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12 octobre 1492 : Colomb et sa bande de dingues

Raphaël Confiant
12 octobre 1492 : Colomb et sa bande de dingues

 C'est un jour comme aujourd'hui, à la même date mais cinq siècles plus tôt, que Christophe COLOMB et ses trois caravelles abordèrent l'île de Guanahani dans les Bahamas.

 Ils la rebaptisèrent immédiatement San Salvador (Saint-Sauveur) et y plantèrent une croix. La "découverte" (pour les Européens)/"conquête (pour les Amérindiens) de l'Amérique venait de commencer. Elle se transformera en une folle équipée, pleine de sang, de crimes, de bruit et de fureur et ne se terminera jamais. Aujourd'hui encore, cinq siècles plus tard, les Quechuas et Aymaras en Bolivie, les Mapuches au Chili, les tribus amazoniennes du Brésil et presque partout sur le continent, de l'Alaska à la Terre de Feu, les autochtones ou indigènes luttent encore, résistent à l'extermination programmée par le Grand Amiral de la Mer Océane et ses successeurs. Exterminés jusqu'au dernier dans notre archipel caraïbe, sauf dans l'île de la Dominique, ils nous donnent une leçon de courage et de dignité.
 Mais qui étaient Colomb et ses hommes ? Ces fameux conquistadors longtemps présentés par l'Europe comme des héros dignes de ceux de l'Antiquité grecque ?
 Longtemps, je ne l'ai pas su vraiment. Pourquoi ? Parce que la notion d'"histoire globale" n'existe que depuis peu. Véritable révolution épistémologique qui, en gros, consiste à dire, que tous les événements du monde sont liés, tantôt de manière étroite tantôt de manière ténue, mais liés entre eux quand même. A l'école et à l'université, on nous apprend d'abord l'histoire de l'Europe, puis celle de l'Amérique conquise par les Européens. Vient ensuite celle du monde arabo-musulman et enfin de l'Asie. Sans qu'aucun lien soit établi entre ces différentes histoires ! Quant à l'histoire de l'Afrique, elle n'existait pas jusqu'à tout récemment dans les manuels scolaires, Hegel ayant déclaré que le continent noir n'avait pas d'histoire (chose que Sarkozy traduira par son risible "l'Afrique n'est pas encore entrée dans l'histoire").
 Ainsi, je n'avais jamais entend parler de l'Amiral chinois Zheng He.
 Je ne l'ai découvert que tardivement, en 1992 (l'année du Cinq-centenaire de la prétendue "découverte de l'Amérique"), à l'occasion de l'Exposition Universelle de Séville (Espagne) où j'avais été convié avec une dizaine d'autres écrivains de divers pays. Me promenant dans les allées  de l'Expo, je me suis tout naturellement d'abord rendu au Pavillon de l'Espagne, pays organisateur, pavillon situé sur les bords du fleuve Guadalquivir. Les dépliants qu'on nous avait remis indiquaient qu'y étaient amarrés des "reproductions à l'identique" des caravelles de Christophe Colomb. Je tenais à voir ces embarcations à cause desquelles les nôtres (Amérindiens et Africains) avaient été plongés dans la pire des terreurs. Génocide pour les premiers, esclavage pour les seconds.
  Arrivé sur le quai, déception ! Enorme déception. Je découvre trois embarcations à peine plus grosses que les pétrolettes qui font la navette entre Fort-de-France et les Trois-Ilets. Autour de moi, personne ne semble éprouver le même sentiment. La foule s'extasie et photographie à tout va. Je suis certes déçu mais surtout furieux. "Bande de radins d'Espingouins !" me dis-je en mon for intérieur, persuadé que le Pavillon de l'Espagne, ne voulant pas dépenser trop d'argent, avait fait construire non pas des "reproductions à l'identique" comme l'écrivaient mensongèrement les dépliants mais des modèles réduits. De vulgaires modèles réduits. C'est que le mot "caravelle" est si beau qu'on ne peut pas l'imaginer sous la forme de grosses pétrolettes. On imagine d'énormes navires, toutes voiles dehors, cinglant à travers la Mer des Ténèbres comme était surnommée l'Atlantique à l'époque de Colomb.
