeune ouvrier en bâtiment Georges Marie-Louise.

  « Tout peuple qui se construit a besoin de mythes », me dit-il. C’était la réponse sans équivoque à mon interrogation : « Docteur, je pense à vous quand j’entends certaines interprétations des incidents de février 1974 1». Des mythes, en veux-tu en voilà ! N’est-ce pas une méthode d’écriture de l’histoire ou d’histoires à côté de l’histoire qui caractérise trop souvent l’Histoire de la Martinique ? 

   Dans une récente expression, Marie-Hélène Léotin fait une présentation sans fard de Cyrille Bissette. Selon l’historienne, celui qui fut l’une des parties prenantes de l’abolition de l’esclavage de 1848 se serait caractérisé par son opportunisme et non par l’empathie du propriétaire d’esclaves qu’il était. Ses idées auraient évolué au gré des circonstances et des intérêts des mulâtres qui seraient devenus in fine les alliés objectifs des esclaves. Cette description peu contestée de l’historienne conduit à enfermer les mythes Bissette2 et Schoelcher dans un égal rejet, au seul avantage d’un 3ème mythe, la date du 22 mai 1848.

   D’une république à l’autre, l’évolution des idées, les nouvelles exigences économiques, les intérêts de classe ainsi que les allègements progressifs des lois de l’esclavage accompagnent la soif de liberté exprimée par les esclaves au cours de diverses manifestations. En effet, plus aucun historien ne conteste le caractère alors inéluctable et proche de la fin de l’esclavage. Finalement, le principal acteur de l’abolition n’est-il pas tout simplement la République dont le drapeau est inauguré à Saint-Pierre dès le 1er avril 1848 ? C’est ce qui peut ressortir de la phrase de Mme Léotin qui rappelle que dès le lendemain de l’arrivée en Martinique de la nouvelle de la proclamation de la République, le 26 mars 1848, « l’agitation, les refus de travail, les grèves d’esclaves redoublent sur les habitations ». 

   Ainsi, tant pour les colons que pour les esclaves, plus qu’un élément déclencheur circonstanciel, la République porte en elle l’abolition de l’esclavage de sorte qu’à leurs yeux, les deux concepts sont indissociables. D’ailleurs, la nouvelle abolition est consolidée par des mesures à effet immédiat3, comme l’octroi de patronymes aux nouveaux citoyens et l’exercice du droit de vote à tous dès avant la fin de l’année en cours. En effet, à l’exception de l’anticipation de la date d’effet de l’abolition suivie de « l’amnistie pleine et entière pour tous délits politiques consommés dans la période de mouvement que nous avons traversée », toutes les décisions prises par le décret du 27 avril 1848, ont été appliquées en Martinique, à l’égal des 3 autres colonies. Dès lors, le trio République – Schoelcher – Abolition paraît indissociable. 

   Ainsi donc, en un unique considérant, le bref arrêté du 23 mai 1848 du Gouverneur provisoire de la Martinique se réfère à la décision de la République : « considérant que l'esclavage est aboli en droit… », le droit émanant bien entendu du décret. Par ailleurs, si l’amnistie favorise l’apaisement des esprits et laisse espérer la réconciliation des parties, le renoncement à des poursuites judiciaires prive les historiens d’une précieuse documentation. En effet, à travers des témoignages divers, les procès permettraient d’apporter un éclairage dont l’absence permet toutes les extrapolations.

   Cette réalité institutionnelle renvoie donc au rang de mythes non seulement les personnages qu’évoque Mme Léotin mais aussi la date du 22 mai 1848, elle-même, qui ne change rien au cours de l’histoire commune de ces colonies. Il y a lieu de croire que sans le décret du 27 avril 1848 et l’esprit d’abolition qui règne sur la République, la révolte survenue le mois suivant à St Pierre n’aurait peut-être pas lieu ou serait réprimée comme les précédentes. Le mythe du 22 mai s’appuie donc sur une inexactitude majeure selon laquelle « les esclaves se sont libérés par leur propre lutte, sans même savoir l'action menée par Schœlcher »4.  Cette date mythique partage avec le mythe Bissette le fait d’être tardivement révélée. Elle l’est en 1947 par Gabriel Henry tandis que le rôle de l’homme politique n’est vraiment rappelé qu’à la fin du siècle dernier, notamment par Stella Pame5. Les contemporains de la libération, républicains et esclaves libérés, ne manifestent donc pas à leur égard la reconnaissance qu’ils accordent d’emblée à Schœlcher, et de façon surabondante. Sauf l’effort de rattrapage effectué pour le 22 mai durant ces dernières décennies, des rues, places ou édifices publics ne portent pas leurs noms alors qu’il en est autrement pour environ une douzaine de républicains français de l’époque. 

   Acteur le plus progressiste de la Commission d’abolition qu’il dirige, Victor Schoelcher doit aussi convaincre François Arago, le puissant ministre de la Guerre et de la marine qui promulguera le décret abolissant l’esclavage. Ce dernier est certes l’un des premiers abolitionnistes, mais il est réceptif aux arguments des colons s’agissant des mesures de compensation à leur accorder. Quoi qu’il en soit, Cyrille Bissette et le « 22 mai 1848 » ont des points communs. Les deux mythes se sont révélés tardivement : les contemporains de l’époque ne les honorent pas, alors qu’à l’inverse Victor Schœlcher croûle sous les hommages. Si on peut s’interroger sur l’inégalité de traitement au profit de ce dernier, il est audacieux de « corriger » les sentiments de l’époque et aventureux de toiletter l’histoire en usant d’un anachronisme débridé et de méthodes dignes du stalinisme ou des « gardes rouges ». 

  Fort-de-France, le 12 avril 2021

  Yves-Léopold Monthieux

Commentaires

dosojos4u | 13/04/2021 - 11:04 :
Un événement n'a jamais une seule cause, il en a toujours plusieurs. Ainsi, l'abolition de l'esclavage a-t-elle des causes économiques, sociales, politiques, religieuses. Dans cet ensemble de causes, le 22-Mai a permis de hâter de deux mois environ la mise en oeuvre de l'abolition en Martinique. Ce n'est pas rien mais ce n'est pas tout.
dosojos4u | 13/04/2021 - 11:05 :
Pourquoi 1848 ? Les causes sont multiples mais il faut quand même relever la situation politique improbable de la France cette année-là. Le roi Louis-Philippe s'est exilé. Alphonse de Lamartine prend l'initiative de proclamer la République à l'hôtel de ville de Paris. Il institue un gouvernement provisoire. Schoelcher y défend l'abolition de l'esclavage. Le sentiment général est qu'une décision de cette importance ne relève pas d'un gouvernement provisoire. Il faut laisser la question au gouvernement suivant, qui sera élu. Mais Schoelcher s'entête, il convainc l'un après l'autre les ministres. Finalement, le décret est signé, le 27 avril. On connaît la suite. L'Assemblée élue penche à droite. Le président élu est Louis-Napoléon Bonaparte. L'ensemble aboutira au Second Empire. Schoelcher a donc agi dans une "fenêtre de tir" qu'il fallait saisir. C’est son mérite. Sans lui, l’abolition serait intervenue, mais plus tard.
GIRIER-DUFOURNI... | 16/04/2021 - 08:29 :
En dehors des faits de l'esclavage , les historiens semblent d'accord sur les récits relatés même si quelques divergences, ici et là sont relevées . Cependant, rapporter des faits historiques demeurent malheureusement suggestifs ?L'objectivité et la neutralité peuvent flancher ou diverger selon le narrateur ? Lorsque celui-ci se laissent entraîner par des sentiments ou opinions personnels? Les historiens se servent des archives mises à la disposition de tous, où des faits, évènements d'une époque sont relatés . Ont-ils été rapportés de manière correcte ? Notre conviction, en tant qu'individus, désireux d'approfondir l'histoire et dévoiler une "vérité", ne souffre t-elle pas d'un manque de rigueur de ces derniers ? Dans l'affaire des évènements de février 1974 , les faits , sont -ils rapportés de manière conforme à la réalité ? S'agissant de l'autopsie de l'ouvrier cité dans l'article , la lumière est-elle faite ? Sinon , par quelques bribes de conversations contradictoires des uns et des autres qui, malheureusement n'apportent rien de définitif ?L'autopsie faite par un médecin , désigné par les autorités . Cette autopsie n'a pas convaincu les ouvriers . Un deuxième médecin est appelé . Ce dernier , fervent opposant des autorités de l'époque confirma l'autopsie . Dans quelle condition ? Les manifestations et violences s' arrêtèrent . Si l'histoire peut être une aide, pour faire avancer la connaissance et à l'amélioration d'une société, doit-elle être l'otage d'un clan par rapport à un autre ? En matière de faits historiques , nous faisons tous parfois, de l'approximation ? C'est ainsi que critiquer des hommes et des femmes essayant d'apporter un autre point de vue ne me paraît pas une solution . " Il est audacieux de corriger les sentiments de l'époque et aventureux de toiletter l'histoire en usant d'un anachronisme débridé et de méthodes dignes du stalinisme ou des gardes rouges " me paraît excessif . Voilà un point de vue qui démontre des manières différentes de raconter l'histoire ? ...Cependant , rapporter des faits historiques , ne doit -il pas demander de l'humilité de la part du narrateur d'autant que souvent , il n'a pas été le témoin oculaire des faits ? ....