 Je ne m'attarde donc pas au Pavillon de l'Espagne et continue ma visite, m'arrêtant à d'extraordinaires pavillons comme celui du Sultanat d'Oman. Sabres, pierreries, tissus finement brodés, meubles magnifiquement sculptés. Celui de Trinidad-et-Tobago avec son camion-autobus violemment coloré, très semblable aux "taxi-pays" martiniquais d'antan. Et j'arrive alors à celui de la Chine, situé comme celui de l'Espagne, au bord du Guadalquivir. Et là, nouvelle stupéfaction ! Je vois un énorme navire en bois avec des voiles gigantesques. Je lis les panneaux : "Navire de l'Amiral Zheng He qui attint l'Afrique de l'Est en l'an  1421-1422". Jamais entendu parler de cet Amiral ! De plus, ni à l'école ni même à l'université, on ne m'avait appris que des Chinois avaient eu, à cette époque, le moindre contact avec l'Afrique. Qu'ils avaient dû traverser deux océans__la Mer de Chine et l'Océan indien__pour atteindre ce pays appelé Kenya aujourd'hui, dans la corne de l'Afrique. Sur le stand du pavillon chinois, je glane des documents qui me donnent davantage d'informations à ce sujet : Zheng He était...musulman (je croyais que les Chinois étaient tous bouddhistes ou taoïstes !) et s'appelait aussi Hajji Mahmoud ; son périple, près de dix mille kilomètres fut plus long que celui de son contemporain Christophe Colomb (sept mille) et le précéda de...70 ans ; arrivés dans la Corne de l'Afrique, les Chinois ont embarqué de l'ivoire, deux girafes, un zèbre et quelques perroquets, troqués contre de la porcelaine et des soieries, se sont ravitaillés en eau et en nourriture avant de repartir pour ne plus jamais revenir.
  On mesure ici toute l'importance qu'il y a à enseigner dès l'école primaire "l'histoire globale".
 L'épopée de Colomb et celle de Zhang He se déroulèrent au cours du même siècle, le XVè, et furent aussi audacieux l'une que l'autre. Mais quoique beaucoup plus longue, celle des Chinois était nettement moins dangereuse ou aventureuse : la Mer de Chine, le détroit de Malacca et l'Océan indien étaient connus depuis des lustres. Pas l'Atlantique. Les Chinois purent ainsi faire de nombreuses escales avant d'atteindre l'est de l'Afrique. Pas Christophe Colomb avant d'atteindre l'Amérique. Or, nouveau mystère à mes yeux : pourquoi le Pavillon de Chine nous présentait cet énorme bateau (de la taille des mini-paquebots de croisière d'aujourd'hui) alors que le Pavillon de l'Espagne s'était contenté de pétrolettes. "Bande de mégalos de Chinetoques !", ne pus-je empêcher de me dire.
  Radins contre mégalos donc.
 Je me trompais évidemment sur toute la ligne. Les Chinois avaient bel et bien reproduit leur bateau à l'identique tout comme l'avait fait les Espagnols. Le mini-paquebot de Zhang He lui avait bel et bien permis d'atteindre l'Afrique et les pétrolettes de Colomb l'Amérique ! Je mesurais là, confus, toute mon ignorance. A l'époque, la Chine était la première puissance économique mondiale et était passée maître dans l'art de la construction navale. Loin, très loin devant l'Europe. D'où une conclusion immédiate : c'est la conquête de l'Amérique qui a permis progressivement à l'Europe de dépasser la Chine et ensuite de conquérir le monde entier à compter du 12 octobre 1492. Je n'ai aucun souvenir qu'on m'ait enseigné cela enfant ni étudiant.
 Encore abasourdi, je suis revenu sur mes pas. Je suis retourné au Pavillon de l'Espagne. J'ai regardé cette fois les caravelles-pétrolettes de Colomb d'un tout autre œil. Elles étaient certes ridicules en comparaison du navire de l'Amiral chinois Zheng He, mais elle témoignaient d'une chose : la folle audace de ceux qui avaient accepté d'embarquer à bord de ces frêles esquifs. Ces types étaient complètement dingues ! Cela d'autant plus que l'Atlantique, la Mer des Ténèbres, était à l'époque inconnue, inexplorée. Ils se doutaient sans doute que leur voyage pouvait être sans retour. Mais cela ne les a pas découragés pour autant.
  Colomb et ses navigateurs étaient tout simplement une bande de dingues. Jamais les Amérindiens n'auraient pu leur résister, pas plus qu'à leurs successeurs, notamment Cortès. Serait-ce là la marque de l'européanité ? Quand on sait que les Indiens, de l'Inde cette fois, ont vécu 8.000 aux pieds de l'Himalaya et qu'il a fallu que ce soit un Européen qui conquière l'Everest. Je n'ai pas vérifié pour le Kilimandjaro en Afrique, mais je soupçonne qu'il en est allé de même.  
  Ma grand-mère, née à la fin du XIXe siècle, au fin fond de sa campagne du Lorrain, aimait à dire en riant : "Blan sé an ras ki pa pè ayen. Djab ki la ! Sé ou sa yo ni zié blé." (Les Blancs sont une race qui n'a peur de rien. Ce sont des diables ! C'est pourquoi ils ont les yeux bleus). Sacrée mamie, va !   