yvleo | 16/04/2021 - 18:14 :
ll existe un témoignage essentiel à la compréhension de ce qui s'est passé à Chalvet et qui a été ME-TI-CU-LEU-SE-MENT évité par la presse les historiens. Il s'agit des propos du curé de la paroisse du Lorrain qui ont été recueillis par une journaliste (ADV) d'Antilla N° 1077 du 11 février 2004. Le père Le Querré a été le témoin direct de plusieurs faits qui ont conduit à la catastrophe. LES ARCHIVES DIOCESIENS pourraient être utilement consultés : s'y trouvent très certainement copie du Journal de la paroisse. Ce fut donc la guerre entre l’UGTM et la CGTM . Voilà quelques extraits de l'interview donnée par le curé : « Ce qui m’a le plus frappé dans cette histoire, c’est qu’il n’y aurait pas eu dégât si les syndicalistes (ou les partis politiques qui étaient derrière) n’avaient pas attisé. Parce qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux, là, c’était clair, c’était net. Or, je n’ai vu nulle part dans aucun journal, aucune revue, aucune émission, qu’en dessous de cela il y avait une guerre des syndicats ». Propos tenus aux syndicats : [Les ouvriers] "ont besoin de vous pour que vous les défendiez, c’est une juste cause, ils sont vraiment très, très mal payés, il faudrait quand même (quand même !) les défendre… ». « …vous vous disputez, poursuit-il, … ce n’est pas comme ça que vous allez défendre l’intérêt des travailleurs de la banane… si je vous ai prêté la salle , c’est pour une réunion, pas une désunion… ».( L'un des 2 syndicats s'opposait à ce que la salle paroissiale soit prêtée au syndicat concurrent pour tenir une réunion à propos des ouvriers agricoles). " Voilà. Mais attention. Je ne veux pas faire de polémique. Simplement ce que j’ai vu et que je raconte aujourd’hui, je ne l’ai jamais vu écrit, ou raconté à la radio, par exemple. Alors que cela s’est aussi passé ainsi. Vous savez, quand je suis arrivé au Lorrain et à Ajoupa-Bouillon (cela faisait 3 ans que j’étais en Martinique), j’ai vraiment senti qu’il y avait chez ces ouvriers agricoles beaucoup de travail, beaucoup de fatigue et de travail dur… Et quand j’ai su combien ils étaient payés j’ai eu mal au cœur. Je comprenais bien leurs revendications… ils avaient raison. Mais comme je l’ai dit, c’est dommage qu’ils n’aient pas été soutenus par des syndicats qui soient unifiés et qui portent vraiment leurs problèmes ensemble". AUCUN HISTORIEN n'a entendu ce témoin qui a été ensuite curé du Vauclin. Il est aujourd'hui décédé. AUCUN HISTORIEN n'a interrogé les médecins concernés. Une précision : l'autopsie du jeune Marie-Louise a été effectuée, ensemble (en même temps), par le médecin-légiste, le DOCTEUR Perronnette, assisté de 2 autres praticiens dont un chirurgien, les deux étant des militants politiques. Il est difficile d'imaginer que toutes ces carences relèvent de l'OUBLI. QUI LE VEUT BIEN pourra être destinataire de la longue interview du curé .
Frédéric C. | 17/04/2021 - 07:50 :
Bonjour Yvleo. Oui, je veux bien être "destinataire de la longue interview du curé". Les regards les plus en relief possible nous manquent beaucoup pour analyser notre pays (au profit du prêt-à-penser, des satisfactions d'egos, de petits postes-hochets). Pouvez-vous la publier ou me l'envoyer par mail SVP ? (Le directeur de publication a mon adresse mail.) Merci d'avance. Cordialement.
yvleo | 17/04/2021 - 08:54 :
Bonjour Frédéric C. C'est fait. Cordialement.

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