Commentaires

Michel P. | 12/10/2020 - 15:46 :
1) La Chine impériale s'est constituée par une conquête continentale d'un seul tenant et quelques îles proches. A partir d'une certaine taille, qui était conséquente, les Chinois n'ont pas cherché à conquérir davantage ni même à commercer avec l'extérieur : ils étaient autosuffisants. Les expéditions de Zheng He ont été abandonnées. 2) En Europe, les royaumes étaient petits, en guerres continuelles les uns avec les autres et tous manquaient d'or, L'Espagne très-catholique en particulier, qui s"était appauvrie en chassant les arabes et les juifs. 3) D'où des expéditions aventureuses. Les navires étaient petits, l'équipage dormait sur le pont, sans hamac (découvert chez les Indiens) sauf le capitaine et une personne ou deux. La conservation de la nourriture était problématique, les soins médicaux rudimentaires. 4) Il fallait être dingue mais surtout avide de richesses. Les premiers temps furent une ruée vers l'or.
Michel P. | 12/10/2020 - 16:06 :
1) Au sujet de la "découverte" de l'Amérique, on peut l'interpréter de diverses façons. On sait que souvent l'Occident nomme la découverte du nom du découvreur. Or on n'a pas appelé l'Amérique du nom de Christophe Colomb mais de celui d'un autre navigateur : Amerigo Vespucci. 2) Sa "découverte", ce ne sont pas des terres inconnues, puisqu'elles étaient fréquentées par les hommes depuis des lustres. Sa "découverte", c'est que ces terres constituent un continent : l'Amérique. 3) Apparemment, personne de ceux qui avaient pu se rendre en Amérique au préalable (comme les Vikings, semble-t-il), comme des Africains (probablement), comme Colomb (qui se croyait aux Indes) ni même les Amérindiens (qui n'avaient pas la notion de "continent" faute d'en connaître d'autres) n'ont établi avant lui qu'on avait affaire à un continent.
Firmin G. | 12/10/2020 - 17:25 :
Michel P. Je fréquente ce site depuis peu et le trouve fort intéressant, même si à mon humble avis, il comporte beaucoup trop d'articles. Surtout des articles très denses. S'adresse-t-il en fait à une minorité d'intellos ? Et toi, tu viens en plus en rajouter des couches entières ! Tu bosses chez Wikipédia ou quoi ? Il me semble que la rubrique "commentaires des lecteurs" est faite pour donner son avis précis sur les articles, pas pour donner des leçons savantes sur le sujet. D'autant que tes leçons, on peut facilement les retrouver sur Wikipédia ou ailleurs.

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